vendredi 16 janvier 2009
Le Charançon Libéré
posté à 10h34, par
26 commentaires
Chaque jour que Marx fait, la police veille sur nous. Et chaque jour que Marx fait, son travail devient plus difficile, tant les trublions de l’ultra-gauche et les descendants de la bande à Baader multiplient les actes de provocations et les attentats contre la stabilité de notre grande et glorieuse démocratie. Un combat de tous les instants, une lutte essentielle, qui nous concerne tous. D’ailleurs, moi-même…
Pour d’obscurs motifs qui me sont propres.
Et dont le premier serait sans doute la conviction que les transports en commun devraient être gratuits.
J’ai pour (sale) habitude de frauder le métro.
Sautant le portillon sans régler mon écot.
Et ne payant mon billet que quand j’aperçois dans le coin les sémillants uniformes des non moins sémillants contrôleurs de la RATP.
C’est comme ça.
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Hors donc.
Je me livrais il y a deux jours à mon habituelle et unique gymnastique quotidienne.
Enjambant prestement le tourniquet.
Et franchissant gaiement le portillon.
Quand trois agents de la Régie autonome des transports parisiens, comme de juste accompagnés d’un digne membre de la police nationale, me sont tombés sur le râble.
Pas sémillants pour un sou, eux.
Moi : je ne vous avais pas vu.
Eux : on est payé pour ça.
Moi : vous m’avez eu.
Eux : on est aussi payé pour ça. Il va falloir raquer.
Moi : c’est le jeu.
Eux : vous avez un moyen de paiement, chèque, carte bleue, espèces ?
Moi : désolé, je n’ai rien sur moi.
Eux : alors, il va falloir voir avec ce monsieur de la police, qu’il vérifie votre identité.
Moi : je sais.
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Hors donc.
Ce monsieur - policier en civil - s’empare du passeport que je lui tend.
Saisi son talkie-walkie, l’air concentré et professionnel.
Eructe mon nom et mon adresse dans son engin à antenne.
Et me regarde impavide en attendant la réponse à ce bref et presque banal contrôle d’identité.
Sans que cela ne m’inquiète outre-mesure : brave citoyen et honnête contribuable, je n’ai que confiance à avoir en cette police qui chaque jour me protège et me rend service.
Hein…
Les choses durent un peu.
La conversation ne prend pas tellement, malgré quelques tentatives de ma part de nouer un lien de sympathie.
Moi : c’est un beau métier, policier…
Lui : ggrrmmllll…
Moi : vous devez en voir des vertes et des pas mûres, non ?
Lui : ggrrmmllll…
Bref, on rigole, on s’amuse, attendant que soit garanti mon statut de citoyen de première classe.
Et puis, le talkie qui crépite, quelques mots que je ne comprends pas et lui qui me regarde un brin différemment.
Moi : c’est bon, je peux y aller ?
Lui : on va faire quelques vérifications supplémentaires, vous allez devoir me suivre au commissariat.
Moi : quoi ?
Lui : c’est comme ça.
Moi : mais… pourquoi ?
Lui : ne faites pas d’histoire, monsieur, suivez-nous.
Moi : qui ça, nous ?
Lui, montrant cinq de ses collègues apparus au coin d’un couloir : nous.
J’ai pas fait le malin, j’ai suivi la troupe.
Eux m’encadrant très sérieusement, me guettant du coin de l’oeil comme si j’avais été le mollah Omar tentant de prendre la fuite en trottinette.
Joli cortège…
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[Je vous passe les détails, jusqu’à l’arrivée dans un bureau quelconque d’une aussi quelconque dépendance policière. Après un brin d’attente, un gros ventripotent s’installe en face de moi, me regarde par en-dessous et commence à me questionner.]
Lui : on a un petit problème.
Moi : je sais, je n’ai pas payé mon ticket de métro. Mais je ne pensais pas que…
Lui, m’interrompant et me tutoyant d’un même élan : tutut-tutut ! Tu penses bien que ce n’est pas le problème.
Moi : ben alors, quoi ?
Lui : fais pas le naïf.
Puis, tendant une liste de noms et m’en montrant un au milieu de la masse : c’est bien toi, là ?
Moi : ben… oui. Mais je ne vois pas…
Lui, me coupant derechef : tu sais ce que c’est, cette liste ?
Moi : ben… non.
Lui : tu peux toujours jouer l’innocent, va.
Moi : vraiment, je vous assure…
Lui : espèce de crétin ! Il s’agit de la pétition appelant à la libération de tes deux copains, les anarcho-autonomes qui peuvent pas saquer les catenaires.
Moi : d’abord, ce ne sont pas mes copains. Et puis, je ne vois toujours pas ce que ça vient faire dans une affaire de fraude à la RATP.
Lui : ah, tu ne vois pas ? Vraiment, tu ne vois pas ?
Moi : euh… non.
