jeudi 30 octobre 2008
Entretiens
posté à 13h07, par
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1983. L’époque était grise, la décennie mal barrée. Le pétrole se faisait cher et le fric roi, mai 68 était déjà loin, Mitterrand déjà traître et le punk déjà moribond. Sale époque. Et puis… les Bérus sont arrivés, fers de lance d’un rock alternatif qui a fait bouger l’hexagone et a terrifié les vieux réacs. Salutaire. Rencontre avec Loran, guitariste de ce groupe mythique, musicien toujours actif avec les Ramoneurs de Menhirs et (ouf…) tout sauf assagi.
De 1983 à 89, ils ont régné en maître sur le rock alternatif français, mêlant rageusement activisme artistique et extrémisme politique. Les Bérurier Noir ont balancé leur « Boucan d’enfer » dans tous les squats de France, refusant toute concession et portant haut les couleurs d’un punk à la française, intelligent et subversif.
Au départ ils étaient deux. François au chant, Loran à la guitare et aux éructations diverses. Très vite, des électrons libres sont venus se greffer au tandem originel. Masto au saxophone, Helno (futur Négresses Vertes) et Laul, acrobates choristes… La troupe a grossi et les fans ont suivi. Les Béru ont commencé à déranger, devenant un phénomène de société, le mal incarné gangrénant une jeunesse enfin remuante.
Et puis, élégance suprême, en 89, ils ont sauté du train avant qu’il n’implose. Derniers concerts de folie à l’Olympia et retraites diverses. Après une reformation, aussi attendue que critiquée, pour les Transmusicales de Rennes en 2003, quelques concerts d’anthologie, les Bérus ont de nouveau lâché l’affaire. Même s’ils continuent la bataille, chacun de leur côté. Avec Folklore de la Zone mondiale, le label qu’ils ont monté. Et avec les Ramoneurs de Menhirs pour Loran, et Molodoi, pour François. Bref : toujours « Même pas morts » !
Difficile de parler rationnellement des Bérus. Qu’on les aimes ou pas, le « mythe » finit généralement par déformer la réalité. Pour se faire (enfin) une idée, Article11 a voulu les rencontrer. Loran, improvisé « porte parole » du groupe, a répondu présent, fixant rencard dans une brasserie de Montparnasse. Et ? Son apparence n’a pas beaucoup changé, non plus que son style et ses propos. Sur ses bras, les tatouages prennent un peu plus de place, voilà tout. « C’est ma femme qui me tatoue. Elle va me remplir totalement. Et à un moment, ouf : je ne serai plus blanc… Parce qu’être blanc, quand même, c’est un peu la honte… » Ça commence tout juste et on sait déjà que l’esprit Béru n’est pas mort.
Tu t’es déjà demandé pourquoi tant de gens ont un rapport si passionnel avec les Bérus ?
Les Bérus, c’était la revanche des petits sur les grands. On parlait à ceux qui avaient 20 ans, on emmerdait les vieux et tous ceux qui avaient fait le système. On ne savait pas jouer, on avait un son pourri, on n’avait pas de thunes mais… on était les rois ! C’est pour ça que ça a tellement plu.
Et aussi, les textes parlaient aux gens. Dans ce qu’écrivait François, il y avait en même temps des références littéraires et politiques pointues et un côté accessible à tous. Le prolo punk de base, il ne s’y paumait pas. Les textes de François fédéraient, car on pouvait en faire plusieurs lectures. C’est très précieux ça.
A la base, il y avait surtout un esprit frondeur et anar, non ?
Au début, nos concerts étaient très puissants, surréalistes, quasi post-dada. Aujourd’hui, les punks se sont aseptisés et prennent la pose avec des crêtes millimétrées, le mouvement s’est complètement standardisé. Tandis que nous étions réellement dans la provocation, dans le dada.
Pour notre premier concert, on avait rassemblé des tracts facho, de l’OAS, des Brigades Rouges, de la Rote Armee Fraktion, d’Action Directe, et on les avait tous mélangé. On avait organisé notre concert autour de ça, soit 20 minutes de lecture scandée, avec pour but de se faire jeter. On se demandait combien de temps on pourrait tenir sur scène en lisant un truc aberrant… A chaque slogan concluant un tract, François donnait un coup de sabre et je disais : « A l’unanimité ! ». Et à la fin, les gens ont levé le poing. On hallucinait… Le groupe a commencé comme ça.
Qu’est-ce que tu retiens de ces années bérurières ?
