lundi 13 juillet 2009
Le Cri du Gonze
posté à 11h17, par
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Chaque année, la même excitation s’empare de nous à l’approche du 14 juillet. Une fièvre patriotique, un élan d’amour pour notre fière nation et ses forces armées. Louable sentiment qui ne doit pourtant pas nous voiler la face : un bon 14 juillet, ça se prépare, ça se mitonne dans les règles de l’art. Article 11, qui aime les chars, Johnny et sa patrie, vous mâche le travail. Conseils d’un passionné.
Chaque année c’est pareil, on l’attend avec impatience, on le renifle de loin, on en papote dans les troquets (« Tu fais quoi pour le 14 juillet cette année ? » – « Je Johnnyse », est indéniablement devenu un classique du café du commerce), on pousse le vice jusqu’à s’interroger sur la composition du défilé (Le 3e corps des cosaques franc-comtois – casaque vert de gris – sera-t-il oui ou non précédé des fusiliers sous-marins – casaque bleu outre-mer ?), bref, on trépigne d’impatience.
Las ! Trop souvent, une fois le grand soir venu, déficience dans l’organisation ou bien éléments étrangers se greffant sur le programme, quelque chose cloche, ça déraille dans les grandes largeurs : on se retrouve au poste pour abus éthylique ou pour déposer plainte pour vol de portable, à l’hôpital pour acouphènes généralisées (La sono de Jean Michel Jarre, c’est pas de la bibine) voire coma éthylique, ou en prison pour avoir transporté sa carabine à plombs avec soi (jurisprudence Brunnerie). La soirée idéale pour clamer son patriotisme et aimer son pays se transforme alors en fiasco, c’est ballot. Pour éviter ça, Article 11 (plus patriote, tu fais pas) vous propose un petit guide malin pour 14juilletiser dans les règles de l’art. Parce qu’une fête du 14 juillet raté, c’est un peu comme une Marseillaise sifflée ou un mollard basané sur ton drapeau : inacceptable.
Le défilé militaire, pierre angulaire de notre légitime fierté patriotico-chauvine
Le défilé militaire est évidemment l’élément primordial dans la bonne marche des réjouissances. On a tous en nous, outre « quelque chose de Tennessee », des souvenirs émus liés au passage des élèves de Saint-Cyr en habit d’apparat ou de la Patrouille de France étincelant dans les cieux azuréens. Qui n’a pas vibré au son des chars descendant les Champs-Elysées dans un fracas d’enfer ? Qui dénierait au moment une valeur proche de l’extase ou du sentiment amoureux ? L’expérience, érotique entre toutes (un défilé militaire, finalement, c’est un peu comme un concours de grosses bites, version métal hurlant), ne laisse personne indifférent, ou alors ceusses qui ont rien dans le calebute. Messieurs, venez apprendre la virilité en matant le pas martial et cadencé du 159e régiment d’infanterie alpine de Briançon, dit « régiment de la neige », voire celui du 132e bataillon cynophile de l’armée de terre. Mesdames, venez vous esbaudir et mouiller vos atours intimes en découvrant cette vérité immémoriale qu’Hélène de Troye clamait déjà en son temps : « Personne ne me ravit (hinhin) autant que la gente soldatesque. »
Cependant, pour profiter du défilé sexuel dans les meilleures conditions, il convient de ne rien laisser au hasard. D’abord, nous conseillons aux cardiaques et aux hypersensibles de venir sur les Champs dès le 13 juillet, ceci afin d’assister en comité réduit à la répétition générale : se familiariser avec la pompe militaire peut éviter le débordement d’émotion impromptu, à même de terrasser les constitutions les plus robustes. Citons ces quelques lignes de Stendhal sortant de l’église Santa Croce à Florence, physiquement terrassé par la vue de tant de beauté (mal désormais reconnu comme Syndrôme de Stendhal) :
J’étais dans une sorte d’extase, par l’idée d’être à Florence, et le voisinage des grands hommes dont je venais de voir les tombeaux. Absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je la voyais de près, je la touchais pour ainsi dire. J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber.
« Voisinage des grands hommes », « Beauté sublime », « sensations célestes » etc., on est bien là dans un registre qui s’applique parfaitement au 14 Juillet. A ne pas prendre à la légère, donc.
