samedi 20 septembre 2008
Littérature
posté à 11h08, par
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Que sait-on vraiment de la RAF, succursale à la teutonne du terrorisme d’extrême gauche si vivace dans les années 1960-70 ? Pas grand-chose, quelques vagues images : le suicide d’Andreas Baader et de ses camarades, les attentats sanglants dont celui contre Hans-Martin Schleyer, la désillusion d’une action armée qui verse rapidement dans le meurtre... Caricature.
Reprenons par le début. « A la vie et à ceux qui la pinent ». Quelqu’un se souvient peut-être de ce toast porté par Thierry Fremont dans Les démons de Jésus. Film réalisé par Rémi Bonvoisin en 1997, lequel Bonvoisin aurait mieux fait de continuer à faire des films plutôt que de reprendre son rôle de chanteur dans Trust. Est-ce que quelqu’un a réécouté récemment une autre chanson que Antisocial ? Moi oui, et c’est de la merde (Antisocial aussi, mais qui renie ses amours de jeunesse a un disque de Johnny à la place du coeur).
Va savoir pourquoi mais c’est ce toast qui m’est venue à l’esprit en repensant au livre d’Anne Steiner et Loïc Debray : La Fraction Armée Rouge. Guérilla urbaine en Europe occidentale. Comme toujours, je ne renierai pas mon intuition et vais donc peiner pour retrouver le lien entre les deux. Difficile de dire qu’ils ont piné la vie, ces guérilleros mais, nom d’une bite en caoutchouc, pour essayer ils ont essayé. Finalement, c’est eux qui se sont fait mettre par la société. Société qui tient ici le rôle de l’ogre grimé en bonne soeur avec son chibre éventreur. Je pourrais aussi rajouter la proximité chronologique puisque le film de Bernie se situe à la fin des années 60’s et que c’est la période de constitution de la RAF. Voilà le lien et promis je parle plus de bite avant la fin de l’article.
J’aurais tendance à dire que ce livre est l’alpha et l’oméga de la question. J’ai un peu creusé et c’est le seul qui, en plus d’avoir satisfait ma curiosité, m’a procuré ces petits frissons dans le cortex qui présagent du chef d’oeuvre. D’abord les auteurs, gloire à eux, font le point sur des questions éthymologiques. Rien que le mot est chiant mais ça permet d’éclairer le regard historique biaisé que porte la société sur cette page de l’histoire allemande. En effet, les médias n’ont jamais nommés la Rote Armee Fraction autrement que « La bande à Baader » ou « La bande Baader-Meinhof », manière grossière de traiter une guérilla avant tout politique et idéologique comme un épisode crapuleux. A côté de cela prend place une reconstitution chronologique et intelligente des faits.
Maintenant, la référence à Che Guevarra. Ca apparaît évident dans le contexte des mouvements révolutionnaires allemands des années 60’s et 70’s. Qu’ils se réfèrent aux Tupamaros ou qu’ils s’inspirent directement des paroles du Che invitant à créer des Vietnams dans chaque pays. De plus, interrogé par des Américains qui se lamentaient de ne pas pouvoir participer à une bonne révolution, le Che leur répondit qu’ils avaient bien de la chance d’être au coeur du système parce-que c’est là qu’on peut lui faire mal. C’est en substance ce qu’a fait la RAF. Ils ont porté la guerre au coeur du système américain de défense, dans les bases américaines de République Fédérale d’Allemagne. Pour mémoire, l’attentat du 11 Mai 1972 dans le quartier général américain de Francfort a fait un mort (officier), quatorze personnes blessées et causé 872 000 dollars de dégâts, celui du 24 Mai 1972 au QG amerloque d’Heidelberg a fait 3 morts, 6 blessés et 130 940 DM de dégâts. Cela pour remettre les choses dans leur contexte et rappeler que la RAF c’était tout sauf de gentils rigolos. Ce qui sous-tend ces actions terroristes est l’opposition à la guerre du Vietnam, mais aussi la volonté de rétablir l’équilibre de la terreur en faisant aux américains ce qu’ils font subir aux Vietnamiens. Je ne fais pas l’effort de rappeler les exactions américaines au Vietnam, que celui qui a des doutes aille se faire empaler sur une bombonne d’agent orange. Il y a aussi à l’époque une volonté affichée de faire des petits, de donner l’exemple, de prouver que les Etats-Unis et les puissances occidentales ne sont en aucun cas invulnérables.