Ma vie a changé avec les Bérus, c’était une époque démente. Pour nous, ça a été une alternative au suicide : on venait de la vague nihilistico-anarchistico-romantique qui considérait qu’il fallait mourir à 20 ans, que le monde était trop pourri ; finalement, si on est encore là à 44 ans, c’est grâce aux Bérus.
Ça m’a sauvé la vie, ça a sauvé celle de François, de Masto et de la troupe. Helno, quand il est parti fonder les Négresses Vertes, il a pas tenu longtemps en dehors des Bérus1. Sans le groupe, on aurait tous mal tourné.
Il n’y avait pas de drogues dans les Bérus ?
Les conneries avec l’héro, on a fait ça très jeune avant de lâcher l’affaire. Moi, j’ai tapé de l’héroïne pendant une semaine vers 14 ans, je gerbais tout le temps. C’était glauque, ça m’a dégoûté pour la vie. J’ai pris à peu près toutes les défonces entre 13 et 15 ans, puis je me suis calmé parce que je me suis rendu compte que le cerveau est la meilleure des armes. C’est trop con de le détruire avec des trucs chimiques.
Dans les Bérus, c’était clair : pas de drogues dures. OK, on fumait des joints, on buvait de la bières par tonneaux, on tapait du speed, mais ça s’arrêtait là. Parce que la meilleure défonce, c’est l’attaque, le punk rock et les bouquins.
Par exemple, on a été clairs avec Helno : tu rejoins la troupe, mais tu ne prends jamais d’héro. Ni dans le camion, ni dans les loges… C’est comme ça qu’il a réussi à décrocher. Plus tard, quand les Négresses vertes ont signé chez Virgin, ils ont eu tout de suite une grosse avance. Et dès qu’un ancien junkie a une grosse avance, c’est mal barré…
Dès le début, vous avez fait jouer des potes avec vous ?
Ouais. On en emmenait toujours avec nous sur les tournées. Soit c’était des mecs échappés d’hôpital psy, qui généralement étaient accros aux médocs, soit des tox qui n’arrivaient pas à décrocher. Comme on ne prenait rien, ils étaient forcés de s’adapter. Ils vivaient le trip avec nous, en concert, et ça les sortait de leur manque, de leur merde. C’est pour ça que des mecs de la rue continuent à dire que les Bérus ont sauvé des gens, en les aidant à décrocher.
Pareil, on a vachement correspondu avec des taulards. A partir du moment où le mec nous écrivait une lettre qui nous touchait, on ne pouvait pas refuser. Un mec dans cette démarche, si tu l’envoies chier, devient deux fois plus violent quand il sort, il a la haine absolue.
Tu continues à voir les autres membres du groupe ?
Avec François, on reste en contact, mais de loin. François s’est tourné vers autre chose, vers le Vietnam, l’Asie. Il est historien au CNRS, maintenant, il connaît à fond tous les mouvements nationalistes vietnamiens depuis les années 1940. Il traduit aussi beaucoup et parle tous les dialectes viets. Bref, nos chemins ont pas mal divergé. Il est beaucoup plus discret, il n’a plus l’attitude provocatrice, on peut dire qu’il est intégré. C’est toujours un pote, mais il navigue dans d’autres sphères. Moi, je reste un enragé.
Par contre, Masto et moi et on se voit beaucoup plus, puisqu’on a fondé Amputé : c’est un commando bérurier. On n’est jamais annoncé, jamais payé, et on arrive par surprise. Et ce sont nos gamins, à Masto et à moi, qui chantent sur scène les morceaux des Bérus. Ils déchirent tout, on va sûrement faire un album avec eux.
Ça étonne souvent, mais on aime bien jouer avec nos gosses. Des enfants sur scène, ça créé le respect, les gens font plus attention et se gèrent. Il y a moins de gros lourds devant la scène, de gens qui confondent énergie et violence. Et nous, on a toujours voulu que nos concerts ne soient pas que des déchainements d’abrutis bourrés, que les filles puissent venir au premier rang.
Justement : d’où venait l’énergie démoniaque des Bérus ?
De forces qui tiraient dans des sens contraires, comme une pile électrique avec le plus et le moins qui créent ensemble une énergie. J’étais constamment en conflit, en confrontation intellectuelle avec François. C’est même arrivé qu’on s’engueule en concert, sous les masques. Personne ne voyait rien, mais on se traitait de tous les noms. Et c’est ça qui faisait l’énergie des Bérus. C’était le moteur, cette confrontation entre le côté intellectuel de François et mon côté animal.