Autre élément d’importance : savoir se positionner au bon endroit. Grands de ce monde, sachez que la tribune présidentielle vous est ouverte à condition de n’avoir pas trop ouvertement critiqué les errements de notre politique étrangère (le petit est en rodage). Petits de ce monde, sachez que pour apercevoir autre chose que la patrouille de France et éviter les coups de coude intempestifs et le panorama nuques rougeaudes (syndrome dit du « j’ai oublié mon escabeau »), il convient de se lever tôt. Pensez à prendre un pique-nique (jambon-beurre, pâté, rillettes, vin rouge. Rien de trop orientalisant, les loukoums et les kebabs ont mauvaise presse cette année) et à minuter votre horaire à la perfection. A noter, La vitesse moyenne de défilé des troupes motorisées est de 14 km/h. Les troupes de l’armée de terre défilent au rythme de 120 pas à la minute. On soulignera avec satisfaction que la légion étrangère défile en dernier, à un rythme moins élevé, voire grotesque, de 88 pas par minutes (véridique1). De là à conclure que la gente soldatesque étrangère ne peut suivre nos cadences hexagonales, il n’y a qu’un pas que je franchis allégrement.
Enfin, un défilé militaire réussi suppose une attitude vestimentaire et corporelle parfaite. Les bidasses font l’effort, ça brille et ça en fout plein la vue, à vous de vous en montrer digne. Tignasses rasées et leggings de rigueur, les tatouages patriotiques type « Ne coulons pas le Clémenceau » ou « Massu forever » feront bonne impression. Les petits malins arborant des keffiehs et autres bérets Che seront expulsés sans pitié et reconduits à la frontière du 16e recouverts de goudrons et de plumes, les femmes seront tondues. A ceux qui auront l’impudence de rétorquer « on est pas là pour se faire engueuler, on est venus voir le défilé », nous prédisons les pires avanies.
Pour ceux qui ne peuvent faire le déplacement dans la capitale, qu’ils bichonnent leurs excuses. Ils peuvent se consoler en regardant les 4 heures d’émission (je pose la question : est-ce vraiment assez ?) que consacre France 2 à l’événement. Et qu’ils remâchent cette déclaration de l’aviateur et colonel de réserve (mazette !) Jean Claude Narcy, déclarant au très bon TV Mague : « Nous fêtons cette année le 75e anniversaire de l’armée de l’air et ce sera le plus grand défilé aérien de l’histoire du 14 Juillet ». Rater cela serait criminel voire antipatriotique. A bon entendeur…
Mieux que le Stade de France : Johnny à la tour Eiffel
L’événement est si important qu’il se verra surement de l’espace. Johnny, l’idole d’une nation et de son président, se produit gratuitement devant la Tour Eiffel à l’occasion de la fête nationale. On pourrait empiler les adjectifs dithyrambiques et faire dans l’hyperbole, mais on craint de lasser. Avant d’en venir aux détails pratiques, citons deux témoignages de personnalités politiques s’attardant sur le phénomène Johnny et sur leur amitié avec le susdit (piochés dans un article du Monde, hebdomadaire qui n’en finit plus d’être de référence2). Jean-Pierre Raffarin, d’abord, qui sait trouver les mots justes :
A la fin des années 1970, alors conseiller municipal, je crois avoir fait en sorte qu’on rouvre spécialement l’aéroport de Poitiers en pleine nuit3 pour qu’il puisse repartir après un concert à Angoulême. La vie politique me l’a fait rencontrer quelquefois, plus tard, notamment à Matignon, où il est venu dîner avec Læticia. Les chauffeurs de Matignon avaient davantage regardé sa bagnole ce soir-là - un énorme Hummer -, que Johnny conduisait lui-même4. Nous avions ensuite beaucoup parlé de la manière de tenir une salle.
Hummer-tanks, aéroports à usage personnel, conseils disciplinaires, on est bien là dans l’esprit franchouillard tout ce qu’il y a de plus respectable. En jeter, oui, mais avec classe. Johnny tel qu’on l’aime, Jean-Pierre tel qu’on l’a aimé5.
Thierry Herzog, avocat présidentiel, nous livre lui une autre facette du personnage, non moins sympathique, sa proximité avec le chef de l’état :
Par le hasard de la vie, il se trouve que je suis l’ami de Nicolas Sarkozy6, qui est également un grand fan de Johnny. Il nous est arrivé, tous les deux, de passer des soirées entières à chanter ses morceaux ou à faire des quiz sur ses chansons. Après un match de rugby au Stade de France il y a deux ans, nous nous sommes retrouvés dans le même restaurant que lui. Sarkozy lui a demandé de prendre la guitare, et Johnny s’est mis à chanter, ce qu’il ne fait jamais en dehors d’une scène. Je dois dire que Sarkozy, ce soir-là, connaissait mieux les paroles des chansons d’Hallyday qu’Hallyday lui-même ! Johnny a eu un trou de mémoire au deuxième couplet de Cours plus vite, Charly, et c’est le président qui l’a aidé...
