jeudi 17 février 2011
Sur le terrain
posté à 17h29, par
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La justice : voilà la solution trouvée par l’université toulousaine du Mirail pour faire cesser les mouvements étudiants. Suite à des actions menées en 2009 contre la loi sur l’autonomie des universités, 7 étudiants sont poursuivis par l’administration. On leur reproche des portes cassées et un vol de gâteau. Un véritable procès politique, parfaite illustration d’une justice anti-sociale.
Le 9 mars 2009, au cœur de la grève contre la loi sur l’autonomie des université, à Toulouse, 200 étudiants s’invitent – un brin vigoureusement – dans les bureaux du président de la fac du Mirail, qui refuse de les rencontrer. Pour cela, ils brisent deux portes. Et en profitent pour récupérer, dans la réserve voisine, des gâteaux et des feuilles blanches. Puis, le 2 juin, bis repetita : une cinquantaine de personnes pénètrent dans les locaux de la maison de la Recherche, et mettent quelque peu en désordre les lieux.
Parmi ces étudiants, des syndicalistes, des militants politiques ou non-encartés et des personnes impliquées dans le comité de grève. Beaucoup de monde, donc. Mais l’université ne retiendra que sept noms, qu’elle décidera de poursuivre en justice – un choix certainement pas effectué au hasard, puisque ces militants sont parmi les plus visibles et actifs. On les appelle désormais les « inculpés du Mirail », et ils comparaissaient au tribunal correctionnel de Toulouse le jeudi 3 février, accusés de « destruction de bien mobilier » et de « soustraction de fournitures de papèterie et de denrées alimentaires ». Compte-rendu.
L’impartiale (et toujours mesurée) justice toulousaine
3 février 2011, tribunal correctionnel de Toulouse. La salle fait silence, pour visionner le film des actions étudiantes, enregistrées par une caméra de vidéo-surveillance (pardon : vidéo-protection). Sauf que – dommage – la vidéo n’est pas au bon format.... Des sourires se font jour dans l’assemblée. Un des avocats lance : « C’est toujours comme ça, ça arrive à chaque fois... » Ambiance. Suspension de séance. Finalement, un autre magistrat, appelé en renfort, parvient à faire fonctionner le bousin. À l’écran, on voit notamment quelques étudiants faire main basse sur des gâteaux.
Un acte insupportable pour Guy Debuisson. L’avocat de la partie civile (de l’université, donc) doit avoir pour habitude de manger des biscuits de bien meilleure qualité... C’est que Maitre Debuisson, dans le cadre de l’affaire Allègre, a été avocat de la famille de Jean-Michel Baylet (propriétaire de La Dépêche du Midi), puis de Dominique Baudis, alors maire de la ville. L’homme a aussi œuvré en politique, au Parti Radical de Gauche (du même Baylet). Candidat aux législatives en 1998, il a finalement été déclaré inéligible par le Conseil constitutionnel, parce qu’il n’a pas transmis ses comptes de campagne1. Le bougre n’est pas trop à plaindre puisqu’il est désormais confortablement installé au fauteuil de président du Comité régional olympique et sportif de Midi-Pyrénées.
Au tribunal, ce petit baron local fait passer un message clair : cela fait trop longtemps qu’il y a des mouvements étudiants au Mirail. « Désormais, à chaque dégradation, il y aura des poursuites judiciaires », annonce t-il. Et d’oser – morceau de bravoure – une comparaison entre les étudiants et « les casseurs dans les banlieues, qui caillassent des policiers et des pompiers ». Avant d’en remettre une couche pendant la suspension de séance : « Ces étudiants sont un groupuscule, c’est un petit noyau, comme ETA. » En somme, étudiant mobilisé = terroriste.
Quant au procureur, Francis Boyer, il ne fait – une fois son tour venu – pas non plus dans la dentelle : « Hier soir, en relisant le dossier, je pensais à ces étudiants, place Tian’Anmen, qui jouaient leur vie devant les chars soviétiques. Eux, ils avaient du courage... » Suit un vif réquisitoire, interprété par un homme qui a indéniablement de la gouaille. Cela l’a conduit à déclarer en 2005, alors qu’il était substitut du procureur au barreau de Nîmes : « Un gitan qui a avalé l’agneau dont on voit la queue sortir de sa bouche soutiendra encore qu’il ne l’a pas volé ! »2... et à récidiver lors d’une autre audience en usant, d’un jeux de mots très douteux à propos de travailleurs clandestins dans une exploitation de « melons »3...
Bref, c’est ce même homme, finalement muté à Toulouse par le Conseil supérieur de la Magistrature, qui se fait philosophe à l’audience – « Cela fait 25 ans que je suis ouvrier de la vérité, et je ne prétends toujours pas la détenir » –, avant de requérir, contre les étudiants, de 3 à 18 mois de prison avec sursis, assortis d’une inscription de la condamnation au casier judiciaire et d’une peine complémentaire d’interdiction d’exercice de toute profession dans la fonction publique pour un an. Trois des inculpés sont justement en train de passer le CAPES ou sur le point de décrocher un master d’enseignement. Justice...
L’un des deux avocats de la défense, Maître Zapata (ça ne s’invente pas...), tente bien de rétablir un brin d’équilibre, lançant : « il s’agit d’un message très clair à l’ensemble de la communauté étudiante, en vue d’un futur mouvement de grève. C’est bien un procès politique, où on fait l’amalgame entre les casseurs et les militants. » Avant d’ajouter : « Ces étudiants étaient en grève pour défendre l’université, dans un élan de révolte contre la destruction des services publics. Un peu comme ce que nous vivons, nous, avec la suppression du juge d’instruction » – clin d’œil anticipé au mouvement de grève générale des magistrats, une semaine plus tard. Mais l’équilibre est d’autant plus difficile à rétablir que l’administration de l’université n’y est pas allée de main morte, chiffrant les dégâts à 293 000 euros... Une facture qui couvre en fait l’ensemble du mouvement mené sur l’université pendant quatre mois, celle pour les deux actions n’étant en réalité « que » de 15 000 euros. La partie civile en réclamera le double.
Un procès politique de plus
Tout dans ce procès est politique – jusqu’à sa date. Il aurait normalement dû se tenir le 24 juin 2010, un an après les faits, s’il n’y avait eu un mouvement de grève de la fonction publique contre la réforme des retraites. Audience reportée au 3 février. Le jour-même où Joan, étudiant toulousain ayant reçu un tir de flashball dans l’œil en mars 2009,4 est auditionné pour tenter d’obtenir une reconstitution des faits5. Le jour-même, aussi, où une salariée de l’usine Freescale passe devant les prud’homme pour un cas de licenciement lié à des faits de grève.
Dans ce procès contre les « Sept du Mirail », il faut lire la volonté de briser les mouvements sociaux en portant le fer de la légalité contre ceux qui rêvent de justice sociale, et en brandissant le Code pénal face à des étudiants agissant pour préserver une université publique, gratuite, populaire, sans pressions à l’excellence ni à la rentabilité. Il faut lire – aussi – la négation de la légitimité d’une volonté politique collective : votée en assemblée générale quelques heures plus tôt, l’action avait rassemblé plus de deux cent personnes, mais seulement sept sont poursuivies. Cherchez l’erreur...
La justice, elle, prend son temps : mis en délibéré, le verdict ne tombera que le 31 mars prochain. Peu importe, finalement : ce n’est certainement pas le Droit qui mettra un terme aux mouvements de contestation sociale.