Ça me fait penser à Narcisse et Goldmund, le bouquin de Herman Hesse : s’il y a un livre qui raconte l’histoire des Bérus, c’est bien celui là. Narcisse serait François, celui qui étudie et est plus rationnel (même si sur scène, il devenait un loup). Je serais Goldmund, le barde qui profite des bonnes choses de la vie… A la fin du livre, Goldmund se rend compte qu’il aurait bien aimé être Narcisse. Et c’est vrai que je me suis souvent demandé si je n’avais pas fait une connerie en restant enfermer dans ma personnalité.
Le mythe Bérurier Noir est lourd à assumer ?
Le groupe ne nous appartient pas vraiment. Il appartient davantage aux gens qui nous ont suivi, aimé, ce sont eux qui ont construit le groupe. Pour te dire, je connais même des gens qui aiment plus les Bérus que moi. C’est hallucinant… Ça peut être chiant, aussi : tout le monde a sa vision des Bérus et ne veut pas en démordre.
Il y a une mythologie que les gens voudraient inamovible. C’est très con. C’est pour ça que tout le monde a fait la gueule quand on a rejoué aux Transmusicales en 2003. Du genre : « Vous faites quoi les mecs, putain, vous cassez mon mythe ? ». Ce genre de réaction est tellement débile, ça donne juste envie de faire l’inverse. Bordel, s’il faut être conformiste pour un public soit disant punk…
C’est pour ça que les Bérus ont de nouveau explosé, juste après s’être reformé, en 2003 ?
Non. En fait, François n’a pas supporté qu’on crée Amputé. On devait jouer avec lui, donc sous le nom Bérurier Noir, lors de la manifestation du premier mai. Mais la veille, il a tout annulé. Pour nous, par rapport aux collectifs qui organisaient le truc et avaient trouvé un camion et une sono, il était hors de question d’annuler. Du coup, on a fait un coup d’état avec Masto et on a monté le concert autrement, sous le nom Amputé. François a aussitôt envoyé une dépêche à l’AFP pour annoncer la dissolution de Bérurier Noir.
Tu t’intéresses encore au mouvement punk ?
S’il y a une idéologie du punk, elle est condensée en une seule chose : l’anti-conformisme. Quand tous les punks sont pareils, avec leurs petits cuirs et leurs petites crêtes, c’est tout le contraire. François, il sortait dans la rue tout heureux en beuglant : « Regardez, j’ai la robe de chambre de ma grand mère ! ». C’était beaucoup plus punk qu’un pseudo uniforme. Moi, je rêve de voir des punks danser en tutu classique…
Et puis, les punks sont devenus un peu bébêtes, avec leurs chiens et leurs capuches, ce côté teufeur, le genre à taper souvent son chien (ce que je ne supporte pas), à être alcoolo, à faire chier son monde… Le punk n’est plus là. Il est chez certains écrivains, chez certains cinéastes qui se battent… Ailleurs, en tout cas.
Il en allait autrement au tout début des années 1980…
Oui, on a vécu le début du punk. Mais on a loupé le mouvement digger, les beatniks originaux des Etats-Unis, hyper politisés. Je ne sais pas si tu as lu Do It, le livre de Jerry Rubin ? C’est un bouquin absolument génial, très punk. « Sois pas branque, braque la banque », c’est un slogan punk, non ? Après, les diggers ont mal tourné, avec la vague hippie chiante. Mais au départ, c’étaient des gens passionnants et très politisés.
Tout ça pour dire… on est forcément né à une époque, il faut s’y adapter. Pour les mecs qui avaient 20 ans dans les années 1990, c’est dans les free parties que ça se passait. Quand les mecs déboulaient avec 50 camions dans la foret, qu’ils créaient une zone où tout était gratuit, même la drogue, que l’argent existait plus… Là, il y avait une rébellion. Ça n’a duré qu’un temps. Les dealers sont arrivés, la thune, et enfin l’Etat. Et c’était mort.
Tout est comme ça. A l’époque des Bérus, on se foutait de la gueule des fanas de rock à l’ancienne : « Vous êtes ringards, les mecs. Vous écoutez de la musique des années 1960. On est en 1980. »C’est pareil avec les punks d’aujourd’hui : on est en 2008, ça a commencé en 1975… Ils sont ultra ringards, les punks actuels.