Lui : fraude à la RATP en relation avec une entreprise terroriste, ça ne te dit rien ?
Moi : …
Lui : c’est nouveau et c’est diablement efficace. A chaque fois qu’on trouve un salopard dans ton genre, mêlé de près ou même - comme toi - de loin à la diabolique mouvance anarcho-autonome de l’ultra-gauche, on rajoute au délit qui lui est reproché « en relation avec une entreprise terroriste ».
Moi : et ?
Lui : c’est la super fête. Un, on nique ces gauchistes qu’on n’a jamais pu blairer et qui nous le rendent bien. Deux, on se fait bien voir de notre hiérarchie et de notre ministre, aka je-suis-lancé-dans-une-mission-divine-de-lutte-contre-le-terrorisme-anarchiste. Trois, on peut te garder 96 heures en garde-à-vue, t’accuser de tout et de rien sans que personne ne nous demande de comptes et te balancer aussi longtemps qu’on le souhaite en détention préventive.
Moi : …
Lui : tu fais moins le malin, hein ?
Moi : …
Lui : bon, maintenant que le cadre légal est posé - enfin… façon de parler… - , on va attaquer les choses sérieuses. Tu vas me dire ce que tu faisais le 14 novembre, quand des salauds s’en sont pris à notre fleuron industriel à grande vitesse, et le 16 décembre, quand d’autres salauds s’en sont pris à ce fleuron de la consommation française qu’est Le Printemps.
Moi : …
Lui : et tant qu’on y est, t’aurais pas fait un petit tour par la gare Saint-Lazare le 13 janvier ?
Moi : …
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On peut toujours se rassurer en se disant qu’on n’en est pas là.
Et c’est vrai : on n’en est pas encore là.
Mais on s’en rapproche.
Tranquillement, benoîtement, sûrement, grâce à la criminalisation croissante de l’extrême-gauche et à l’instrumentalisation politique itou de la lutte anti-terroriste.
Dernier exemple en date, ces deux jeunes gens ayant tenté de faire joujou avec des allumettes.
Un cas si emblématique que je vous copie-colle la totalité de l’article s’y rapportant, qu’on rigole un brin :
Deux personnes, dont une jeune avocate, ont été placées en garde à vue à la section antiterroriste (SAT) de la brigade criminelle dans le cadre d’une tentative d’incendie de voitures à Paris. L’avocate âgée de 30 ans inscrite au barreau de Paris a été interpellée dans la nuit de mardi à mercredi dernier, en compagnie de son ami Kevin, par une brigade anticriminalité dans le XIXe arrondissement de Paris, peut-on lire dans Le Figaro.
Surpris à 3 heures rue Pradier, le couple est soupçonné d’avoir tenté de mettre le feu à deux voitures aux abords de l’ex-commissariat Combat, en enflammant du papier coincé dans les jantes.
Leur audition dans le cadre d’une enquête de flagrant délit pour « dégradation par incendie en relation avec une entreprise terroriste et association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme » pourrait durer 96 heures. Leur supposée sympathie avec la mouvance autonome et les personnes poursuivies pour les sabotages commis le 7 novembre contre les caténaires de la SNCF semble avoir justifié leur transfert au 36, quai des Orfèvres.
De source proche de l’enquête, l’avocate parisienne a été aperçue lors d’une manifestation en novembre 2003 devant la maison d’arrêt de la Santé lors du deuxième Forum social européen tenu en France. Plus récemment, elle aurait participé à une réunion le 6 décembre dernier à Montreuil (Seine-Saint-Denis) pour brocarder les interpellations de Tarnac. Son ami Kevin, présenté de source policière comme « gravitant dans la mouvance d’ultragauche », serait connu pour « avoir manifesté activement son soutien à Julien Coupat », toujours incarcéré depuis le 15 novembre dans l’affaire du sabotage de la SNCF.
Ça ne vous fait pas rire ?
Moi non plus.
Tant sauterait aux yeux du plus abruti des envâpés que les circonstances justifiant le lien avec la lutte anti-terroriste sont ridicules : « supposée sympathie », « de source proche de l’enquête », « une manifestation en novembre 2003 », « présenté de source policière comme ’gravitant dans la mouvance d’ultragauche’ »…
Et que ces accusations ne reposent sur rien.
Un scandale, bien entendu.
Mais aussi une bonne occasion de rappeler la tenue de cette manif, le 31 janvier.
Ça va chier des bulles…
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Edit [18 h] : Les deux personnes dont il est question ont été libérées tout à l’heure, sans charges retenues à leur encontre.
Une issue heureuse qui ne change pas grand chose au schmilblick, celui de la dérive d’une législation anti-terroriste désormais utilisée pour pointer de pseudo ennemis de l’intérieur membres de l’ultra-gauche.
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Tant qu’on y est, je ne peux que vous encourager à aller lire les très bons billets sur la question de l’Escalier qui bibliothèque, et de Colère et fatigue. Hop !