mardi 2 septembre 2008
Le Charançon Libéré
posté à 12h51, par
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Il est des lettres valant document d’histoire. Et des correspondances privées illustrant à la perfection le délitement d’une société. Ainsi de cette missive envoyée à sa mère par un jeune courtisan ambitieux, provincial tout juste introduit à la cour du roi Nicolas et pressé de s’y faire une place. Des premiers pas placés sous l’égide d’un auguste protecteur, le comte Réno.
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Chère mère
Je sais que j’aurais dû vous donner des nouvelles plus tôt. Ne vous y trompez pas : mon silence n’est pas signe que je n’ai pensé à vous, souvent et beaucoup. Soyez assurée que je n’ai pas passé une heure sans songer à vos conseils mondains et rendre grâce à vos leçons de maintien. Et je ne sais comment j’aurais fait sans vos préventions et avertissements.
Vous aviez raison, mère, bien entendu : pour un jeune homme de mon âge et de ma condition, décidé à faire son chemin en ce monde et soucieux de se trouver les protecteurs qui le permettront, il n’est pas de meilleur endroit que la cour présidentielle. Pas seulement pour le faste et la pompe, même si ceux-ci sont fort impressionnants. Tant de dorures ! De décorum ! De magnificences ! Et tous ces hommes de bien qui gravitent dans les couloirs, tiennent les discours les plus cultivés et se plongent dans les plus secrets des rouages de l’Etat ! Vous vous en doutez : j’étais dans mes petits souliers. Enfin… pas tant que ça, grâce à votre lettre de recommandation.
Vous serez fort aise de savoir que, toute provinciale que vous soyez devenue, votre nom n’a pas été oublié dans les dîners en ville et les salons de réception. On m’a beaucoup parlé de vous. Et on m’a accueilli avec sympathie et amitié, dès lors que je me disais votre fils. Un vrai sésame ! Il a suffi que je me présente à celui que vous m’aviez désigné comme protecteur pour que que toutes les portes s’ouvrent. Et lui-même, le comte Jean Réno, m’a immédiatement traité en ami, en frère, en fils même. Me montrant d’abord les haut-lieux de la capitale, avant de m’introduire à la cour.
J’ai aimé Paris, évidemment. Mais les rues et monuments de la capitale m’ont apparu bien fades au regard de la pompe grandiose de l’Elysée et du sentiment de puissance qui s’en dégage. Sans compter tous ces illustres, croisés dans les antichambres et lors de dîners. Savez-vous qui j’ai entrevu ? L’amuseur royal, le vicomte Bigard : la cour bruisse de ses bons mots et ces dames, toutes jolies en diable, prennent un air scandalisé quand elles les entendent, pourtant impatientes de connaître le prochain. Tout autant qu’elles minaudent et applaudissent quand les ménestrels officiels de l’Elysée, le duc de Gyneco et le vicomte Macias, se piquent d’animer un peu les soirées.
Mais foin de musique et d’humour, mère ! Il est des sujets plus sérieux… J’ai été présenté par le comte Réno à de bien plus célestes personnages, ceux qui font et défont toutes choses à la cour. J’ai même pu dire quelques mots au cardinal Guéant, qui a eu la gentillesse de noter mon nom et de me promettre une charge à la hauteur de mes espérances, avant de rejoindre le roi Nicolas pour une réunion de la plus haute importance. J’ai bon espoir que, bientôt, l’on me proposera quelque chose.
Il me semble que je pourrais continuer à vous écrire ainsi pendant des heures, tant j’ai de choses à vous conter. Tout est si nouveau pour moi ! Mais je dois être raisonnable : je suis invité demain à un dîner en ville, il me faut être en forme pour y paraître. Savez-vous qu’on y annonce le duc Halliday, le capitaine Prost, les chambellans Laporte et Dati, le comte de Montagné, le baron Glucksmann et le marquis Christian de Clavier ? Il me tarde d’y être.
D’ailleurs… à propos du marquis de Clavier (et pour finir par une petite anecdote aussi cruelle que savoureuse qui vous rappellera cette époque où vous paraissiez vous-même à la cour) : ce grand homme de culture nous a conté hier, à votre ami Réno et à moi-même, une histoire qui vaut son pesant de cacahouettes. Et qui prouve combien cet homme a le bras long, jusqu’à l’oreille du roi Nicolas.
Figurez-vous que le marquis de Clavier a, entre autres biens et domaines, une petite maison en Corse, où il se rend à l’occasion pour prendre l’air et le soleil. Il y a quelques jours et pour une raison que je n’ai pas bien saisie, une cinquantaine de mânants se sont piqués d’y faire intrusion, piétinant les pelouses, abîmant les fleurs et se comportant comme il ne le faut point. Puis ils sont partis comme ils étaient venus. Et ? Affaire réglée ? Que nenni, mère, tant le roi Nicolas n’aime pas qu’on manque de respect à ses amis. : il a hier relevé de ses fonctions le contrôleur général de la sécurité de l’île. Cet homme, pourtant puissant et respecté, a été mis à pied comme un laquais, dans l’opprobre et le déshonneur. L’affaire, dont toute la cour bruisse depuis hier, m’a servi d’utile leçon : il ne faut pas décevoir le roi Nicolas non plus que manquer d’égards envers ses protégés. Je saurai m’en souvenir pour faire mon chemin en ce monde.
C’est assez, mère, je vais me coucher. Embrassez père et portez-vous bien. Je pense beaucoup à vous.
Votre obligé et fils aimant.
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On me pardonnera, j’espère, ce pastiche sans prétention.
Que voulez-vous : la nouvelle tombée ce matin de la disgrâce de Dominique Rossi, viré pour n’avoir pas su empêcher l’occupation de la villa corse de Christian Clavier, me faisait par trop penser aux us et coutumes d’un siècle révolu.