ARTICLE11
 
 

samedi 19 décembre 2009

Le Cri du Gonze

posté à 16h57, par Lémi
7 commentaires

Le pouce de Bukka White (et celui de Sissy Hankshaw)
JPEG - 9.9 ko

Une histoire tarabiscotée de pouces géants et d’errances en terre ricaine. Une immersion désordonnée dans l’œuvre oubliée d’un grand guitariste à la voie rocailleuse sur fond de championnat du monde d’auto-stop. Un billet tordu et bancal. Mais, après tout, on s’en fout : tant que la musique proposée en accompagnement enrobe tout ça d’un écrin céleste, on me pardonnera. J’ai pas raison ?

JPEG - 67.5 ko

Dans le génial et mirifique livre du non moins fabuleux Tom Robbins1, Même les cowgirls ont du vague à l’âme2, on croise une certaine Sissy Hankshaw, héroïne chtarbée, lumineuse arpenteuse de route façon Kérouac en plus déjantée & moins sentencieuse. Ladite arpenteuse surdouée ne tarde pas à tellement briller dans sa spécialité – l’auto-stop – qu’elle en devient officieusement championne du monde, parcourant les États-Unis d’un bout à l’autre, recoin yankee par recoin yankee, pour mieux parfaire sa technique, s’ébrouant dans un nuage de poussière tel le divin Sal Paradise de Sur la Route. Imagine, tu parcoures le Kansas au volant de ta Ford Mustang, tranquille, tapotant sur ton volant au rythme des Beach Boys, et soudain tu aperçois à l’horizon une sorte de tempête de sable qui grossit à vue d’œil. Illico tu balises, les balloches rétractées. Et pourtant, l’effroi est trompeur : non, ce n’est pas un remake de Twister, fin du monde genre 2012 en bandoulière, c’est Sissy (rien à voir avec Romy et les bals viennois) qui déboule.

Le destin fait bien les choses – on ne le dira jamais assez – car la belle Sissy a été dotée à sa naissance de pouces d’une taille phénoménale, guinessbookienne. Et ce qu’au début elle prend pour une malédiction, elle ne tarde pas à en comprendre l’intérêt, saupoudrant son existence de jus de yahou grâce à sa particularité physiologique. Très vite, elle utilise l’appendice en question pour briller, agitant sa saucisse poucesque en bord de route, chaque jour plus émérite question vagabondages hétéroclites. Destin grandiose qui ne s’arrête pas là, je te laisse te reporter au livre en question3 pour en connaître la teneur, moi je ne parle que de son pouce, c’est comme ça, c’est pour mon intro. Intro qui par ailleurs s’étire en longueur, ce n’est pas très sérieux, je te l’accorde.

Enfin bon. Cette chronique étant censée être musicale, j’en viens à l’essentiel : Bukka White (ou Booker White, c’est comme tu préfères, les deux sont usités). Son pouce. Sa musique. Plutôt que de m’attarder en vaines tentatives préambulesques, je te balance directos Aberdeen Mississipi Blues version livre, histoire d’entrer dans le vif du sujet. Écarquillage d’yeux et d’oreilles conseillé, voire indispensable :

Tu noteras d’abord que, question pouce, Bukka White était sévérement outillé (ce qui légitime un tantinet mon intro foireuse). Tu noteras également qu’il s’en servait d’une manière aussi personnelle que virtuose, à même de concurrencer Sissy dans la valorisation de l’elephantiasis poucesque (idem que précédente parenthèse).

Tu avoueras également que cette manière de jongler entre rythmique tambourinée du pouce et matraquage des cordes par le même pouce est aussi impressionnante que céleste. Perso, j’y vois tellement matière à enthousiasme que je me repasse cette vidéo dès que je sens des nuages s’amonceler à l’horizon. Une forme d’hygiène mentale, en quelque sorte.

Le blues de Bukka White (de son vrai nom Booker T. Washington White), est si brut qu’il a été presque oublié malgré sa magie. Contrairement à celui Skip James, de J.B Lenoir ou de Robert Johnson (entre autres), il est d’accès difficile, écorche presque les oreilles peu entrainées. Et pourtant :

Booka White (1906-1977), comme la plupart des bluesmen dignes de ce nom, était un infatigable bourlingueur, sillonnant le sud des États-Unis, menant une vie aussi rude que mouvementée (il passa quelques années en prison pour avoir tiré au pistolet sur un type qui l’agressait), écumant les bars et les Honky Tonk, se perfectionnant inlassablement au bootleneg, rencontrant d’illustres confrères comme Charley Patton ou big Bill Bronzy, initiant son cousin B.B. King à la guitare, boxant à l’occasion pour gagner sa vie. Jamais posé, toujours sur la route, pré-beatnik.

