jeudi 16 octobre 2008
Le Cri du Gonze
posté à 10h58, par
10 commentaires
Article 11 passe la vitesse supérieure. Être le premier sur l’info, cela implique de profiter de chaque opportunité, même quand il s’agit de visiter le monde des morts. Alors quand Haider s’est viandé, on a jailli sur l’occasion (une fois le champagne éclusé). L’odieux moribond, jamais avare de publicité, a accepté de répondre à nos questions. Un entretien qui pue le soufre.
Chemise brune, sourire carnassier, haleine chargée, il a le verbe facile et la répartie décontractée : « Satan est un vieux pote, vous savez », nous dit-il d’emblée quand on lui demande s’il craint ce qui l’attend.
L’immonde Haider, celui qui avait pour habitude de regretter le bon temps de la Waffen SS et des « camps de vacance » nazis, l’idole des petits nazillons autrichiens, se la coule douce dans les limbes. L’idée de justice divine en prend un coup...
Malgré tout, narines bouchées, on y est allé de nos questions, pour la bonne cause. Héroïsme journalistique, le Pulitzer est à ce prix.
C’est rageant, partir au moment où tout vous souriait ?
Bien sûr. C’est même méchamment frustrant. Vous savez, j’étais un utopiste, je rêvais que toute l’Europe soit à l’image de l’Autriche, ce terreau de la fierté identitaire et de la droite flamboyante. On n’en était pas loin, je touchais au but.
La suite me donnera raison de toute manière. L’extrême droite à la Haider, policée mais ferme, est presque partout. Aujourd’hui, elle gagne du terrain, elle imprègne les mentalités. Demain, elle régnera.
Des exemples ?
Oh, il y en a pléthore. La plupart sont masqués, camouflés, mais le résultat est le même. D’abord en Autriche, celui qui a repris mon ancien parti (le FPÖ), ce rascal de Heinz-Christian Strache, semble bien parti pour tout emporter sur son passage : il vient quand même de remporter 18% des voix aux dernières législatives.
Et partout, nos forces grondent, lèvent la tête, soulèvent l’enthousiasme. En Belgique avec le Vlaams Belang, aux Pays Bas avec le LPF, au Danemark avec le Parti du Peuple danois, le message passe très bien. Et puis, en Italie, l’ami Berlu est tout sauf un gauchiste, il suffit de voir comment il est en train de magistralement solutionner la question Rom : tous dehors, et avec la manière !
C’est pareil chez vous : votre fameux Hortefeux, il n’y va pas avec le dos de la cuillère. ET met en place des mesures migratoires que j’aurai hésité à proposer, de peur de choquer.
Vous voyez le gouvernement Sarkozy comme proche de vos idées ?
Bien sûr, c’est évident. Même lui ne le nie pas vraiment. Bien sûr, il n’est pas du sérail extrême droite, mais sur nombre de questions il est aussi radical que moi. En matière d’immigration, il a réussi à faire passer des mesures que les Français repoussaient à bras le corps quand c’était Le Pen qui les proposait. La création du Ministère de l’immigration et de l’identité nationale, si ce n’est pas une mesure d’extrême droite, je vois mal ce que c’est… Et puis les tests ADN, les quotas d’expulsions, l’immigration choisie, les camps de rétention, etc… je n’aurais pas fait mieux.
Je l’ai même dit dans le journal Österreich le jour de son élection, car j’avais pressenti les capacités du gaillard : « C’est une ironie de l’histoire que les Français élisent maintenant leur Jörg Haider. » Lui et moi sommes des frères en idéologie, c’est juste qu’on ne se présente pas de la même manière.
Donc Sarkozy serait d’extrême droite ?
Ce n’est pas si simple. Ce que je voulais dire, c’est qu’il s’inscrit dans une lignée de dirigeants européens qui ont compris qu’ils avaient tout intérêt à jouer de cette carte là s’ils voulaient régner. C’est ce que la population attend. Désormais, on peut être de droite nationale sans choquer, il suffit d’y mettre la manière. L’extrême droite à la papa, telle que la pratiquait Le Pen, ça ne marche plus, c’est d’une autre époque.
Même moi, depuis quelques temps, j’avais mis de l’eau dans mon vin. Et je ne déblatérais plus à tort et à travers sur les camps de concentration. Même si… sur le reste, je n’avais rien changé, bien entendu. Juste, je m’étais fait un brin plus discret. Je n’étais pas le seul : partout, il y a une aseptisation de l’extrême droite en vue d’atteindre le pouvoir. Marine le Pen en est un parfait exemple. D’ailleurs, si Sarkozy n’avait pas su jouer cette carte, endosser les idées de l’extrême droite, rien n’arrêterait la fille Le Pen.
