vendredi 7 mars 2014
Entretiens
posté à 22h43, par
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Forcément sédentaire, le cinéma ? Condamné à la pesanteur molle des UGC et aux diktats des réseaux de diffusion ? Pas obligatoirement, répondent les aminches du Cinéma Voyageur. Eux ont décidé d’inverser la tendance, d’insuffler un vent de nomadisme dans un univers aux pieds de plomb. Retour sur une expérience itinérante qui se déploie loin des multiplexes. Très loin.
La recette paraît simple. Elle l’est : un camion, un chapiteau, du matos de projection, des films à diffuser. Et basta, roule le cinéma. Pas de subventions, de partenariats à la con ou de tractations à rallonge avec les institutions. Juste une bande de potes et potesses rompus aux ficelles du système D et retroussant leurs manches pour désenclaver l’idée même de cinéma, lui rendre sa fonction itinérante et impertinente. Dit autrement : « Faire les films différemment du système de production habituel et les partager librement avec le public. »
Cela fait quatre ans que, chaque été, le camion du Cinéma Voyageur prend la route, libre comme l’air, nomade comme Attila. Lesté de films indépendants, il sillonne les routes hexagonales en quête de lieux (souvent paumés) où poser un écran et inviter les habitants à assister aux projections. Trois mois d’errance cinématographique, entre poussière du chemin, Do it yourself et conviction bien ancrée qu’envisager un cinéma « différent » implique de reprendre en main la manière dont il est diffusé. Dont acte.
En novembre dernier, le fidèle camion du Cinéma Voyageur, frère de sang de cette ravissante Gigi qui transbahutait la revue Z, a fini par rendre les armes – paix à son âme. Il a fallu le remplacer. Une dépense un chouïa trop élevée pour un projet totalement bénévole qui, faute de subventions ou d’appels à dons réguliers, tourne déjà à perte. Les cinéastes itinérants s’en remettront (ils en ont vu d’autres), mais leurs comptes sont dans le rouge, voire dans les choux. Si d’aventure l’entretien ci-dessous vous paraît convaincant, la page de soutien est ICI.
Comptes à sec ou pas, les protagonistes du Cinéma Voyageur n’ont aucune intention de baisser les bras. Ainsi de Florian, qui fait partie du projet depuis ses débuts : à l’approche de la cinquième tournée, il pourrait présenter des signes d’essoufflement, de lassitude. Mais non. Entre deux vitupérations sur ces sagouins de Frères Lumière1, quelques considérations sur son film Mouton 2.02 et trois verres d’une poire vicieuse, il revient ici sur les soubassements d’une aventure collective réjouissante. Moteur (à explosions) !
- Les photographies illustrant cet entretien sont signées Cinéma Voyageur. Celle-ci est l’œuvre de Jérémie Lortic
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Comment en êtes-vous venu à cette idée d’itinérance ?
Le Cinéma Voyageur est né en 2010, dans la continuité d’une association intitulée Synaps Collectif Audiovisuel, qui depuis 2007 se consacre à diverses activités : réalisation, soutien à d’autres films, ateliers ou formations vidéos et insertion professionnelle. Tout cela avec l’envie de sortir des modes de création habituels en matière d’audiovisuel et de cinéma.
Certaines personnes impliquées dans Synaps avaient réalisé un film de fiction coûteux (à notre échelle), Carnets de rêves3. Un projet dont j’étais partie prenante. Après l’avoir tourné, on s’est dit : « Si on suit la voie « normale », ce court-métrage sera peut être sélectionné dans deux ou trois festivals, puis on le diffusera sur Internet, et ce sera tout. Point final. » Un constat d’échec, en quelque sorte. Parce qu’il n’y a pas d’autre alternative en matière de diffusion. Sauf quand tu es produit par une chaîne qui ensuite diffusera le film, mais il s’agit alors d’une toute autre économie. Et puis, dans ce cas, le film passe généralement à minuit avec une diffusion unique, et la chaîne en détient les droits, ce qui bride toute autre possibilité de diffusion.
Bref, on avait envie de trouver autre chose pour faire vivre ce film, de l’emporter dans nos sacs à dos. Parce que l’idée d’être scotchés derrière nos ordinateurs en surveillant le nombre de vues sur une plate-forme vidéo ou en attendant les réponses des festivals nous semblait trop déprimante. C’est comme ça qu’est né le Cinéma Voyageur.
