jeudi 26 novembre 2009
Le Charançon Libéré
posté à 12h41, par
27 commentaires
Pour une fois qu’une victime du racisme policier se retrouve en Une, tu ne vas pas bouder ton plaisir et chercher la petite bête ? Non, bien sûr. Enfin… Un peu, quand même… C’est qu’il n’est pas anodin que, en plein puant débat sur l’identité nationale, ce soit cette victime-ci, le lisse et idéal Anyss, qui fasse l’unanimité. Pour un peu, tu y verrais même du racisme à rebours.
Je n’aime pas faire dans le jeu de mot facile.
(Quoique : si, en fait ; nonobstant, tu me pardonneras.)
Mais il en est ici comme en toute chose : il y a des bons arabes, tout autant qu’il est des bons-à-rien.
Et je m’en voudrais de ne pas te donner quelques pistes pour distinguer les uns des autres.
Des différences flagrantes - évidentes pour qui ne garde pas les yeux dans sa poche mais les lève régulièrement vers ce portrait du borgne Jean-Marie trônant majestueusement au-dessus du lit ou d’une pile de magazine, disons Marianne ou Causeur - flagrantes, disais-je, et fort utiles si tu ne désires point te noyer en ce joyeux débat de l’âme-française-qui-vit-en-chacun-de-nous-ô-glorieuse-identité-est-ce-que-ça-se-pourrait-que-l’infidèle-en-soit-aussi- ?
C’est ainsi : je veux t’aider.
Et je suis sûr que tu apprécieras à sa juste mesure un si gentil coup de pouce au milieu de tous ces bras levés.
Adoncques :
× Note d’abord que le bon arabe, figure isolée, chemine seul, quand ses dangereux congénères vont en bande, foule hurlant jusqu’à plus soif sa détestation du drapeau national et des symboles républicains.
C’est important.
Il n’y a qu’un seul Anyss Arbib1, ce qui est quand même plus pratique quand il s’agit de l’inviter au débotté sur les plateaux de télévision ou de lui envoyerune lettre siglée ministère de l’Immigration.
Mais il y a par contre, ainsi que l’écrit dans un papier apocalyptique et très nauséabond, Ce que révèle l’euphorie des Français d’origine algérienne, publié dans l’édition papier de Marianne, le fier chanteur de Marseillaise Alain Léauthier2, des « milliers de supporteurs armés du drapeau algérien », s’agitant à Paris sur fond de « nouvelle version de la « sono mondiale », un « mix » inédit de mauvaise techno en provenance des sex-shops et d’« Hamdoulilah » (« Grâce à Dieu ») »3 tandis qu’à Marseille « les bandes accourues des quartiers nord ont rempli leur seul véritable objectif : castagne et dépouille » et qu’à Roubaix (quelques jours avant) « de pseudos-admirateurs de l’équipe nationale algérienne avaient brûlé… le drapeau tricolore, tout en promettant très fort de « niquer la France » ».
× Constate ensuite que le bon arabe fait surtout figure de gendre idéal, lui qui étudie à Sciences-po, se revendique villepiniste et porte des bottines de ville et de jolies petites chemises.
C’est essentiel.
Tant il est beaucoup plus facile, alors, de placarder son témoignage en Une de Libération, de l’inviter derechef sur les plateaux télévisions ou d’en faire un symbole de l’intégration modèle à la française.
Une occasion saisie à la volée par la très patriotique Elisabeth Levy, laquelle - sur Causeur, en un billet intitulé L’État, c’est nous. Nous tous. - pousse de petits cris d’amour pour « ce jeune homme bien sous tous rapports : beau comme un camion, intelligent, promis à un brillant avenir au service de l’Etat, des initiales de premier de la classe. Et en prime, un républicain comme on n’en fait plus ».
La même, en une dérive stylistique qui eut fait tomber en pâmoison le joyeux pamphlétaire Léon Daudet et commentant les « débordements » survenus après le match de l’Algérie, saute ensuite à pieds joints sur tous ces basanés qui ne font rien tant que cracher sur Marianne et violer nos beaux principes, revenant sur ce qui est l’obsession des nouveaux identitaires, le tort fait au drapeau : « Peu importe qu’à Toulouse on ait, semble-t-il, décroché les drapeaux français de la mairie pour les remplacer par des drapeaux algériens. »4
Peu importe ?