Pour conclure, je vais vous étonner en citant un de vos penseurs d’extrême gauche, un des seuls à avoir compris ce qu’il se passait : « Oui, je pense que Sarkozy à lui seul ne saurait vous déprimer. Donc, ce qui vous déprime, c’est ce dont Sarkozy est le nom. Voilà de quoi nous retenir : la venue de ce dont Sarkozy est le nom, vous la ressentez comme un coup que cette chose vous porte, la chose probablement immonde dont le petit Sarkozy est le serviteur.1 »
Finalement, les populations européennes sont prêtes à accepter l’extrême droite, dès lors qu’elle se modernise et se « respectabilise » ?
C’est une évidence. Les idées de fierté nationale, d’identité, de gloriole patriotique n’ont jamais été aussi fortes. Il suffit de regarder les réactions à ce qui s’est passé avant-hier soir dans votre Stade de France : vous envisagez de faire un procès à des gens parce qu’ils ont sifflé l’hymne national. C’est fou ! Mieux, votre secrétaire d’État aux Sports souhaite ne plus jamais inviter d’équipes en provenance du Maghreb ! Encore une fois, je ne serais jamais aussi loin. Quand on sait ce qui se passe dans les tribunes des stades de foot habituellement… Siffler un hymne national est un enfantillage. Et en faire une affaire d’état, c’est vouloir souder la population contre les populations maghrébines. Habile stratégie, j’applaudis des deux mains.
Je vous l’avoue, et cet événement le confirme : je place de grands espoirs dans le peuple Français et dans Nicolas Sarkozy pour continuer la lutte, notre lutte pour une Europe blanche et forte.
La crise actuelle vous donne confiance en l’avenir ? L’extrême droite va profiter de la débandade économique ?
Quand tout s’écroule, les gens se tournent vers les porteurs d’espoir. C’est à dire : nous. C’est ce qui s’est passé en Allemagne avec l’hyper inflation des années 1920 et la crise de 1929. Abasourdis, ceux qui souffraient se sont tournés vers Hitler et sa politique sociale.
Là, le même processus va s’enclencher : désespérés, les classes moyennes et les plus démunis vont se tourner vers nous. Ce ne sera que justice, à mon sens.
Vous aviez choisi la politique d’alliance avec des partis plus modérés. Vous pensez que cela va se généraliser en Europe, cette alliance de la droite très dure et de la droite moins radicale ?
Oui. J’ai fait alliance en 2000 avec le parti conservateur autrichien de Wolfgang Schüssel pour siéger au gouvernement. Je n’ai pas eu à le regretter, ça m’a donné cette respectabilité dont j’avais besoin.
Là, en Autriche, ils parlent déjà d’unifier mon parti, le BZÖ, avec le FPÖ. Dans ce cas, ils ne seraient pas loin de la majorité absolue. Surtout sachant que je suis en passe de devenir un martyr. Ça fait toujours vendre, les morts tragiques en pleine ascension...
Votre mort a suscité un concert de louanges assez invraisemblable en Autriche, et pas seulement de la part de vos partisans. Ça vous étonne ?
Pas vraiment. A force de persévérance, j’avais réussi à me faire accepter, à faire partie du paysage. Vous savez, si mes ennemis n’ont pas profité de mes escapades alcoolisées avec de très jeunes hommes pour me discréditer, c’est qu’ils avaient déjà abandonné l’idée de se débarrasser de moi. Mais c’est vrai : certaines réactions m’ont épaté. Que le Président de la République Heinz Fischer parle de moi en évoquant « un homme de grand talent » et déplore « une tragédie humaine », ça me fait marrer. Et qu’un social-démocrate comme Werner Faymann déclare qu’il est « profondément touché », là… je me gondole allègrement.
Ils ont oublié que nous sommes leurs ennemis, ça prouve que j’ai réussi. Rappelez vous la levée de bouclier qu’avait suscité dans toute l’Europe mon entrée au gouvernement en février 2000 : il y avait même eu des sanctions de l’Union Européenne. Maintenant, tout le monde s’en foutrait, c’est devenu la norme.
J’ai confiance : ma mort, de toute manière, servira une cause brune qui déjà triomphait partout.
Se cracher bourré au volant, alors qu’on roule deux fois au dessus de la vitesse autorisée, ce ne serait pas un obstacle à votre image de « martyr » ?
Oh, vous savez, tout le monde s’en fout, ça n’empêchera pas le culte de se créer. Je serais la Princesse Diana des droites dures...2