Il s’agissait donc de reprendre le contrôle en matière de diffusion...
Sur Carnets de rêve, j’étais chargé de la production, de trouver des financements. Quand j’ai commencé à m’en occuper, j’étais très critique envers le système de production. J’étais persuadé que l’omniprésence des merdes et trucs normés en salles et à la télévision était la conséquence d’un manque de prise de risque en matière de production. Aujourd’hui, je n’en suis plus si convaincu. Parce qu’après après avoir écumé les festivals pour rencontrer des gens, je me suis rendu compte que le problème réside d’abord dans la diffusion : des choses très bien sont produites, mais elles prennent la poussière sur des étagères ou ne sont diffusées qu’une fois ou deux devant un public assez homogène.
Autre point fondamental : c’est par la diffusion que se jouent les financements. Parce que c’est ainsi qu’on peut retomber sur ses pieds et relancer un nouveau film. Et même quand l’argent est secondaire, comme dans notre cas, le fait de ne pas être vraiment diffusé finit par se révéler usant. Comment avoir le courage de ressortir la caméra si tu as fait un bon film et que personne ne l’a vu ?
Comment s’est mis en place votre projet ?
Au début, nous avons récupéré un vieux barnum ; l’idée était de le monter dans les festivals et d’y montrer nos films. On a commencé à en parler autour de nous, à en discuter dans nos réseaux. Et notre projet s’est affiné au fil du temps. Si bien qu’on a fini par acheter un camion et une caravane. Et voilà , c’était parti.
C’est seulement une fois les choses lancées que nous nous sommes renseignés sur l’aspect juridique : est ce qu’on risquait d’être emmerdé ? On a vite compris que non.
Et pourtant, il n’y a pas grand monde pour se lancer dans ce type de projets. En fait, ceux qui se frottent à l’itinérance en cinéma, hors quelques cas isolés, se placent dans une toute autre optique que la nôtre : il s’agit de gens subventionnés par le CNC, qui tournent l’été dans les lieux où il n’y a plus de cinémas et qui diffusent les films sortant en salle – soit en plein air soit en salle des fêtes. Tout ça est très classique.
C’est pourtant une démarche qui a une longue histoire...
En effet. J’ai fait quelques recherches sur l’aspect historique du cinéma itinérant, et j’ai découvert des choses fascinantes. Je savais déjà que dans ses débuts, pendant quelques années, c’était un art diffusé par des forains, qui projetaient des films en itinérance. Mais j’ai appris en creusant le sujet qu’il y avait des familles qui s’en sortaient spécialement bien. Et notamment la fratrie Pathé, laquelle a inventé le métier de distributeur. Les Pathé ont incité des gens à s’installer en fixes en leur vendant des projecteurs, tandis qu’eux restaient itinérants. Et ils se sont donc positionné en intermédiaires, en utilisant leur réseau. En clair : ils ont racheté des copies à des gens qui faisaient des films et les ont louées à des cinémas fixes. Les cinémas en dur se sont alors multipliés, dans toutes les communes. En l’espace de quelques années, le cinéma forain est devenu anecdotique ; Pathé l’a anéanti. Dès 1913, c’était plié.
Sans le savoir, on a choisi l’itinérance pour les raisons même qui ont provoqué sa mort. Pour nous, il s’agissait de se passer de distributeur, de pouvoir diffuser nos films ou ceux des copains sans intermédiaire. Comme les forains à cette époque. On ne l’a pas fait par nostalgie, mais au final on s’inscrit dans ce fil.
Comment sélectionnez-vous les films diffusés ?
Les films qu’on projette n’ont pas de distributeurs. Ils sont hors-circuit, ne font absolument pas partie de l’industrie cinématographique. En clair : ils n’ont pas de numéro de visa CNC.
Et c’est justement cela qui nous permet de nous poser n’importe où sans être emmerdés : on explique qu’on présente des Å“uvres artistiques, et pas cinématographiques. C’est un excellent paravent juridique. Si on s’installe à deux pas d’un cinéma, il ne peut rien nous dire. En fait, nous n’avons pas à traiter avec le CNC, nous répondons juste du Code de la propriété intellectuelle. Il nous suffit donc d’avoir l’accord des auteurs des films projetés.
