ARTICLE11
 
 

vendredi 11 février 2011

Inactualités

posté à 23h07, par Serge Quadruppani
5 commentaires

Italie : l’amorce d’un front
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En Vénétie - et plus généralement en Italie -, c’est un large front qui se lève, réunissant syndicalistes de la FIOM, ennemis de la Ligue du Nord, métallurgistes, intellectuels et activistes divers. Tous unis pour combattre la régression sociale en cours dans deux usines de la Fiat, nouveau contrat collectif imposé aux salariés sous menace de fermeture. Une résistance qui en évoque d’autres.

«  Aujourd’hui comme hier, je dis que si je dois mourir, ce sera en enfonçant mes doigts dans les yeux de l’ennemi  » : celui qui conclut si vigoureusement son discours sur les marches d’une bibliothèque municipale de Vénétie est Umberto Lorenzoni, octogénaire ancien résistant. Dirigeant de l’Association nationale des partisans italiens (ANPI) de Trévise, nom de guerre Eros, il est là, ce jeudi 27 janvier, pour participer à un rassemblement lancé sur internet par quelques habitants du lieu, pour protester contre la mise à l’index dans les bibliothèques publiques, et en particulier ici, dans le bourg de Preganziol, d’auteurs qui, pour des raisons diverses, déplaisent à la Ligue du Nord, omniprésente sur ces terres. Mais devant les caméras, les micros et une foule dont le nombre (trois cents) surprend tous les observateurs, il ne s’est pas contenté, de dénoncer les listes noires1. Tandis que, a-t-il rappelé, les unes des grands journaux italiens sont accaparées par les frasques sexuelles du Premier ministre et que l’opposition institutionnelle ne semble occupée que de dénoncer celles-ci, la jeunesse, notamment à travers le mouvement de l’Onde, continue de se battre contre la précarité organisée, et bien d’autres luttes se mènent, contre les coupes dans la culture, contre la privatisation de l’eau, contre la chasse aux clandestins. Mais ce qui conclue son discours, et qui recueille tous les applaudissements, c’est le rappel d’une lutte qui, depuis quelques semaines, semble les agréger toutes : celle des métallurgistes du syndicat Fiom refusant un nouveau contrat collectif à la Fiat2. Un contrat voté sous la menace de la fermeture par une majorité d’ouvriers à Pomigliano puis à Mirafiori (dans ce dernier cas, la majorité n’a été obtenu que grâce au vote des employés, les ouvriers à la chaine, directement concernés, l’ayant refusé) qui se caractérise par la brutalité étasunienne pour ce qui est de la réduction des droits syndicaux (interdiction des syndicats qui ne soutienne pas l’accord, quasi-interdiction de la grève) et une exacerbation de la flexibilité (diminution des pauses, possibilité d’une journée de dix heures, non paiement des deux premiers jours de maladie, etc.).

Le matin même de ce 27 février, à Bologne, nous avons entendu Landini, le secrétaire général de la Fiom déclarer, chose inouïe en Italie depuis des décennies que les intérêts des patrons et ceux des ouvriers ne sont pas les mêmes, et ajouter, chose inouïe en Europe de la part d’un syndicaliste de l’automobile, que si on doit faire des voitures telles qu’elles existent pour tous les habitants de la planète, il n’y aura plus de planète, et qu’il faut donc investir dans la recherche de nouveaux moyens de transports. Et combattre d’ores et déjà avec les camarades chinois pour une globalisation des droits.

Pour finir, il appelle sous les ovations de la place Maggiore noire de monde à la grève générale. A côté de lui, la secrétaire confédérale de la CGIL (l’équivalent de la CGT italienne), dont la FIOM est membre, fait la gueule. Quand cette terne bureaucrate, opposée à la grève générale, prend la parole, elle est accueilli par les hurlements sciopero generale et les sifflets d’un quart de la place, qui ne cesseront que sous les assauts d’une imperturbable et monocorde langue de bois, pour reprendre à la fin dans un crescendo déchainé. Mais le plus frappant, d’après Roberto, Wu Ming 1, présent à mes côtés, c’est l’ennui et le désintérêt du reste de la foule : nous sommes ici dans la« capitale » de la CGIL, et c’est la première fois depuis les années 70 qu’il existe un tel décrochement des syndiqués et de leurs dirigeants confédéraux.

La Fiom et ses nouveaux adhérents, jeunes et habitués au précariat, représentent une exception dans le paysage dévasté des syndicats italiens. En refusant les diktats de Marchionne, le néo-dirigeant de la Fiat, parfait exemplaire de manager mondialisé dont le projet principal est de faire monter l’action Fiat en promettant la Lune (doublement de la production en Italie) tout en préparant l’atterrissage au Brésil et ailleurs après avoir raflé la mise en bourse, la Fiom est devenue, pour les écrivains et intellectuels qui ont résisté au mantra néo-libéral (pour la bande de Carmilla et des Wu Ming, et autour de Camilleri et de la revue Micromega), pour les néo-post-autonomes padovans (ex-« désobéissants » réunis à d’autres dans Uniti contro la crisi)aussi bien que pour tous les gens qui luttent sur d’autres fronts, un point de référence.

Je ne vais pas théoriser là-dessus depuis mon hôtel de Bologne, où m’ont déposé pour un après-midi mes déplacements professionnels, mais le fait que les groupes de défense de travailleurs immigrés, les défenseurs de l’eau comme bien public, aussi bien que les passionnés du general intellect et autres théories faisant plus ou moins du précaire tripoteur de clavier le nouveau sujet révolutionnaire, le fait que tous ces gens-là, en plus des auteurs mis sur liste noire par la Ligue, se serrent sur les tribunes de la Fiom, n’est sûrement pas sans signification3. A l’heure où Moubarak est apparemment en train de dégager, on sent bien que le renversement des dominations passe de plus en plus par des détours inattendus. L’histoire des décennies à venir sera riche de surprises.



1 Un résumé, en français, de cette affaire est lisible surle site du collectif d’auteurs Wu Ming. Les messages ultérieurs donnent un compte-rendu de ses développements.

2 Pour une anlayse précise des deux accords, voir Nicola Cianferoni « Quand la Fiat veut briser les droits syndicaux ». On peut lire (en italien) l’accord de Mirafiori ICI et sa critique par la Fiom LA.

3 Voir les différents messages sur mon blog.


COMMENTAIRES

 


  • samedi 12 février 2011 à 09h26, par wuwei

    L’histoire des décennies à venir sera riche de surprises.

    Surtout qu’elles soient bonnes et nombreuses, dotore !



  • dimanche 13 février 2011 à 00h01, par ZeroS

    Je commence à aimer ce début de millénaire...



  • jeudi 17 février 2011 à 10h52, par Kashmiir

    Ce qui m’attriste c’est de voir que les oppositions de chaque pays, sont toutes plus incompétentes et molles que les pouvoirs en place....

    C’est à se demander si au final, ne sachant comment régler les difficultés sociales, ils préfèrent dénoncer les tout petits problèmes (les luxures d’un ministre par là, les voyages en tunisie par ici..).....

    C’est comme rajouter un verre d’eau dans l’océan pour ne pas qu’il se vide.



  • dimanche 15 février 2015 à 00h34, par Jerold Servin

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