Car oui, en allant écouter Johnny demain, comme le petit million de mélomanes avertis qui devraient composer le parterre, ce n’est pas seulement un grand chanteur que tu écouteras, mais aussi l’ami du pouvoir en place, l’ami de la France, donc, n’ayons pas peur des grands mots. Allumer le feu patriotique, voilà qui ne peut pas nuire à l’hexagone. Certains esprits chagrins noteront que le concert du méta-chanteur (je ne peux me résoudre à l’appeler simplement chanteur) coûtera la bagatelle de 1,9 millions d’Euros au Ministère de la Culture . Il y en a toujours pour cracher dans la soupe. A ceux-ci, je répondrais simplement : savez-vous combien coûte un simple passage à la pompe lorsque l’on se déplace en Hummer ?
Nos conseils pour un concert réussi : pour ceux qui visent le premier rang s’installer 72 heures avant le concert (patienter en chantant la Marseillaise vous vaudra l’estime du service d’ordre), éviter la bière (il y a des besoins urgents qui vous renverraient en fond de foule. L’option bouteille pour l’urine n’est pas à négliger), ne pas aller picoler de champagne backstage avec l’élu du rock si tu as moins de 30 ans et une poitrine avenante. Étrangers tolérés mais faites-vous discrets. Déblatérer sur la sénilité d’un vieux pochetron bramant des trucs poussiéreux en playback pourrait vous exposer à un lynchage en règle.
Détails Croquignolets et aperçu historique
Petit clin d’œil de l’histoire : On notera que c’est le 14 juillet 1933 que le NSDAP, le parti d’un certain Adolphe Hitler, est proclamé Parti Unique en Allemagne, un événement qu’il sera de bon ton de commémorer discrètement, la racaille bien pensante étant ce qu’elle est...
Le retour du casque à pointe : En 1994, des soldats allemands de l’Eurocorps s’étaient joints (horreur) au défilé. Cette année, les relations Sarkozy-Merkel étant ce qu’elles sont, la chose ne semble pas à craindre. Se munir quand même, au cas où, de pancartes rappelant que pour l’Alsace et la Lorraine, il faudra repasser…
Du compréhensible élan patriotique et de sa nécessaire modération : Attention, rejoindre le défilé en cours de route par élan patriotique pourrait vous exposer à quelques représailles et tirs de sommation. Rappelons qu’un certains Ferdinand Bardamu s’y était livré en son temps (1914), au début d’un Voyage qui devait le mener « au bout de la nuit ». Cela ne se fait plus.
14 juillet en solitaire : Cette année, tu pourras regarder le feu d’artifice en direct sur Internet (ici). C’est seulement ensuite que tu mettras ta tête dans le four.
La tête haute : C’est le 20 juin 1880 que le 14 juillet a été proclamé fête nationale. Il s’agissait d’alors de démontrer que notre défaite durant la guerre de 1870 (effective en 18717)contre les fridolins était déjà digérée et que notre armée brillait de milles lustres. Le redressement militaire était alors affaire d’état. Mission accomplie, si j’ose dire, notre réintégration dans l’OTAN marquant évidemment un retour brillant dans le concert des nations.
Les deniers publics gaspillés en babioles artistiques : A noter, pioché sur Wikipédia : « Jusqu’en 1984, le passage des engins blindés avait pour effet de fragiliser les Chevaux de Marly, des sculptures de Guillaume Coustou situées Place de la Concorde à l’entrée des Champs-Élysées. Depuis, les originaux ont été tranférés au musée du Louvre et remplacés sur place par des copies. » N’aurait-on pu simplement les démanteler, ces sculptures poussiéreuses ? Tant de fric gaspillé alors que la France va mal ? On croit rêver.
1 Bordel, se coltiner les pages wikipedia sur le 14 juillet, il faut vraiment que je vous aime, lecteurs ingrats.
2 Je le disais encore hier à ma tante Edwige :« C’est ahurissant, la bonne tenue critique de ce journal »
3 !!!
4 Mazette, cet homme-là sait donc tout faire ?
5 « Dis, J.P., mais quand reviendras-tu ? »
6 Citons Pétain : « Par le hasard de la vie, il se trouve que j’ai serré la main d’Hitler à Montoire. »
7 Big up to Joshua du 34.