Quant au choix des films, il ne correspond pas à une ligne tranchée. En tournée, on présente souvent la démarche du Cinéma Voyageur en évoquant une envie commune – celle de faire des films différemment du système de production habituel et de les partager librement avec le public. Ça résume plutôt bien notre approche. Et cela renvoie également à notre volonté de défendre le principe des licences libres, de type Creative Commons et Art Libre. Notre objectif ? Faire tomber le maximum d’obstacle à la diffusions des films. C’est d’ailleurs ce qu’on dit au public : si certains veulent rediffuser des Å“uvres de leur côté, on voit ça d’un très bon Å“il.
On tient également beaucoup à montrer que n’importe qui peut porter un projet semblable au nôtre – il ne faut surtout pas avoir peur du côté juridique, administratif ou financier. Il est possible de se lancer à l’arrache, de partager des films comme on le fait sans que ce soit trop compliqué.
Qu’apporte votre approche que ne permettrait pas une diffusion plus classique ?
Dans le cinéma, l’acte de création est déconnecté de l’acte de diffusion. Ce n’est pas un spectacle vivant. Et tu n’as pas de lien direct entre la personne qui fait et celle qui reçoit. Tu n’as pas cette énergie que tu pourrais, par exemple, avoir dans la musique en jouant sur scène. Nous essayons justement de casser cette séparation avec le public.
On ne l’a jamais vraiment intellectualisé, mais cet aspect a toujours été présent dans le Cinéma Voyageur. Avec l’idée qu’on allait vraiment montrer nos Å“uvres au public, qu’on serait avec lui, qu’on se les prendrait dans la gueule à ses côtés. Une manière de briser l’isolement, de se mettre en danger.
Ce raisonnement n’a rien de quantitatif. On oublie l’obsession pour le nombre d’entrées et on se recentre sur autre chose. Notre but n’est pas de plus montrer, il est de montrer différemment et à d’autres gens. On approche de notre cinquième tournée, et on pourrait enquiller des séances à trois cents personnes en choisissant les lieux et les films qui vont bien. Mais plus le temps passe et plus on a envie de se prendre ce qu’on appelle des « râteaux ». C’est-à -dire aller se poser dans des villages où on n’est pas attendu et où on ne connaît personne.
De manière générale, on s’installe dans des endroits où il n’y a pas de cinéma. Et s’il y en a un, il diffuse des choses très convenues. On a compris que c’était souvent plus intéressant d’avoir des spectateurs qui n’ont jamais été en contact avec des films différents, qu’ils soient « engagés » ou « expérimentaux ». Le choix des films se fait sur place, en essayant de ne pas verser dans la complaisance, ni dans une radicalité susceptible de provoquer une rupture avec les spectateurs. Parfois, on essaye d’aller crescendo, de diffuser d’abord des créations « tous publics » avant de surprendre davantage.
Mais tout n’est pas improvisé. Avant de partir en tournée, on met en place une pré-programmation – soit dix à quinze films qu’on emporte dans nos bagages, ainsi que ceux diffusés les années précédentes. Comme les membres du Cinéma Voyageur se relayent pendant ces trois mois de tournée, ce sont les personnes présentes qui choisissent, au coup par coup et selon l’énergie du moment, la programmation du jour.
Comment décidez-vous du parcours de la tournée ?
La première n’avait pas un trajet très rationnel. C’était un tracé en étoile, plutôt aberrant d’un point de vue écologique et économique, et très usant.
Comme nous faisons entre trente et quarante dates par tournée, nous sommes obligés de nous organiser un minimum. Après cette première tournée en étoile, on a donc décidé de faire les choses plus rationnellement : on s’y prend tôt, on démarche à l’avance et on évite les longs trajets entre chaque date. Mais on tient quand même à préserver une part d’imprévu : il y a toujours un bon tiers des dates qui s’improvisent sur le moment. Au fond, on aime bien ce que ça implique : chercher un bled, se faire envoyer sur les roses par l’adjoint au maire, repartir pour le village voisin, négocier sur les conditions de projection, etc.
Ça nous arrive de nous pointer le matin même à la mairie et de négocier. En général, ça s’avère compliqué avec les communes de plus de deux mille habitants, qui ont un programme à respecter. Mais les petits bleds sont souvent contents de voir débarquer une animation gratuite. Et si l’un refuse, il suffit souvent de retenter le coup dans le village voisin. Et si ça plante aussi, on passe par des particuliers motivés, qui ont une cour intérieure ou un petit terrain, ou par l’intermédiaire d’une association. On finit toujours par trouver.
Comment dégottez-vous les financements nécessaires à la tournée ?
