samedi 17 octobre 2009
Le Cri du Gonze
posté à 13h44, par
33 commentaires
Il y a des sacrilèges qu’il ne faut pas laisser impunis, des blasphèmes qu’il convient de corriger tant qu’il en est encore temps. L’appropriation contemporaine de « Bella Ciao » hymne officiel des stand merguez de la CFDT et des réunions des jeunesses socialistes est de ceux-là. A l’évidence, cet air, chant de résistance des anti-fascistes italiens, mérite une autre postérité.
Une chose, pour commencer. On m’assure en studio que Bella Ciao serait devenue un passage obligé des réunions des hideuses jeunesses socialistes, ainsi qu’un hymne apprécié des réunions éléphantesques ou royalo-pitresques. La belle affaire. Passé le premier phénomène de rejet (cet air est souillé !), on se reprend illico : pas question de faire endosser à cette chanson lumineuse et chargée d’histoire la responsabilité de sa récupération par des baudruches. Doit-on repousser Guy Môquet parce qu’il a été instrumentalisé par l’UMP ? Chasser l’aigle royal au bazooka en braillant vengeance à cause d’un certain Reich qui n’aimait rien tant qu’utiliser son image ? Of course non. Dans des cas de spoliation de ce genre, une seule solution : la réappropriation. « Ne laissons pas les chacals brouter nos idéals », chantaient les Têtes Raides1. Dont acte.
On a tous chantonné, braillé, susurré ou déclamé Bella Ciao, un jour ou l’autre. Tous, sans exceptions. Notables flétris, lycéens boutonneux, pompistes hargneux, DJ’s UMP (Martin Solveig, je t’embrasse), repentis du Modem (ces gauchos ne m’auront pas, retour à De Villiers) ou totos poitevins, grand-mères collabos ou socialos castrés : tous ! Tu peux nier, faire ton original, personne ne te croira, moi le premier. C’est comme ça. Bella Ciao est tellement enracinée dans l’imaginaire collectif que tu n’as pu y échapper (ce qui prouve, au passage, qu’il y a surement quelque chose à sauver en toi). Bien sûr, il se peut que tu préfère la version de Thomas Fersen (motivante mais sans hargne, très PSocompatible ici), à celle, en français-biniou, des Ramoneurs de Menhirs (ci-dessous), dernier groupe en date de l’irréductible Loran, ancien des Bérus, voire que, par dessus tout, tu sois fan de la version supporter de foot hystéro (qui rejoint un peu le titre de ce billet…), mais il faut de tout pour défaire un monde (je sais, je me répète).
Deux versions de Bella Ciao existent en langue italienne. Une date du début du 19e siècle. L’autre, celle qui est entrée dans l’histoire et dans l’imaginaire de la contestation, l’équivalent italien du Chant des partisans, est beaucoup plus tardive.
La première est la version originale, la moins connue. Chantée par les Mondines, travailleuses piémontaises effectuant leur labeur dans les rizières d’Italie du Nord, elle commence ainsi : « Le matin, à peine levée / O bella ciao bella ciao bella ciao, ciao,ciao / Le matin, à peine levée / A la rizière je dois aller. » La suite dénonce les conditions de travail difficiles, le salaire misérable, les surveillants sadiques et leur statut de quasi esclave qui - un jour, c’est écrit - changera. « Mais tu verras qu’un jour toutes autant que nous sommes / O bella ciao bella ciao bella ciao ciao ciao / Mais tu verras qu’un jour toutes autant que nous sommes / Nous travaillerons en liberté. » La seule version que j’en ai trouvée est celle d’une certaine Milva (1971) qui ne lésinait pas en minauderies interprétativo/dalidadiennes. Tu peux la visionner ici, mais on est loin de la plaine du Pô.
