mercredi 2 septembre 2009
Le Charançon Libéré
posté à 11h31, par
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Hier, le paquet fiscal ; aujourd’hui, la suppression du juge d’instruction ; le régime a ceci de remarquable que jamais il ne rechigne aux plus culottées des combines pour améliorer son ordinaire, déjà si plantureux et abondant. Lui s’empiffre toujours plus, arrangeant le monde à sa sauce et se jouant de ces lois et règles qui te contraignent. Pour lui, la grande bouffe ; pour toi, régime minceur.
Pour nous autres, gens de peu et citoyens ordinaires, il est une chose un brin déprimante et horripilante, voire carrément chiante.
Et qui n’a d’autre but que de nous rappeler combien le monde est triste, gris et morne, et qu’il le restera toujours et à jamais.
Une porte fermée, une cage enclose, l’impossibilité de s’élancer et de s’envoler, les vicissitudes de la vie et toutes ces sortes de chose, la pesanteur partout et cette longue liste d’actions interdites, impossibles, illégales.
Toutes regroupées - appelons cela ainsi mais tu peux lui donner un autre nom si tu préfères - sous le vocable « principe de réalité ».
Celui-là même pour lequel tu acceptes de ratiboiser ta liberté, parce qu’il faut bien sacrifier au vivre-ensemble.
Celui-là aussi pour lequel tu consens à courber l’échine et à tolérer lois ou forces de l’ordre, puisque que tu n’as d’autre choix et qu’une prétendue majorité s’en accommode fort bien.
Celui-là enfin pour lequel tu ranges tes rêves et utopie au placard, puisque la société ne s’alimente que de tristesse et grisaille, de froid pragmatisme et de minuscules ambitions, d’un désespérant quotidien et d’une banalité si bien réglée que tu pourrais rentrer, encore et encore, dans toutes ces petites cases dessinées juste pour toi, une après l’autre, encore une, encore une, et toujours ce même carré en lequel te plier et te taire.
Tout cela, tu l’as intégré - plus ou moins, mais intégré quand même.
De ton indépendance et liberté, tu as fait ton deuil.
Au civisme, fier étendard agité dès l’école primaire, tu t’es plié.
Et toujours tu as gardé dans le coin de ton esprit - pas d’autre possibilité, c’est ce qu’on t’a toujours matraqué, enseigné et biberonné - que jamais le monde tu ne façonnerais à ta mesure, qu’il te faudrait en rabattre sur tes prétentions et illusions, que tu allais te plier dans le moule, vivre bêtement, et puis mourir.
Ça vaut pour toi, pour moi aussi.
Pour eux tous, enfin, mais à l’exception de quelques-uns.
Tant il en est, hommes dirigeant le navire, qui s’exonèrent de ces lois et règles prétendument imposées à tous.
Qui se jouent de ces convenances et usages, lesquels leur ont pourtant donné cet immense pouvoir qu’ils exercent sur nous.
Et qui changent les règles à leur convenance, modelant ce monde à leur guise pour en cueillir tous les fruits.
Là est notre drame, finalement : alors même que ceux agitant le drapeau de l’utopie ne cessent d’être rappelés aux froids principes de la réalité, les quelques-uns au pouvoir qui les combattent le plus férocement s’arrogent ce plaisant destin de jouir de la vie sans répondre de nos lois.
Ils se goinfrent, sereinement.
Ils se goinfrent, littéralement.
Ils se goinfrent.
Et pis : pour peu que le couvert leur semble un poil mal dressé, la table - pourtant débordante de victuailles - pas assez abondante ou le festin trop chiche à l’aune de leur incroyable appétit, ces quelques-uns claquent du doigt, engueulent les serveurs, changent le menu, exigent le double de nourriture, l’obtiennent, ne payent pas l’addition, se déboutonnent et finissent leur repas - jamais vraiment terminé, pourtant - en nous rotant bruyamment au visage, à peine satisfaits et déjà pressés de remettre ça.
Et nous qui les regardons baffrer, nous silencieux et besognant, nous sans cesse encadrés par les flics et par les lois, nous qui avons consenti à rester moutons toute notre vie, nous les seuls à croire encore à quelque idéal ou joli principe, nous honnêtes gens et gentils rêveurs qui avons mis en cage notre liberté parce qu’on nous a répété sur tous les tons que la démocratie était le plus beau combat mené par nos ancêtres, nous, donc, faisons forces courbettes en passant une serviette chaude sur le visage de ces ventripotents convives, même humbles et désolés parce qu’ils n’ont pas l’air si joyeux que ça de s’être tant empiffrés.
Hier, ils ont dévoré leur plantureux repas habituel, puis commandé en sus un rab fiscal, s’envoyant derrière la cravate une dizaine de milliards d’euros d’exonérations, cadeau fait aux riches et aux puissants ; mais, ils n’étaient pas rassasiés encore.
Aujourd’hui, ils dévorent leur plantureux repas habituel, puis commandent en sus un supplément judiciaire, engloutissant les plus élémentaires règles de droit, détricotant la justice et supprimant les rares pouvoirs pouvant encore freiner leur appétit, à commencer par ce juge d’instruction aux enquêtes (quelquefois) si gênantes ; mais ils ne sont pas rassasiés encore.
Demain, ils dévoreront leur plantureux repas habituel, puis commanderont en sus le peu qu’il restera et tout ce qu’il leur plaira, la vie n’est qu’un immense banquet et rien ne s’oppose à la plus indécente des gloutonneries ; mais tu verras qu’ils ne seront pas rassasiés, encore.
Eux mangent, nous servons.
Eux modèlent le monde, nous le subissons.
Et je ne voudrais pas paraître pessimiste, mais tu sais quoi ?
Ton régime minceur ne fait que commencer.