Quand on se pose quelque part, on met une boîte « prix libre » à l’entrée du chapiteau. Ça permet de récolter un peu d’argent, sans que les gens se sentent obligés de participer – on ne poste pas quelqu’un à côté de la boîte.
Notre époque voit se multiplier les événements coûtant des millions mais qui sont gratuits pour le spectateur, grâce à des subventions où à l’apport du privé. Nous expliquons donc toujours aux gens que nous nous situons pas dans ce cas, que nous ne touchons aucune subvention. Ce n’était pas forcément un choix au départ mais ça l’est devenu - aujourd’hui, on le revendique. Les choses sont donc claires et faciles à expliquer. Notre discours file à l’essentiel : « Vous voyez ce qu’on fait ? Et bien, pour qu’on puisse continuer, pour mettre de l’essence dans le camion, pour manger, pour réparer ce que vous voyez, il nous faut un peu d’argent ».
Nous sommes tous bénévoles sur ce projet. Ça nous fait parfois passer pour des amateurs au sein du milieu culturel. Mais ça facilite pas mal de chose du point de vue de l’organisation et de son horizontalité. Dans l’équipe du Cinéma Voyageur, les profils sont très variés : certains sont réalisateurs ou techniciens, d’autres ont des tafs qui n’ont rien à voir avec le monde du cinéma ou de la culture. De même, certains sont salariés par ailleurs et posent des congés pour venir sur le tournée, et d’autres sont intermittents, artistes indépendants, chômeurs ou au RSA.
De toute manière, le Cinéma Voyageur tourne à perte. L’argent qu’on récolte permet juste de manger, de payer l’essence et de financer les frais de la tournée, la communication et les petites réparations. Pendant le reste de l’année, on loue le matériel dont on dispose, histoire d’essayer de le rentabiliser. Et on organise parfois de petits événements, par exemple des concerts de soutien. Enfin, on taffe également ensemble dans les mois qui précédent la tournée, en participant à des projets où il y a un peu de thunes. Mais tout ça ne nous amène pas à l’équilibre : grosso modo, nous devons mettre de notre poche environ deux mille euros par tournée. Ce n’est pas une économie viable.
Nous n’avons jamais fait d’appel à dons sur une base régulière. Parce qu’on sait bien que si on faisait du crowdfunding, l’argent récolté viendrait surtout des potes ou de la famille. On préfère le principe de l’entrée à prix libre, c’est plus direct et humain.
Il nous est arrivé une fois de lancer un appel à dons, en plein milieu d’une tournée : la pompe à injection du camion avait lâché et il nous fallait mille euros pour continuer. On les a eus.
En octobre dernier, notre camion a rendu l’âme. On ne l’avait pas payé très cher, et il a clairement assuré - quatre tournées pour un vieux Ford Transit chargé à ras-bord et traînant une caravane, c’est costaud !
On en a racheté un dans la foulée, parce qu’on a l’avantage avec Synaps (l’association qui porte le Cinéma Voyageur) de disposer d’un peu de liquidités. Mais ce sont des arrangements comptables et il nous faut rembourser cette somme - le camion coûtait cinq mille euros. Voilà pourquoi on a décidé de relancer une campagne de dons. L’idée est d’en mettre un coup pour rembourser cette somme avant notre prochain départ, en juin4.
Quel genre de public cherchez-vous à toucher lors des tournées ?
Dans l’idéal, des gens qui ne sont pas forcément des connaisseurs : on ne veut pas toucher que les militants ou les cinéphiles. Et ce n’est pas simple. Sur certaines dates, on a l’impression de faire exactement ce qu’on attendait de nous, de nous complaire entre convaincus. Mais d’autres dates nous donnent le sentiment contraire - on est alors ravis, parce que des pistes s’ouvrent.
En fait, on aime bien quand des gens semblent arriver de nulle part. Quand ils nous disent : « Je ne savais pas que ce genre de films existait. » Dès la première année, il y a eu des moments de ce genre. Par exemple des spectateurs nous confiant que c’était la première fois qu’ils voyaient des films sous-titrés, et s’étonnant : « Je croyais que ce serait plus dur à suivre avec les sous-titres, mais en fait ça fonctionne... »
On souhaite aussi ne pas se focaliser sur la projection elle-même et sur la discussion collective qui suit. Ce n’est pas toujours le meilleur moment pour créer le débat. Beaucoup de gens repartent sans parler, parce qu’ils n’ont pas aimé les films ou n’ont pas l’habitude de prendre la parole en public. Mais il y a de nombreux autres moments propices : des discussions près de la table où on fait de la diffusion, ou bien autour d’un verre à la sortie du chapiteau...