La deuxième est la version détournée, adaptée à la lutte antifasciste, de la chanson des Mondines. C’est la plus connue, celle qui accompagnait les résistants italiens ayant pris le maquis. Elle évacue toute idée de rizière pour remplacer le dur labeur par l’ennemi fasciste : « Un matin, je me suis levée / O bella ciao, o bella ciao, o bella ciao ciao ciao / Un matin, je me suis levée / Et j’ai trouvé l’envahisseur2. » Sur la suite, elle se détourne plus sensiblement encore de l’air original, se focalisant sur la mort d’un partisan mort au combat qui souhaite se voir enterrer en haut d’une montagne afin que des fleurs ornent sa sépulture : « Et les gens qui passeront / O bella ciao, o bella ciao, o bella ciao ciao ciao / Et les gens qui passeront / Me diront « Quelle belle fleur » / C’est la fleur du partisan / O bella ciaoo, o bella ciao, o bella ciao ciao ciao / C’est la fleur du partisan / Mort pour la liberté.3 A noter, « Bella Ciao » ne semble pas signifier « Salut la belle », ou « Adieu ma belle », ce que mes très limitées connaissance de la langue italienne m’avaient poussé à conclure, mais correspondrait plutôt à une interjection, une forme d’appel à l’auditeur, c’est en tout cas ce que me glisse à l’oreille dame Wikipédia4.
« Bella Ciao » est un air qui a été si souvent yaourté par des incompétents de la langue ritale (bibi en premier) qu’on pourrait considérer qu’existe une version alternative, version hexagonale chantée en manif ou reprise par des groupes de punk cavistes5. Composée d’un couplet indéfiniment répété, plutôt hermétique, parfois même ramenée à la répétition interminable et vaseuse, haleine kro, de Bella Ciao Bella Ciao oh Bella Ciao, elle ne mérite pas vraiment qu’on s’y attarde.
Pour en revenir à la version qui nous intéresse, la deuxième, chant emblématique de la résistance aux fascistes (et qui aurait été également chantée par les opposants à la guerre 14-18) et du Parti Communiste Italien, elle fut chantée par tellement de monde qu’on se voit mal en faire une liste exhaustive, d’autant qu’on a déjà commencé à le faire plus haut. Quelques versions méritent cependant le détour, soit qu’elles sont particulièrement craignos, soit qu’elles balancent du steak questions vibrations. Celle du Mondena City Ramblers avec Goran Bregovic est plutôt conseillée. Les nostalgiques du Parti se laisseront emporter par la version tonitruante des chœurs de l’armée rouge, tous barytons sortis (ça gigote de la glotte, je te dis que ça). Ils pourront ensuite embrayer sur Montand, celui qui a popularisé la chanson en France, ça leur fera la journée questions folklore mais je la trouve limite fade. Les mondains se faderont cette version prétentieuse, anglo-surchantée, par un groupe du nom de Mondine, tu l’écoutes en entier et hop, illico, tu ne penses plus qu’à retrouver la chanteuse pour lui faire avaler son micro, sa voix arty et ses postures cosy. Enfin, cerise sur le gâteau, les amateurs de coiffures kitsch et de sourires chevalins prendront leur pied avec la version de Dean Reed (ci-dessous), genre de Claude François yankee (ou d’Elvis à face d’autrichien) qui nous donne une version plus qu’enflammée de la chose, quasi punk. Les barbus dans la salle (Moscou 1985, le style chemises à carreaux grunge fait des ravages) pètent limite les plombs, tapent dans leurs mimines, ça sent son émeute musicale et les fauteuils qui ne vont pas tarder à voler. Rien d’étonnant : on aurait été présent, nul doute qu’on aurait réagi pareil, il y a des prestations qui valent tous les discours (mazette, quel final...). N’en abuse pas, cependant, cette version naphtalinée possède quelque chose de foutrement addictif, parole de Lémi.
1 Dans une chanson que je ne retrouve plus, tu m’excusera.
2 Una mattina mi son svegliato / O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao / Una mattina mi son svegliato / E ho trovato l’invasore.
3 E le genti che passeranno bella cia / o, bella ciao, bella ciao ciao ciao / E le genti che passeranno / Mi diranno : che bel fior È questo il fiore del partigiano / O bella ciao, o bella ciao, o bella ciao ciao ciao / È questo il fiore del partigiano / Morto per la libertà.
4 Cher lecteur italophone, tu es autorisé à intervenir.
5 De : jouer dans les caves.