C’est cette volonté exemplaire qui va complètement foirer. Rappelons d’abord que les principales cibles de la RAF sont des grands magasins, des banques, des commissariats, des juges et des militaires et que dans les textes fondateurs du groupe il est clairement établi qu’en aucun cas des « civils » ne doivent être pris pour cible. Or, ce qui a certainement fait basculer le coeur de l’Allemagne, c’est l’attentat contre le groupe de presse Springer (des fachos, soit dit en passant). La bombe a explosé le 19 Mai 1972 et a blessé 34 ouvriers, dont 19 grièvement. A priori, l’alerte avait été donnée par téléphone et le patron a refusé de faire évacuer l’usine. Résultat : du pain béni, la RAF est stigmatisée comme une ennemie du prolétariat.
C’est la vague policière sans précédent alliée aux mesures d’exceptions prises par l’Etat pour mettre fin aux actions de la RAF qui va finalement couper la fraction armée de sa base de soutien. Cette dernière est issue principalement des mouvements contestataires étudiants. La répression policière est si féroce que presque tous rentrent bien sagement manger des gaufres chez maman. C’est on ne peut plus compréhensible, surtout au vu des traitements appliqués au prisonniers comme la privation sensorielle, reconnue aujourd’hui comme une forme de torture. Les personnes prédisposées au martyriat dans une société de consommation développée sont extrêmement rares. C’est vrai : on a moins envie de faire la révolution une saucisse dans une main et une bière dans l’autre que le ventre creux.
La RAF imaginait aussi que la brutalité de la répression policière mettrait la population de son coté en révélant la continuité du régime nazie dans l’appareil policier, judiciaire et étatique de la République Fédérale. Echec absolu, la population s’est terrée, années de plomb et répression etc… Finalement, seuls quelques membres des comités de soutien « Secours rouge », « Secours noir » et le « Comité contre la torture par l’isolement » ont finit par constituer les vagues suivantes de la RAF, alors que la cellule historique était toujours enfermée à la prison de Stammheim .
Ce qui est aussi fascinant dans ce livre, c’est l’analyse du parcours et de la radicalisation des membres de la RAF. De leur entrée dans la clandestinité comme manière de se couper toute retraite de se forcer à mener le combat jusqu’au bout. « La victoire ou la mort » en quelque sorte. Pratiquement tous sont morts .
Paru en 1987, ce bouquin ne fait pas la lumière sur le « suicide » des principaux membres de la RAF (notamment Andreas Baader, Jan-Carl Raspe et Gudrun Ensslin dans la nuit du 17 au 18 octobre 1977), beaucoup trop louche pour être admis comme tel. Pour les teutonistes, recherchez un numéro du Spiegel de septembre 2007 (n° 37), spécialement consacré à la question. Sinon, un livre vient de sortir sur cette énigme mais je pense que ça casse pas trois pattes à un canard : Stefan Aust : Der Baader Meinhof Komplex.
A noter aussi, la faille spatio-temporelle dans laquelle sont tombés les principaux textes de la RAF. Quelques-uns sont présents et analysés dans ce livre. Il est plus intelligent de se baser sur ces textes pour essayer d’expliquer cet épisode que sur les préjugés tenaces véhiculés à l’époque.
Pour finir ma petite note prêchi-prêcha, il me semble qu’en utilisant la violence en dehors de la légitime défense, ils ont fait une erreur. Même si, à l’examen des cibles visées, comme Hans-Martin Schleyer (président du syndicat des patrons et de l’association des industriels allemands et ancien haut responsable SS, assassiné par la RAF), mes yeux restent secs. Mais la violence apparaît comme une douloureuse connerie et l’on ne peut pas excuser l’assassinat de son chauffeur. Aucune tolérance ne doit exister pour les « dommages collatéraux ». Ou alors ça ne sert à rien d’être révolutionnaire, mieux vaut manger des saucisses (qu’on se mette bien d’accord : je n’ai rien contre les saucisses, j’en suis d’ailleurs un fervent partisan, même si je les soupçonne parfois d’être des agents de la contre-révolution).
Finalement, avec leurs idéaux élevés, leur discours construit et intelligent, ils se sont trompés sur quoi ? La méthode, et ils ont payé le prix fort. Le martyriat est une absurdité. La résistance se doit d’être rigolote, ne l’oubliez pas (cf. l’interview de Noël Godin). Un point aussi important que le fait de ne pas se faire choper ! D’où le titre, pinez les enfants, pinez ! La vie, la société et l’Etat ! Mais pas besoin de sortir la kalachnikov. Et puis, l’expérience l’a montré, l’Etat s’est développé à un point tel que l’attaquer frontalement c’est comme essayer de stopper un char d’assaut avec une banane, en moins drôle.
Pour finir, je me roule par terre de honte devant les auteurs pour avoir fait un compte-rendu aussi grossier de leur livre. J’en aurais volontiers fait une dizaine de pages mais comme personne ne les lirait...
Accessoirement ce superbe livre a été réédité aux éditions l’Echappée.
Dieu te pénisse et satan t’accule.