samedi 30 août 2008
Littérature
posté à 11h56, par
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L’un a été un vagabond hors-la-loi, casseur de coffre-fort et opiomane. L’autre fut un nationaliste revanchard, haïssant les communistes. Hormis un même talent pour l’écriture, rien ne semble rapprocher Jack Black d’Ernst von Salomon. Sauf que… Tous deux ont écrit sur la sauvagerie, celle qui conduit à la guerre, gouverne le système carcéral et mène notre société par le bout du nez. Hop !
Jack Black, le casseur de coffre-fort, et Ernst von Salomon, le salaud nationaliste, auraient quelque chose en commun ? Voyons…
A première vue, ils sont tellement vieux que leurs os ne nourrissent même plus d’aimables bactéries.
A deuxième vue, ils sont tous les deux écrivains. Talentueux, qui plus est. Ils ont écrit des « sornettes » autobiographiques savoureuses.
Pom pom pom…
Rien d’autre ?
Si : une corrélation s’est faite jour dans mon puissant cervelet. Car de manière détournée, ces deux auteurs évoquent la même chose, pas la même histoire, entendons-nous bien, mais le même phénomène.
Comme j’ai lourdement accouché de trois pages sur ce salaud de von Salomon, je me permets de faire le point sur Jack Black. Il s’enracine à la charnière du XIXe et XXe siècle. Il a écrit un livre dont le titre français est Yegg, terme d’argot qui veut plus ou moins dire « casseur de coffre-fort ». Black est un hobo, un casseur de hors-la-loi-pick-pocket-opiomane, et il raconte sa vie. Je crois qu’il suffit d’ajouter qu’il écrit bien pour donner envie de le lire. Précisons aussi qu’il a été une figure culte pour toute la contre-culture américaine.
Il raconte donc sa vie, ce petit farceur. Et à la fin du livre, tire les conclusions de son existence de malfrat et de ses démêlés avec la justice. Quoi qu’il en tire ? Qu’en traitant les gens comme des bêtes, on les rend cinglés. Et que la seul chose qui lui a permis de réintégrer la société est un putain de miracle : un procureur gentil. La confiance placée en lui par ce représentant des autorités a ému son petit cœur de malfaiteur et a fait appel à son sens très développé de l’honneur. Il n’a jamais replongé. Pari réussi1. Mais c’est l’exception qui ne confirme rien. En l’occurrence, le problème c’est la règle générale.
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La prison n’est pas une solution si l’on veut vivre en sécurité. Car elle crée tout bonnement des tueurs psychopathes. Pour la citation, tirée du livre de Jack Black :
Lao-Tseu, un contemporain de Confucius, a écrit « Gouverne ton royaume comme tu ferais cuire un petit poisson », pour nous recommander la modération en toute chose. « Plus les lois sont sévères, plus il y a de criminels ».
Un grand empereur chinois, fondateur de la dynastie Ming en 1386, suivit les conseils de ce philosophe et abolit la peine de mort. « Presque chaque matin, on executait dix hommes en public, écrivit l’empereur. Le soir même, une centaine d’hommes avait commis un crime identique. Lao-Tseu a dit : « Si les gens ne craignent pas la mort, à quoi bon les menacer de les exécuter ? » Je cessai d’infliger la peine capitale. J’emprisonnai les coupables et imposai des amendes. Moins d’un an plus tard, je sus que j’avais pris la bonne décision. ».
Un autre argument rigolo provient tout droit de ces abrutis de sociologues qui, reconnaissons-le, font parfois des expériences hyper-balèzes. Celle qui m’intéresse est de Philip Zimbardo, réalisée aux Etats-Unis dans l’université de Stanford. Le bougre a recréé une mini-prison dans l’espace de l’université et a choisi une vingtaine d’étudiants, rémunérés pour jouer pendant quinze jours qui le rôle de l’embastillé, qui le rôle du maton. Notons que ces étudiants ont été recrutés pour leur stabilité mentale et leur comportement sociable. Ce qui est arrivé ? Et bien… l’expérience a été arrêtée au bout de six jours parce que ça partait en vrille. Les matons se prenaient au jeu, les prisonniers en prenaient plein la gueule… Ça démontre bien la propension du système carcéral à créer des comportements violents et cruels ; et ce même dans une situation factice, avec des personnes totalement étrangères à ce genre de glauqueries.