Oh que si, puisque cela permet à l’auteur de camper plus solidement sur ses positions habituelles : Anyss oui, les autres dehors.
× Remarque en outre, Ami, que le bon arabe rentre dans les clous d’une contestation policée : il ne s’énerve pas outre-mesure, ne lâche pas de paroles inconsidérées et se refuse - même - à porter plainte contre les CRS qui lui ont manqué du plus élémentaires des respects.
C’est appréciable.
Tant cela facilite les choses aux élites médiatiques et politiques, lesquelles trouvent - quand même - Anyss beaucoup plus raisonnable que tous ces gens, membres du MIB, des comités de soutien aux victimes de violences policières ou simples habitants des quartiers, qui s’en prennent à l’État et à ses représentants avec toute la colère de ceux qui savent qu’il ne leur sera jamais fait aucun cadeau.
× Note aussi, dans la même veine, que le bon arabe se trouve rapidement les plus respectables des soutiens, dans les plus hautes sphères de l’État.
C’est logique.
Puisque Richard Descoings, chantre de l’affirmative-action à la française, et Fadela Amara - secrétaire d’Etat à la politique de la Ville dont tout le monde avait oublié qu’elle vivait encore tant elle n’en a pas fichu une rame depuis des mois et des mois - n’allaient pas laisser passer une aussi belle occasion de prendre le train en route.
Et puisque quelques vagues paroles de soutien sur un cas aussi emblématiques constituent une très belle opportunité de camoufler, par ailleurs, les manques d’un système dont ils sont les têtes de gondole.
× Conclus enfin qu’il n’est pas anodin que ce soit Anyss et pas les autres, multiples cas recensés de violences et de mépris racistes qui n’ont jamais - et ne feront jamais, sauf en cas de mort d’homme - la Une des quotidiens.
Qu’on s’entende bien : il ne me viendrait pas à l’idée de regretter la mise en avant médiatique du jeune Anyss.
Tant tout accent pointé sur les dérives policières et la xénophobie croissante de notre société est salutaire.
Mais quand même : je m’étonne un brin que ce soit ce cas-ci qui fasse résonance.
Et je me demande même s’il ne faudrait pas y voir une marque supplémentaire de racisme, société n’exigeant le respect de la différence que quand cette différence est réduite, presque effacée et niée.
1 Si tu vivais dans une grotte ces derniers jours, apprend qu’il s’agit du jeune homme traité de « sale arabe », molesté et gazé par des CRS le soir de la victoire footballistique de l’Algérie contre l’Egypte
2 Au prétexte qu’il y aurait désormais « une histoire de ces soudaines flambées où l’amour de la nation fantasmée dont on se revendique traduit la complexité des relations avec le pays réel où l’on vit, au point d’aller - parfois - jusqu’à son rejet ».
3 Ont-ils mauvais goût, ces Algériens…
4 Sur Causeur, toujours, un billet publié quelques jours auparavant, Ils étaient où, les drapeaux français ?, signé d’un certain Jacques de Guillebon et traitant de ces drapeaux algériens brandis un soir de victoire, osait ces lignes incroyables : « Enfin, si l’on sort de ces gamineries pour passer dans le symbolique, on s’étonne que personne dans ce pays, parmi le pouvoir, les hommes politiques, les intellectuels, les psychanalystes, les sociologues, ne prenne la mesure de l’injure faite, sinon au peuple français, au moins au bon sens l’autre soir. Il ne s’agissait pas du match que l’Algérie vaita gagné ; il s’agissait du match que la France avait gagné. Et nulle part, dans les rues, de supporters des Bleus en délire, nulle part les insignes rituels de la France qui resurgit à l’improviste les jours de rencontre sportive. France ! qu’as-tu fait de tes drapeaux ? France ! Où sont tes supporters prêts à mettre le feu pour fêter ta victoire ? » Pathétique…
L’ami Ubi, qui vaquait avec son appareil-photo en ce soir de match, livre une brillante réfutation, si l’on veut se faire terre-à-terre, de ce billet ridicule : les drapeaux français étaient bien dans la rue. La preuve :
Tu peux retrouver les photos d’Ubi, à qui j’ai aussi « emprunté » la vignette de ce billet sans rien lui demander, ICI.