mercredi 26 août 2009
Le Cri du Gonze
posté à 10h34, par
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Il fallait bien en passer par là, pas le choix. Trop longtemps qu’on renâclait, qu’on repoussait le sujet aux calendes grecques : il était plus que temps de prendre à bras le corps l’épineuse et si signifiante question des goûts musicaux présidentiels. De cette boue artistique, on a cherché le fil directeur, le point d’ancrage. À force de tirer sur la pelote, un référentiel s’est imposé : Néron.
Allez au fond de l’histoire : Néron est un pluriel. »
(Victor Hugo)
On ne le dira jamais assez : l’oreille fait l’homme. Ca ne date pas d’hier, on le sait depuis Néron. Tyran sanguinaire, psychopathe pyromane, NERO CLAVDIVS CAESAR AVGVSTVS GERMANICVS régnait sur l’Empire Romain en prétendant imposer ses – mauvais – goûts à l’ensemble de ses contemporains. Sorte de Carla Bruni avant l’heure, le poil au menton en sus, il infligeait aux pauvres hères composant sa cour des concerts et déclamations poétiques à n’en plus finir, séances de torture (bien peu) raffinées qui se multipliaient à mesure que sa mégalomanie grandissait. Suétone, historien romain et colporteur de ragots en chef, rapporte ainsi que ces séances interminables, obligatoires pour les gens de haut rang, poussaient de nombreux spectateurs à feindre la mort pour être évacués, seule manière d’échapper au supplice1. Il y a des stratégies d’évitement qui vous posent un fiasco artistique, mine de rien.
L’oreille, donc, fait l’homme, c’est indéniable. Néron chantait comme une passoire, avait des goûts artistiques abominable et, comme de juste, était un méchant homme : entre autres méfaits de haut rang, on citera l’éviscération de sa chère mère, Agrippine, l’empoisonnement de son frère Britannicus, l’étripage méthodique des chrétiens, ou bien l’ébouillantage dans les règles de la pauvre Octavie2.
Néron, pour tout musicologue qui se respecte, préfigure cette malédiction qui toujours allait se manifester au cours de l’histoire : le mauvais goût des puissants. Pas un pour démentir la règle. Hitler aimait Wagner, et c’est tout, ce qui prouve bien des choses. Louis 14 baillait pendant les pièces de Molière. Pinochet fit torturer Victor Jara. Valéry Giscard d’Estaing tenait Yvette Horner pour la Jimi Hendrix hexagonale. Et il se murmure dans les cercles bien informés que Frederic Lefèbvre aurait un faible pour André Rieu, son alter ego capillaire… Dans cette liste, exemples multipliables à l’infini, il en est un qui tient une place toute particulière, s’impose au top du top de l’horreur artistique. Ce roi du fiasco créatif, c’est bien évidemment le petit Nagy Bosca.
On le sait depuis le jour de son élection, Sarkozy est sans conteste l’avatar moderne de Néron, sa descendance la plus fidèle. Vingt siècles après son mentor, il rivalise ardemment en matière de déconfiture esthétique. Il n’y avait qu’à voir cet aréopage d’artistes maudits rassemblés le 6 mai 2007 - soir de victoire ou d’abominable défaite, c’est selon - pour s’en rendre compte : Mireille Mathieu, Faudel, Enrico Macias, Johnny, tous unis dans la fausse note pour clamer leur bonheur… On pleurait, ils paradaient, symptômes disgracieux d’une néronite collective aiguë qui n’allait avoir de cesse de monter en puissance. Le mélomane égaré parmi cette foule, plutôt que de feindre la mort, se la serait sans doute donnée illico.
Passer en revue les goûts musicaux de Sarkozy, c’est s’exposer à une déferlante paralysante de références tartignolles. On n’en dressera pas la liste complète, elle est interminable, connue et déprimante. Contentons-nous de relever quelques anecdotes qui à elles seules font sens, ancrent l’impudent présidentiel dans une néronitude indéniable autant qu’accablante.
Deux ou trois choses que je sais de ses goûts musicaux
× Le chanteur préféré de Nagy Bosca, Michel Sardou, outre les laaaaaaacs du Conemara, a chanté de sa petite voix décrépite deux thèmes chers à la France rance : son amour de la peine de mort et de la Talion’s law, d’abord, dans l’atroce « Je suis pour » » (« Tu n’as plus besoin d’avocats, j’aurais ta peau, tu périras. (…) Les philosophes, ces imbéciles, te pardonneront, mais pas moi. ») qui restera dans les annales comme une des chansons les plus glauques de la deuxième moitié du 20e siècle ; puis son amour des colonies Y’a bon, quand le bon colon pouvait tranquillos se larver au soleil en lutinant des girondes gazelles peu farouches, ainsi qu’il le chantonnait sans honte dans « Le Temps des Colonies » : « J’avais plein de serviteur noirs et quatre filles dans mon lit, au temps béni des colonies. » Le message, on ne peut plus clair, fait étrangement écho au tristement célèbre discours présidentiel de Dakar, glaviot glaireux sur l’incapacité de l’homme noir à « entrer dans l’histoire ». L’homme africain, accroupi et paresseux, attend son maître blanc puisqu’il ne peut forcer sa nature (parfois, seulement, il sort de sa torpeur pour engrosser sa congénère de sa bite affameuse, ainsi que le rappelait délicatement un autre artiste sarkozyste, le sémillant Pascal Sevran). Chez Sardou comme chez Sarkozy & Sevran se trouvent intimement mêlés le manque de goût et le racisme latent, toujours prêts à surgir. Nul doute que Néron, en son temps, aurait fait du chanteur un compagnon de bœuf…
× On remarquera que dans « Tellement N’brick », le jeune sauvageon Faudel, très petit prince du raï, se permet des privautés tout ce qu’il y a de plus dangereuses sur un scooter volé et que la police semble aux abonnées absentes. On nous permettra de s’offusquer de cette troublante impunité dont semblent bénéficier les proches du président en matière de scooters.