Et, parfois, quand les bouteilles se couchent et que j’écoute Bukka à fond les ballons (notamment la divine Promise true & grand, ci-dessus, tirée du fantastique album Parchmann Blues), je fantasme cette scène absurde : Bukka et Sissy, levant le pouce côte-à-côte à la sortie d’une quelconque bourgade du Sud, en plein contest d’auto-stop, appendices dressés vers le ciel comme des totems chamaniques. Vision céleste.

Bizarre comme fantasme, tu dis ? Ouaip. Mais, que veux-tu, c’est ainsi. On ne sort pas indemne de la fréquentation assidue de personnages de la trempe de Tom Robbins ou de Bukka White…



1 Ouaip, j’en ai déjà parlé hier, du sieur Robbins. Et alors ?

2 Adapté au cinoche par son pote Gus Van Sant sous le titre original du bouquin : Even the cowgirls get the blues, d’où est tiré l’illustration ci-dessus. L’ai pas vu.

3 C’est un ordre.


COMMENTAIRES

 


  • dimanche 20 décembre 2009 à 17h39, par Michel

    Ex-cel-lent !! merci pour ces fabuleux coups de pouces..
    C’est assez drôle de s’appeller White, avec une couleur de peau lisse plutôt sombre, pour ne pas dire complètement black.
    D’ailleurs, la peau lice est toujours sombre.
    Heureusement qu’hortefeu et besson aiment le blues (façon auvergne, j’entends), sauf qu’au lieu de faire du stop, y font des charters.
    Bon, vu comme ça pêle méchant, j’vais re-re-faire des grogs.
    c’est qui kanveu ?
    Merci encore Lémi.
    Michel

    • lundi 21 décembre 2009 à 18h37, par lémi

      « C’est assez drôle de s’appeller White, avec une couleur de peau lisse plutôt sombre » : Ouaip, surtout avec deux K dans son prénom. Un troisième et c’eut été la catastrophe...

      Pour les grogs, je suis partant, squattant actuellement à Strasbourg où il fait si froid qu’un canal s’est pendu, tout remontant serait le bienvenu. (mais bon, j’ai quand même du vin chaud sous la main, tout n’est pas perdu)



  • dimanche 20 décembre 2009 à 20h50, par Soisic

    Une question intéressante se pose : pourquoi le pouce ne contient que deux phalanges alors que les quatre autres doigts de la main en comptent trois ?
    Réponse tout aussi passionnante : http://www.unige.ch/presse/communiq...

    C’était la minute scientifique...

    • lundi 21 décembre 2009 à 18h39, par lémi

      Voilà une chose que j’ignorais. Merci du lien. En tout cas, ça rajoute encore aux mérites des deux susnommés : se servir si expertement dudit pouce dans ces conditions (2 phalanges), c’est tout sauf anodin...

      • mardi 22 décembre 2009 à 14h30, par un-e anonyme

        excellent film, en anglais : « even cowgirls get the blues » il me semble, très intéressant poétique, féministe lesbien, déjanté, sympa !

        • jeudi 24 décembre 2009 à 12h39, par lémi

          Oui, on me l’a conseillé aussi. Mais j’ai tellement aimé le livre que ça m’apparait dangereux (comme c’est Gus Van Sant à la réalisation, je crois quand même que je franchirais le pas)...



  • mardi 5 janvier 2010 à 02h44, par antennerelais

    Bukka White j’ai du mal, c’est vraiment le gros bourrin (pour moi en tous cas, je trouve qu’il est surtout intéressant comme préfigurant éventuellement un côté « déjanté rock »), dans le genre joueur de dobro il y a Black Ace qu’on peut voir rejouer sur le tard son tube des années 30, I am the Black Ace, ceci devant sa femme et son gosse sur un canapé j’adore : Black Ace bottleneck country blues guitar

  • Répondre à cet article