dimanche 14 novembre 2010
Le Charançon Libéré
posté à 16h23, par
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On a failli la rater, enfouie qu’elle était au milieu d’un monceau de lettres d’abonnement : une missive timbrée au-delà, en provenance directe du grand nulle part. Cette fois, c’est Blaise Pascal - lequel s’emmerde profondément - qui a pris la plume pour discourir des (semblants de) soubresauts de notre vie politique. On a un peu hésité, mais on publie finalement sa lettre.
Memoria hospitis unius diei praetereuntis. Enfin... je crois. Je ne suis plus sûr de rien depuis mon trépas. Un grand vide, rien d’autre, hormis l’attente, l’attente et encore l’attente. Plus de six siècles que je patiente, esprit flottant en un vague éther, âme éplorée guettant une trace de ce dieu que je chérissais et qui jamais ne me parle, ne m’appelle ni ne m’adresse le moindre signe. Mon monde est vide, et si calme - vous ne pouvez imaginer combien c’est calme... Las, je m’ennuie.
Je crois bien que je suis encore un brillant esprit - mes facultés sont là, intactes, vives et ardentes. Mais il ne m’amuse plus guère de les mettre en branle, n’ayant quiconque pour les confronter et pour m’écouter. Je flotte seul, et ce n’est point là riante situation pour un homme de ma trempe, habitué à vivante cohorte d’admirateurs et de contradicteurs. Même les mathématiques m’indiffèrent : quelle nécessité de résoudre théorèmes et équations s’il n’est point d’autre humain pour goûter le sel et l’esprit de mes réflexions ?
Je n’imaginais pas les choses ainsi - sans doute ai-je perdu mon pari. Je croyais à quelque chose, il n’y a rien. J’erre. Je vagabonde en pensées. Et je vous observe - que puis-je faire pour me divertir sinon laisser courir mon regard sur ceux qui furent jadis mes semblables, mes frères, sur leur façon de vivre et de s’organiser ? Compagnies de vie, vous fûtes ; distraction de mort, vous êtes.
Mais... les mots sont traîtres, les phrases mensongères : de distraction, il n’y a point - ou si peu. J’observe les péripéties de ce que vous appelez vie politique, et je ne vois guère de différence avec celles - si rares - qui émaillèrent le très long règne du suzerain devenu soleil en ma dix-neuvième année : Louis Quatorzième de France. Lui - souverain total - n’invoquait pas le pouvoir du peuple pour assoir le sien propre, n’exigeait point que les petites et médiocres affaires de sa cour - valse des courtisans et des chargés de pouvoir - concerne chacun de ses sujets. Il régnait, voilà tout.
Celui que vous vous êtes donnés comme président (quel mot étrange...) ne fait point autre chose. Mais il pare - ce sont là vices d’un système que vous prétendez démocratie - les affres de son règne des étranges atours de la volonté populaire. Quant à vos échotiers, ils guettent les plats soubresauts de la cour et en tressent affaires d’état ; comme si quelque chose se jouait réellement là.... Louis Quatorzième de France changeait souvent de chambellan, et nul n’eusse songé - hors les médiocres membres de son entourage - à faire de cette disgrâce une affaire concernant chacun. Quant votre président feint de faire de même (il conserve finalement son Premier ministre, si j’ai bien compris ?), l’excitation et la frénésie s’emparent de vos fournisseurs de gazettes comme la danse de Saint-Guy frappant quelque possédé.
Croyez-moi : il n’est rien d’autre que le vide en ces mornes affaires de cour. Ce n’est pas de la politique, même pas du théâtre. Et il n’y a qu’un de vos journaux pour oser titrer ainsi : « 19 h 37 : coup de théâtre, le gouvernement démissionne »1. Celui qui fut mon illustre contemporain, Molière, doit bien rire de ce qu’on ose, chez vous, nommer coup de théâtre...
J’ai un jour - quelque part en ces notes que mes descendants ont regroupé et édité sous le nom de Pensées - écrit à propos de cette quête de dieu ayant conduit la fin de mon existence : Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. J’avais peur, et à juste titre. Mais le vide éternel de mon trépas n’est finalement que peu de choses au-regard de votre morne condition de vivants : vous êtes déjà mort, sans le savoir encore. Vous courbez vos nuques sous le joug d’un despote - certes moins terrible que celui qui nous asservissait, mais beaucoup plus retors et mesquin - et assurez la promotion d’icelui en cautionnant et légitimant le plus mensonger des systèmes. Tout cela est plat, médiocre et minable. C’est un pari sans enjeu que votre démocratie - le mien était moins triste, il visait plus haut. Et je crois bien que ces mots que j’ai naguère prononcés à propos d’une démonstration scientifique fonctionnent tout autant en ce qui concerne votre prétendu pouvoir du peuple : Pour montrer qu’une hypothèse est évidente, il ne suffit pas que tous les phénomènes la suivent ; au lieu de cela, si elle conduit à quelque chose de contraire à un seul des phénomènes, cela suffit pour établir sa fausseté.