samedi 27 juin 2009
Le Cri du Gonze
posté à 12h10, par
6 commentaires
Il en est des rencontres musicales comme des religions : certaines virent au chamanisme, au culte irrationnel sous perfusion magie noire. Depuis que j’ai fait la connaissance auditive de Screamin Jay Hawkins, je ne suis plus le même homme : j’ai abandonné mon crucifix pour un os dans le nez et je passe mes journées à psalmodier « I Put a Spell on you ». Gare à toi, on n’en sort pas indemne…
Screamin Jay Hawkins, outre qu’il est resté le seul véritable cannibale (au sens propre du terme) du Rock’n’roll, le roi de l’onomatopée primate dans toute sa splendeur, le seul à même de rivaliser avec Gainsbourg en matière de scatophilie (voir ici son hallucinant « Constipation blues », en duo avec un Gainsbourg un tantinet – c’est peu de le dire – crétin), était un show-man exceptionnel. Un type capable de faire hurler au génie n’importe quel public en se contentant d’agiter des crânes et de borborygmer à n’en plus finir. L’essence même du kitsch et pourtant plus cool tu meurs (comme il le dit dans « I’m The Cool », ci-dessous : « je suis l’homme plus cool qui ait jamais foulé le sol de cette terre. »). Un roi oublié. Il est temps de réparer l’impair.
Avec « I Put a Spell on you » (1956), le prince cannibale a accouché d’une des plus grandes chansons d’amour de tout le temps, rengaine rock dont les paroles tireraient des larmes à une clef à molettes. « Je t’ai jeté un sort / Parce que tu es mienne / Je ne supporte pas les choses que tu fais / Non non non, je ne suis pas en train de mentir / Je me fiche que tu ne veuilles pas de moi / Parce que de toute manière c’est à toi que j’appartiens, à toi à toi. »1 Je ne sais pas pour toi, mais moi, ça me chatouille les glandes lacrymales avec plus de force que le happy-end dans Orgueil et Préjugés, quand Keira Knightley embrasse l’élu de son cœur (j’étais bourré…), ce n’est pas peu dire. Et puis, la voix de Screamin Jay Hawkins, voilà qui ne devrait – dans un monde parfait – laisser personne indifférent. Le sorcier débile se met à chanter et c’est tout ton sternum qui vibre, tu retournes dans la jungle chasser l’orang-outan, l’âge de pierre te manque comme jamais. C’est irrationnel, stupide, mais ça fonctionne tellement bien que tu finis par te dire que ce « sort », ce n’est pas sur une femme qu’il l’a jeté, mais bien sur toi, pauvre auditeur réduit à l’adulation d’un prêtre vaudou qui ne ressemble à rien. Et puis, la fin de la chanson arrive, l’olibrius et son os dans le nez explosent en contorsions vocales brutes de décoffrage, et tu restes assis, le regard dans le vide, à te rêver Tarzan. L’effet est le même avec la version live du morceau, ici.
Que rajouter sur le personnage ? Qu’il a eu environ 57 enfants ? Qu’il considérait les bruits corporels comme des instruments à part entière ? Qu’il a été élevé par des indiens blackfoot ? Qu’il a connu une seconde gloire tardive grâce à la magnifique reprise par Tom Waits de l’un de ses morceaux, le génial « Heart attack and wine » ? Que le loufoque personnage de scène qu’il s’était composé a finit par tristement l’emporter sur sa musique aux yeux du public ? Trop de choses à dire pour en faire le tour. Seul conseil, se plonger corps et âme dans sa discographie. Et entrer dans le culte.
En attendant, rapide tour d’horizon des courageux qui se sont frottés à l’art délicat de la reprise de « I Put A Spell on you ».
Nina Simone
C’est la faute à Nina Simone si on a oublié Screamin Jay Hawkins. Sans elle, sans son interprétation magistrale, on créditerait peut être l’olibrius de ce qui lui revient de droit, à savoir la paternité de l’une des plus grandes chansons du monde. Mais bon, comme toujours avec Nina Simone, mon courroux ne tient pas très longtemps et mon humeur vengeresse se termine en prosternations adulatrices. Dont acte.
Catherine Ringer & Iggy Pop
Étonnant. Au début, tu tiques. Le décor assez nase, l’alliage improbable de deux icônes plus toutes jeunes, une chaîne publique, ça augure du pire. Et puis, ils ont l’air parti pour en faire trop. Et c’est qu’ils font, joyeusement : ils en ont font trop, mauvais acteurs en plus. Du coup, le morceau se retrouve catapulté d’où il vient, cette zone de non-droit où le mauvais goût devient puissance et l’outrance devient grâce. Madame Ringer déboutonne Iggy et la chanson revit.
Nick Cave
Pour reprendre le roi Hawkins, Nick Cave, fait aussi dans l’outrance, bruitiste et métallique. Oreilles décapées, on s’avoue un peu déçu. Il manque quelque chose à cette version live, un brin de folie et de mauvais goût que ne suffisent pas à distiller les poses de l’Australien et ses braillements sauvages. Bien la première fois que je me retrouve à critiquer le Nick Cave des débuts.…
Les autres
Si je voulais lister tous ceux qui ont repris la chanson, j’y serais encore demain. Sache juste que dans le tas il y eut aussi Marylin Manson, les crétins garage The Animals, une version raï pas si mal par Natacha Atlas, une version hippie languissante par le Creedence Clearwater Revival, l’horreur Bryan Ferry, Bette Midler dans le film Hocus Pocus…
Du sauvable là-dedans, voire des versions tout à fait honorables. Mais, en toute sincérité, rien qui vaille une roupie de sansonet face à la version originale du plus grand borborygmeur de tous les temps…
1 I put a Spell on you Because you’re mine I can’t stand the things that you do No, no, no, I ain’t lyin’. No I don’t care if you don’t want me Cause I’m yours, yours, yours anyhow.