Le journalisme à la papa est mort hier et on ne le pleurera pas. Finies les investigations laborieuses et les thunes de l’État gaspillées pour que des types jouent l’Albert Londres en des terres mêmes pas françaises : place au journalisme responsable ! Les mesures gouvernementales vont enfin mettre de l’ordre dans une profession qui se croyait au-dessus des lois. Revue de détails.
Ça couvait depuis un moment. Le Président, en ébullition, avait de plus en plus de mal à contenir son courroux. Et les Français, conscients du problème, étaient prêts à embrayer. Trop longtemps que quelques apprentis Tintins en goguette coûtaient bonbon à la nation pour des clopinettes, sous-Kessel de pacotille incapables de lire correctement leur Guide du Routard. L’affaire des deux journalistes retenus en otage en Afghanistan parce qu’ils se croyaient dans un remake de SAS nique le Mollah Omar a mis le feu aux poudres. Et l’ordre de l’Élysée est tombé hier : puisque les journaleux sont irresponsables, ils resteront désormais là où on peut les contrôler : en France ou dans les environs (Suisse, Liechstenstein et peut-être Monaco si la situation y reste stable). Sage décision.
Car les deux reporters inconscients qui batifolaient en terre afghane comme s’il c’était la Creuse ne sont que les derniers d’une longue lignée. Claude Guéant l’a rappelé hier dans une conférence de presse : « Le contribuable français va encore devoir raquer un max parce que deux irresponsables sont allés faire les débiles en territoire barbu. Cette fois, c’en est trop. Après Aubenas, Malbrunot, Kieffer et tous les autres, on en tire les conclusions nécessaires : interdiction absolue de vadrouiller en zone dangereuse. Finie l’époque des boys-scouts et des Rouletabille. On réinvestira l’argent ainsi économisé dans la moralisation du capitalisme, c’est du gagnant-gagnant. ».
Le raisonnement est limpide. Puisque les journalistes ne savent pas suivre les plus élémentaires consignes de sécurité et que leurs rédactions ne mettent pas les freins nécessaires à leurs dérives, il convient que l’État lui-même leur fixe des interdits, et pas seulement géographiques : d’autres données seront prises en compte (état de santé, présence à la garden-party de l’Élysée, couleur politique etc…). « Ce sera une sorte de code de la route pour journalistes, a déclaré François Fillon. Plus question de leur laisser faire n’importe quoi , on va veiller à ce qu’il n’y ait plus de sortie de route. C’est pour leur bien. »
Devant la levée de boucliers chez certains des vieux grognards de la corporation, toujours prêts à crier à l’abus de pouvoir, Jean François Coppé a embrayé dans la soirée : « J’entends déjà les critiques qu’on va nous faire, sur la baisse de qualité de l’info, la fin des enquêtes, le nivellement par le bas de l’info, blablabla… Mais on a de quoi répondre ! À l’heure de Twitter et de Facebook, un journaliste n’a plus besoin de partir loin pour accumuler les informations : il suffit qu’il fasse semblant d’être sur place, et tout le monde s’en contente. Regardez Bernard Henry Lévy : la Géorgie, la Yougoslavie, Gaza… il n’a rien vu et pourtant il raconte plein de choses fascinantes. Et puis, avec de bons décors, on recrée facilement une ambiance… Quelques tubes de gouache, une heure de boulot, et on a un arrière-fond parfait pour un direct depuis Tora-Bora. Les journaux vont faire de réelles économies et les réinvestir dans de la vraie info. »
Interrogés, les principaux directeurs de journaux hexagonaux se sont félicités de la décision du gouvernement. « Franchement, notre métier n’est pas de s’inquiéter pour notre personnel mais de le protéger. De toute manière, la plupart du temps, on faisait semblant d’avoir quelqu’un à l’étranger et on pompait l’AFP. Ces mesures ont l’avantage de clarifier les choses », remarque ainsi Laurent Joffrin, visiblement ravi. Du côté des chaines de télé, même son de cloche. Nonce Paolini, directeur général de TF1 déplore simplement que l’on autorise la Suisse comme terrain d’enquête : « Même s’ils ont légiféré sur les minarets, ils restent assez poreux aux fondamentalistes, ça peut être un danger. Pourquoi pas autoriser la Belgique tant qu’on y est ? »
Autre innovation, l’Élysée songe à instaurer un prix Pulitzer hexagonal basé sur un système de loterie. Fini le temps où quelques casse-cous raflaient les récompenses et les honneurs ; un simple journaliste à la Gazette de Triffouillis pourra bientôt remporter la récompense suprême en matière d’enquête. Nul doute qu’une saine émulation s’instaurera entre les rédactions et que l’Investigation avec un grand I en sortira gagnante.
Enfin, cerise sur le gâteau, le gouvernement prépare la sortie d’un Guide du Routard du journalisme responsable (et durable) afin de conseiller au mieux les chasseurs d’images et de témoignages. Tous les cas de figure seront abordés. Besoin urgent d’une vidéo de pirates somaliens ? Allez-donc faire un tour à Disneyland, les Pirate des Caraïbes y sont criants de vérité. Un plan manquant pour compléter un reportage sur les écoles en Afghanistan ? Foncez dans les squares parisiens ou à Calais, les Afghans y sont encore nombreux (juste, dépêchez-vous avant qu’il n’en reste plus, ils se font de plus en plus rares en nos contrées). Pas d’adresse pour aller déjeuner avec votre boss Christophe Barbier mardi prochain ? Pas d’inquiétude, il adore les vermicelles de truffes de chez Marco Piunzinelli, dans le 16e. Des bons plans à foison…
L’homme nommé rédacteur en chef de ce guide, meilleur journaliste de France depuis plusieurs décennies, PPDA, nous en dit plus : « C’est toute une organisation qui se met en place. On va faire comme pour les plages : il y aura les zones vertes (journalisme autorisé sans restriction), les zones oranges (journalisme autorisé si embedded, Twitter conseillé), les zones rouges (réservées à BHL, Twitter + Facebook conseillés, attendre les conférences de l’Élysée avant d’écrire son billet) et les zones noires (no comment…). Je sais que certains craignent qu’on ne puisse plus faire notre boulot mais c’est du pipeau : comment vous croyez que j’ai interviewé Fidel Castro ? En y allant comme un mercenaire ? Laissez-moi rire… Le journalisme d’aujourd’hui se conjugue différemment, avec une bonne dose d’inventivité et de créativité. »
Pour finir, le gouvernement ne compte pas en rester là. Fidèle à la devise de Bernard Tapie - Pourquoi acheter un journal quand on peut acheter un journaliste ? - , le Président a décidé que les revenus des journalistes seraient désormais indexés sur leur capacité à respecter les règles édictées en la matières. Le blaireau de journaliste de base y pensera désormais à deux fois avant de prendre des initiatives contre-productives. Nul doute que l’information en sortira gagnante et que des dérives du type Denis Robert/Clearstream ne devraient plus se reproduire. C’est à ce prix - seulement - que notre démocratie pourra renouer avec les vertus d’une véritable presse d’investigation responsable.
Spéciale dédicace, évidemment, au succulent Jean-Pierre Martin.