× On notera aussi, en passant, que, de très nulle et soporifique, la musique de l’épouse présidentielle est devenue encore plus nulle et soporifique3. On retrouve ici parfaitement la loi d’airain de l’art selon Néron : plus un artiste s’approche du pouvoir, plus ses œuvres sont désolantes de nullité. On regrettera fugitivement que le président en fonction ne se frotte pas à l’exercice musical, histoire de parachever notre hypothèse, avant de se raviser : notre amour de la science ne va pas jusque-là.
× En janvier 2009, Didier Barbelivien, chanteur obscènement mou que l’on qualifiait déjà de vieillissant à ses débuts, parolier de Gilbert Montagné (ce qui, mine de rien, vous pose un parolier), a été décoré de la légion d’honneur sur ordonnance présidentielle.
× Doc Gyneco, le rappeur le plus lent et demeuré de l’univers, coucha sur le papier son idylle présidentielle, dans le très justement nommé « Les grands esprits se rencontrent - Sarkozy et moi, une amitié au service de la France ». On notera, vidéo en bandoulière, que le bougre a toujours fait preuve d’une finesse d’analyse indéniable en matière de politique, puisqu’il déclarait à propos du FN : « Un parti de ce genre-là au pouvoir, alors là, ça doit être génial. » On ne peut ici que paraphraser le morne et stupide artiste : « Va voir, va voir le docteur, non n’aie pas peur », chantonnerait un chœur mesquin jugeant bon de tirer sur l’ambulance.
× Quand Barack Obama déclare aimer Stevie Wonder, Sarkozy répond Bruni & co, et s’offre même le luxe de snober la prestation dudit (grand) Wonder. On en a supplicié pour moins que ça.
× Le 6 mai 2007, à 23 h 32 précises, une certaine Mireille Mathieu éructait une adaptation particulièrement chuintante de « Mille Colombes ». Au même instant, exactement, un bon millier de diapasons explosaient dans un magasin de musique des environs de la place de la Concorde. Le phénomène reste encore inexpliqué : suicide collectif ?
× Le parti à l’origine d’une certaine loi HADOPI s’est fendu d’une proposition très généreuse, 1 € de dédommagement, au groupe MGMT dont une chanson avait été bassement piratée à l’occasion de plusieurs meetings. Il y aurait donc droit d’auteur et droit d’auteur ?
Le reste est connu et ça commence à me fatiguer. Je ne parlerai donc ni du Fouquet’s, parfaite illustration du concept vide de goût de l’orgie romaine, ni de Gilbert Montagné qui fricote avec Nadine Morano, ni de la soit-disant intrusion carlabrunienne dans la discothèque Sarkozy, basse opération de comm visant à faire croire que les oreilles présidentielles seraient sauvable (c’te blague). Je me contenterai, pour finir en beauté, de citer - longuement - Petrone, qui apostrophait ainsi Néron dans une lettre aux résonances toutes contemporaines :
Mais, dans la vie, il est des choses que je m’avoue incapable de supporter plus longtemps. Oh ! ne crois pas, je t’en prie, que je sois indigné de ce que tu as tué ta mère, ta femme, ton frère, brûlé Rome et expédié dans l’Erèbe tous les honnêtes gens de ton empire ! Non !, petit-fils de Chronos ! La mort est la destinée de l’homme, et l’on ne pouvait, d’ailleurs, attendre de toi, d’autres actes. Mais, de longues années encore, me laisser écorcher les oreilles par ton chant, voir ton ventre domitien sur tes jambes grêles se trémousser en la danse pyrrhique, entendre tes déclamations, tes poèmes, pauvre poète des faubourgs, voilà ce qui est au-dessus de mes forces et m’a fait désirer la mort. Rome se bouche les oreilles, l’univers te couvre de risées. Et moi, je ne veux plus, je ne peux plus rougir pour toi. Le hurlement de Cerbère, même semblable à ton chant, mon ami, m’affligerait moins, car je n’ai jamais été l’ami de Cerbère, et n’ai point le devoir d’être honteux de sa voix. Porte-toi bien, mais laisse là le chant ; tue, mais ne fais plus de vers ; empoisonne, mais cesse de danser ; incendie des villes, mais abandonne la cithare. Tel est le dernier souhait et le très amical conseil que t’envoie l’Arbitre des élégances.
Et moi, je ne veux plus, je ne peux plus rougir pour toi. Pas mieux.
1 En passant, je m’interroge – combien de spectateurs firent de même au radio city hall de New York pour la prestation de Carla Bruni à la Mandela Party ?
2 Pour compléter la liste, lire les 12 vies de César de Suétone, tissu d’affabulation mais très poilant. Sinon, on peut aussi aller voir ici.
3 Au passage, rappelons que le Times, après le concert new-yorkais donné par la supposée belle, critiquait vertement sa voix « figée » « comme son visage » et compara sa voix à « une conversation d’oreiller », concluant en ces termes : « Carla Bruni est peut-être la Première dame de France, mais elle n’a aucune chance de devenir une grande diva. »