Il y a des endroits où trente personnes viennent voir la projection, mais où on on touchera cent personnes dans la journée. Des gens intrigués, qui avaient envie de discuter. Ou qui sont venus regarder les DVD et les livres présents sur les tables. Ils flânent, n’ont pas envie de se poser devant un film. Peu importe, l’échange reste intéressant.
En un sens, c’est cette dimension informelle qui donne du sens à notre démarche. C’est ce qui différencie le fait de regarder un film tout seul chez soi, voire de le regarder au cinéma, et ce qu’on fait. Quand les gens se rendent au Cinéma Voyageur, ils ne savent pas quel film ils vont voir. Ils ont juste pris le prétexte de cette projection pour sortir. Et certains se retrouvent à rester trois heures alors qu’ils avaient prévu de ne passer que dix minutes sur place. Ils rencontrent d’autres gens, regardent des films, feuillettent des livres, etc. Aller voir une séance en salle ne permet pas ça.
Les choses étaient différentes il y a quelques décennies. Il restait alors beaucoup de petites salles dans les villes, et chacune proposait un programme et une atmosphère différents - souvent marqués par la personne qui tenait la salle, assumant ses choix et les défendant subjectivement. C’est quelque chose qui a quasiment disparu aujourd’hui, même des salles estampillées art et essai.
Si la salle ne propose rien de personnel, alors elle n’existe pas face à Internet. En ayant recours au Torrent, tu peux tout voir : du film le plus indépendant, seulement diffusé dans quatre ou cinq salles, au grand succès hollywoodien. Une telle abondance laisse démuni. Avec le Cinéma Voyageur, les gens ne savent pas ce qu’ils vont voir, mais ils savent qu’il y a des gens – nous – qui ont réfléchi ce choix. Les spectateurs décident de faire confiance à ce choix. Qu’ils soient déçu ou non, il y a eu rencontre. On a tracé une piste vers quelque chose.
Qu’apporte la dimension itinérante ?
Cela change déjà ton rapport aux spectateurs. Quand tu débarques chez des gens, au plus près d’eux, avec l’envie de partager, ils t’en sont reconnaissants. Généralement, plus le lieu est paumé, plus il y a de considération.
L’itinérance est aussi une manière de ne pas se laisser enfermer dans ces « non-lieux » que sont les cinémas actuels, surtout les grands complexes. Ce sont des endroits uniformes, bourrés de repères et où ne subsiste plus l’envie de poser de questions, de décloisonner. La routine s’y est totalement imposée. Et même un film qui est censé te faire voyager, te faire sortir de ton quotidien, perd toute puissance dans ces conditions, toute force d’impact. Quand la lumière se rallume tu es directement dans ta routine.
Depuis deux ans nous sommes compagnons du route du CITI (Centre International des Théâtre Itinérant). Le premier point qui rassemble les compagnies est formulé ainsi : « Transporter un imaginaire qui dépasse le temps de la représentation. »
Pour les gens qui font des films, le Cinéma Voyageur constitue également une excellente manière de faire redescendre l’ego. Quand tu as passé quatre mois à peaufiner un film en travaillant à mort l’image et le son, ça se dégonfle très vite face à la réalité de la projection. Parce que ce n’est pas la virtuosité technique qui marque les gens. D’autant qu’en itinérance il y a parfois des imperfections, surtout quand on projette en extérieur. Par exemple, un lampadaire qu’on avait zappé et qui s’allume à la moitié du film. Et même sous le chapiteau, il y a parfois des interférences : du vent qui soulève les parois, ou des gens en scooter qui se garent à proximité. Et dans tous les cas, il y a le passage de ceux qui entrent et sortent. Quand c’est ton film, tu le prends toujours un peu plus mal. Tu as envie d’intervenir : « Ohé, faudrait écouter à un moment. » Sur le coup, ce n’est pas facile. Mais c’est quelque chose de vertueux : ça désacralise.
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2 Réalisé avec Antoine Costa.
3 Court-métrage réalisé par baptiste Gourden avec Gabriella Wright et Rufus, visible ICI.
4 Rappel : vous pouvez soutenir l’achat du camion du cinéma voyageur en faisant un don sur cette page.