mercredi 7 octobre 2009
Le Cri du Gonze
posté à 15h01, par
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Non, ce n’est pas un électron libre surgi de nulle part, un mutant sans racines. Et, n’en déplaise à ceux qui pensent le contraire, ce n’est pas un abruti fini en matière de communication. Si F. Lefèbvre est une telle tête à claques, c’est le fruit d’une mise en scène habile et l’aboutissement logique d’une histoire à rebondissements. Retour sur la construction d’un animal politique hybride.
On s’échinerait en vain à chercher dans notre belle histoire hexagonale la toute première manifestation de tête-à-claquisme stratégique. Sûrement quelque australopithèque ramenant un peu trop sa gueule après une chasse au mammouth difficile, afin d’être exempté de la prochaine chasse. Ou un quelconque monarque mérovingien engueulant un cousin lors d’un voyage en char à bœuf afin de précipiter un conflit familial souhaité. Nul ne sait exactement. Car, si la tête à claque existe par définition depuis la nuit des temps (« Ecce homo »), sa déclinaison politique, si usitée de nos jours, est longtemps restée un phénomène peu connu, boudé des scientifiques et des communicants politiques. Grave erreur.
Bien sûr, à l’aune de ta propre vision des choses, ami lecteur, la tête à claques pullule forcément dans ton univers : tu ne rêves que de Ségolène bastonnée en place publique, d’Hortefeux et d’Alliot-Marie suppliciés en place de grève, voire de l’ensemble du gouvernement dissout dans un bain d’acide. Pour toi, ces gens-là incarnent peut être ce qui se fait de plus pur en matière de tête à claques (je ne te le cache pas : en ce cas, nous partageons quelques atomes crochus). Une invitation impérieuse à la torgnole vengeresse. Mais ça ne compte pas. Car - aussi étonnant que cela puisse paraitre - ces gens-là ne cherchent pas intentionnellement à susciter ton ire, suffrage universel oblige. Ils te courtisent même, recherchent ton assentiment. Le lion qui t’arrache la carotide en jouant n’est pas animé de mauvaises intentions, simplement maladroit…
De même, il convient de dissocier la tête à claque médiatique, qui jamais ne se confronte au suffrage universel, à celle œuvrant uniquement dans le monde politique. De Zemmour à BHL, le champ médiatique a vu se positionner toute une armée d’huitres inutiles suintant la suffisance et capables de susciter la désapprobation du plus arriéré des consommateurs quotidiens de télé-achat. Si leur prolifération sans précédent marque également un âge d’or du tête-à-claquisme, il ne faut pas oublier que ceux-là, hors exception, ne se destinent pas au champ politique. L’avenir nous réserve surement quelques merveilles à ce sujet (on me murmure en studio qu’un ticket BHL-Ségo est envisagé pour les prochaines présidentielles), mais ne plaçons pas le bébé avant l’eau du bain, la charrue avant les œufs, notre démonstration se veut scientifique plus que prophétique.
Clémenceau en son temps aimait à dire à propos de Georges Mandel, celui qui lui servait de fidèle homme de l’ombre : « Quand je pète, c’est Mandel qui pue. » Comme tout homme politique qui se respecte, Clémenceau s’était construit un paravent humanoïde, une sorte de parapluie bipède déviant admirablement les coups que lui-même aurait dû recevoir. Chirac faisait pareil : en période de tempête, il sortait son Raffarin, guignol éléphantesque et aimant à injures. Parfait pour dévier les invectives hors de son orbite. Mitterrand avait son Fabius, abonné aux mauvais rôles et paratonnerre adapté pour qui enterrait en temps réel l’idéal socialiste. Et Sarkozy, digne fossoyeur de nos restes ténus (microscopiques) de confiance en l’idéal républicain contemporain a quant à lui adapté le nec plus ultra en matière de tête à claque, celui qui partout sur son chemin sème huées et désapprobations : Frederic Rastignasse Lefèbvre. Un must en la matière. L’équivalent contemporain de cette marionnette qui, dans Guignol, parvient toujours à se faire huer des enfants, sa méchanceté intrinsèque formant l’essence même de son personnage.
Au final, si les historiens s’écharpent encore pour déterminer l’origine de ce curieux phénomène politique dont même Machiavel n’avait su percevoir le potentiel, il apparait probable que le tout premier homme à s’être véritablement construit une identité 100% tête à claques et à avoir su en jouer en virtuose est l’horripilant et omniprésent Lefèbvre. Si parfait dans son rôle de roquet hargneux que même Laurent Joffrin s’en offusquait dans un récent éditorial (faut-il qu’il ait exagéré pour incommoder ainsi notre placide champion du ralliement mou). Impossible d’énumérer toutes ses sorties intempestives, ses invitations à la haine. Qu’il appelle à la castration, dénonce le « stalinisme » de la récente votation citoyenne à La Poste ou déclare que « la dénonciation est un devoir républicain » (trois exemples piochés dans une galaxie très bien fournie), il se positionne toujours, immanquablement, en cible parfaite à tes vociférations. Faire-valoir du prince, il permet par sa noirceur absolue d’oublier celle, moins affichée (en comparaison), de son maitre.
Qui est encore assez naïf pour croire que ce rôle de roquet n’a pas été taillé sur mesure ? Pour penser que ceci relèverait d’une communication mal maitrisée ? Le calcul est pourtant fort simple : plus Lefèbvre est détesté, moqué, plus il consolide sa position (Sachant qu’il y a peu de limites à l’exercice. « La vérité, c’est qu’il y a une quantité incroyable de gouttes qui ne font pas déborder le vase », rappelait Émile Ajar dans le merveilleux Gros Câlin). Les injures qu’on lui destine devraient s’abattre sur d’autres, au premier rang duquel le petit Nagy Bosca. Las ! Elles s’écrasent sur ce paravent multi-fonctions. Ces autres-là lui en savent gré. Peu susceptible de décrocher électoralement les postes adaptés à ses ambitions démesurées, il les obtiendra indirectement. Derrière, toute une bande glapit à ses trousses, désormais convaincue qu’être détesté n’est pas un si mauvais calcul. Besson (tête-à-claques de tout premier ordre) et Hortefeux s’activent, MAM suit la langue pendante, tous surjouent les mauvais rôles, mais ils ne sauraient égaler la virtuosité tête-à-claquière (également parachevée au niveau physique et capillaire par une ganache digne des pires séries B) du grand manitou de la détestation.
Corolaire inévitable à cette démonstration : s’il veut que je le déteste, s’il fait de ma haine son fonds de commerce, alors merdre !, je n’en parlerais plus. Jamais. Croix de bois, croix de fer, si je mens aboule ton commentaire.