En plus, le mouvement a été totalement récupéré. Tu vas chez Jennifer, ils te vendent des T-shirts avec l’épingle à nourrice. T’as des créateurs qui fabriquent des T shirts déjà troués… C’est ridicule. Avec les Bérus, on a refusé pendant longtemps de faire de T shirts. C’est à la fin du groupe qu’on a accepté, parce qu’il y avait plein de connards qui le faisaient à notre place et amassaient des thunes.
C’est ce genre de choses qui vous a fait arrêter les Bérus en 1989 ?
Trop de gens ont essayé de profiter de nous. Tu ne peux plus être alternatif quand ça marche, c’est incompatible. Quand tu joues à l’Olympia trois soirs de suite et que c’est bourré à craquer, c’est dur de tenir le cap. On a fini sur cette note… Pleins de gens n’ont pas compris, d’ailleurs : pourquoi l’Olympia ?
A l’époque, c’était hallucinant qu’un groupe comme nous finisse à l’Olympia. Le directeur de l’Olympia était parti en vacances tellement ça lui faisait peur… C’est pareil quand on a joué au Zénith, le mec s’était fait porter pâle. Pour eux, on était comme les Huns, on allait tout ravager…
Note que pour le Zénith, ils n’avaient pas tort. Mais c’est de leur faute : à la sortie du concert, ces connards avaient mis 20 contrôleurs au métro Porte de la Villette. T’as des milliers de punk qui sortent de la salle en chantant « Nous sommes des rebelles » et 20 pauvres contrôleurs qui les attendent. Ils se sont fait éclater… Les mecs leur ont piqué leur uniforme, puis ils ont fait sortir le conducteur, et ils ont démarré la rame. La folie… Après, on a appris qu’il y a avait eu 250 flics en civil dans la salle. T’imagines ? 250 flics ont payé leur place pour un concert des Bérus. On leur foutait vraiment la trouille. Surtout quand on se piquait de lire au micro des messages pour la libération des militants d’Action Directe. Ça aussi, c’est mal passé…
Ils vous l’ont fait payer ?
On s’est fait emmerder par les fachos, la dernière année. Ils n’osaient pas venir nous faire chier aux concerts, ils savaient que ça se serait mal passé. Mais ils venaient nous menacer à la maison. Coups de téléphones de menaces. Mecs qui toquent à la porte. François, ça l’a beaucoup marqué, ils ont attaqué son appart une fois, à vingt, à 3 heures du mat. Ils ont commencé à défoncé la porte et à gazer. Et les flics n’ont pas bougé quand il a les appelés, il a fallu que ce soit notre avocat qui les remue… Ça me foutait aussi la trouille, ces mecs qui surgissaient de n’importe où, te défonçaient et filaient en vitesse. Je devenais parano.
Tu as fait quoi, une fois terminé les Bérus ?
J’ai notamment joué avec Tromatism. Pendant cinq ans, nous n’avons joué que dans des squats, sans toucher un seul cachet. On a vécu comme des pirates, toute l’essence était pipée, toute la bouffe était chourée. C’était « l’autoréduction ». On débarquait dans un supermarché, on bloquait les caissières gentiment, on remplissait nos sacs, et on disait aux caissières : « Vous direz à vos patrons qu’il y a des gens qui sont venus faire de l’autoréduction. »
C’était l’aventure. On a même joué en Yougoslavie, pendant la guerre. Dans les camps de réfugiés bosniaques. On a réussi à passer la frontière et à jouer dans des camps musulmans, ce n’était pas vraiment facile. Avec nos locks et nos jupes, ça faisait une confrontation de culture terrible… C’est ça que j’aime : être là où personne ne t’attend. Ça me fait penser à un tract de la Rote Armee Fraktion : « Rendre l’impossible possible. » C’est ce que j’ai voulu faire de ma vie.
C’est presque une posture artistique ?
Artiste, ce n’est pas un métier. On l’est tous, mais il y a ceux qui le développent et ceux qui le développent pas. Les Bérus, c’était la démonstration de ça, que tout le monde pouvait être artiste : tout con, trois accords barrés, aucune technique…
Ça me fait penser à Antonin Artaud écrivant à un recteur : « L’art, on ne peut pas l’apprendre à l’école. Vous tuez les arts en faisant des écoles d’art. » C’est exactement ce qui se passe. Les mecs qui sortent des Beaux Arts filent direct dans la pub. L’artiste ne doit jamais penser à la thune, sinon c’est la fin.
Il n’y a plus de rébellion chez les artistes français ?