Pour refermer la boucle, je touche du doigt la multiplication des centres de rétentions et le victimisme ambiant, la loi de l’indignation médiatique. J’ai un peu l’impression d’être aux jeux du cirque où on balance des quantités sacrifiables dans la fosse aux lions pour purger la société de ses envies de meurtre (conférez procès d’Outreau, braves gens). Ça n’a rien à voir avec la justice, c’est juste une parodie grotesque. Pour mémoire, la fonction de l’appareil judiciaire n’est pas seulement d’administrer une sévère correction au coupable mais aussi de lui permettre de retrouver le « droit chemin » (Beuark !!!). En bref, c’est de la couille en barre notre système judiciaire.
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J’en reviens à mon sujet premier : la relation entre von Salomon et Black. Pour moi, le trait d’union entre ces deux mecs vient dans cette prise en compte de la sauvagerie dans l’application du droit du plus fort, dans l’humiliation du « coupable ». Dans le livre d’Ernst von Salomon, Les Réprouvés, c’est le traitement de l’Allemagne au sortir de la Première Guerre mondiale qui est en question. Rappelons que le conflit fut une guerre totale, une guerre civile intra-européenne. Et que les vainqueurs ont ensuite fait leur petite popote idéologique avant d’assèner une vérité au monde : les teutons sont des barbares, des non-civilisés qu’il faut mater pour les empêcher de foutre en l’air la belle civilisation occidentale. Pour ceux qui se posent la question : Allemands, Français et autres pays européens impliqués ont tous été également dégueulasses dans la conduite de cette guerre. En fait, ce qui apparaît en filigrane dans Les Réprouvés, c’est que cette jeunesse nihiliste et nationaliste est fille du Traité de Versailles, qui est un beau modèle de dégueulasserie, soit dit en passant.
Pour moi, il y a une certaine continuité dans la conduite morale des affaires nationales et internationales. Tout est lié, je vous dis ! Monde carcéral en pleine expansion, guerres préventives et oppression des peuples vaincus. C’est la raison du plus fort (et du plus con). La société du risque zéro a lu son livre d’histoire en diagonale et va se faire émasculer pour prix de son inattention. Tout ça découle à torrent du sentiment d’insécurité croissant, du déni de la violence comme une réalité incontournable et comme partie prenante de l’existence. Le non-risque est devenu la Vérité. C’est un peu comme si les vieux tenants du « peace and love » s’étaient travestis en flippés armés de kalashnikovs pour qu’on vienne pas les déranger pendant leur film porno. Mais je m’égare...
Ce qui m’indigne, en dehors du critère moral qui n’a jamais pesé bien lourd dans la balance, c’est la stupidité de la chose. Le but est la sécurité, le moyen la cruauté, le résultat, à n’en pas douter, sera la sauvagerie. Le seul truc qui me fasse rictusser jaune dans cette histoire, c’est que les abrutis terrorisés qui subventionnent ces politiques n’ont pas fini d’avoir peur. A juste titre.
Spéciale dédicace à tous ceux qui regardent le monde à travers le tube cathodique et qui finiront cloîtrés dans un bunker à 17 portes à stresser au moindre bruit.
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NB : le livre de Jack Black, Yegg, est vraiment bon. Pour ceux qui s’intéressent aux formes de la violence contemporaine, je conseille La violence, de Michel Wieviorka, très bon aussi.
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Tant qu’on y est, je me demande si quelqu’un a des chiffres sur le pourcentage de meurtriers n’ayant jamais fait de prison avant leur premier meurtre. J’aimerais bien savoir s’il est possible d’établir une corrélation entre la peine (sa longueur, son lieu, etc…) et le pourcentage de récidive aggravée. Et ainsi établir dans quelle mesure la prison est un incubateur de violences extrêmes. Alors ?
1 Un parcours qu’on rapprochera de celui d’Edward Bunker, autre écrivain génial miraculé de l’expérience carcérale. Article 11, sous la plume de Lémi, en a déjà parlé ici. A lire ou à relire…
2 Image tirée de Das Experiment, film basée sur cette expérience de Stanford menée par Philip Zimbardo.
3 Ce tableau est oeuvre d’Oswaldo Guayasamin, un peintre équatorien.