Le problème en France, c’est que depuis Mitterrand, les politiques font tout pour annihiler dès la naissance le germe de l’insoumission. Et il y a un contrôle ravageur de la sphère artistique. J’en veux énormément à Jack Lang. Il a beau dire qu’il aime bien les Bérus, qu’il aime les punks, il a infiltré le mouvement alternatif, pour le détruire. Il a cherché à le professionnaliser, il a incité tout le monde à entrer dans le système en créant le statut d’intermittent. Perso, je n’ai jamais été intermittent. Refus total. Je suis prêt bosser à l’usine, mais pas à être intermittent. Parce que la musique est un truc que je fais avec le cœur. Je ne peux pas être un fonctionnaire de l’état, un barde doit être libre.
Dès que tu es intermittent, tu coures le cachet, tu es obligé de faire des merdes, des concessions. Et puis, les petits organisateurs alternatifs ne peuvent pas te faire jouer : ça leur revient trop cher. Un groupe intermittent de cinq personnes coûte au moins 1500 € à l’organisateur, en comptant l’Ursaff. C’est énorme pour une petite salle.
Comment vois-tu les jeunes générations ?
A l’époque des Bérus, les gamins n’étaient pas lobotomisés par Internet, et beaucoup moins par la télé : la vie était dans la rue. Alors que maintenant, la rue, c’est le danger. Tu fais tout chez toi : tu baises sur internet, tu rencontres des gens sur le net, tu y fais tes courses, l’échange n’existe plus… Les gens finissent par trouver louche que tu leur parles dans la rue sans les connaître, ça les effraye. Il y a quand même un problème…
J’ai l’impression que les jeunes d’aujourd’hui sont complètement lobotomisés. Tu leur parles politique, ils n’ont rien à dire, sauf à réciter TF1. Aucune recherche personnelle… Moi, à 13 ans, j’achetais Libération tous les jours (celui de l’époque, hein…), et la plupart de mes potes faisaient pareil. Rien à voir avec cette culture de la bêtise acceptée par les jeunes aujourd’hui. Plus t’es nul, plus il te respectent.
Il te reste la Bretagne… Tu t’y es installé : tu y es heureux ?
Là bas, je suis vu comme un étranger, mais en même temps je suis bien intégré. La Bretagne est très ouverte à l’étranger, pas du tout xénophobe. C’est une terre d’accueil, je m’y sens comme un réfugié politique qui a fui Sarko. Ce n’est pas un fantasme, hein… La Bretagne est une terre de paysans, de gens qui ont l’habitude de trimer dur et de décompresser autant. Dans les fest noz, ils dansent, ils boivent, ils baisent… Tout le monde est là, le punk avec la grand-mère, il y a toutes les générations. C’est une culture en danger, mais qui n’a jamais cessé de se battre et de faire la fête. A l’inverse de la France, qui a peur de la fête, des rassemblements de jeunes, du bruit dans la rue…
La Bretagne, c’est aussi un milieu traditionnellement de gauche et d’extrême gauche, les fachos n’y sont pas les bienvenus. Il y a le côté régionaliste, mais juste parce que les Bretons veulent préserver une culture qui est en train se faire abîmer par les lois françaises. Vu comme ça, je suis aussi séparatiste : je veux que la Bretagne se sépare de Sarko…
Tu le détestes ?
Il est l’anti-tout. Anti-artistique ; je ne comprends même pas qu’un « artiste » puisse soutenir Sarkozy… c’est antinomique, l’art et Sarko. Que Carla Bruni, prétendue artiste de gauche, taille des pipes à Sarko, c’est monstrueux, c’est une image horrible… Lui, il est anti-amour. Anti-émotion. Anti-vie. Anti-humain. Tu ne peux pas voter pire.
Tu as des projets ?
Je vis des trucs forts en ce moment. Rien qu’avec ce que les gens me donnent en Bretagne, je peux encore tenir dix ans. Et puis, je prends de plus en plus de plaisir à jouer. Avec les Ramoneurs de Menhirs, c’est un pied énorme, d’autant qu’il y a de plus en plus de monde à nos concerts. Je n’ai toujours pas une thune, je vis comme un rat, mais je suis heureux.
Sinon, j’attends avec impatience de devenir vraiment vieux. Parce qu’être punk à 80 ans, c’est quelque chose qui dérange encore plus. On fera des concerts dans les hospices avec Amputé. Imagine : « Lobotomie » joué par des petits vieux dans un hospice… C’est là qu’on sera au summum de notre impact. Et qu’on fera chier le plus de monde.