mercredi 10 juin 2009
Le Charançon Libéré
posté à 11h29, par
42 commentaires
L’enfer. Depuis dimanche, ça n’arrête pas : le chœur des pleureuses au grand complet nous refait Waterloo, s’enfonce dans la déprime généralisée. Cette fois ça y est, sanglotent-ils, les carottes sont cuites et recuite, on n’y coupera pas à la réélection de Sarkozy. « No future » qu’ils gémissent, « UMP for ever ». Comme si ces élections européennes avaient été autre chose qu’une farce sans importance...
Pis que la grippe aviaire…
Une vraie vague de désolation idéologique, une épidémie de déprime politique, une immense contagion de c’est-mort-y-a-plus-rien-à-faire-on-n’a-pas-fini-d’en-bouffer-du-Sarkozy.
Et que ça chouine1.
Que ça pleurniche.
Que ça se désole, en long, en large et en travers.
Un vaste chœur de pleureuses, jolie illustration de l’extension du domaine du geignement, comme si une gigantesque nappe de désespoir s’était étendue sur la France contestataire.
Et tout ça pour quoi ?
Pour un score du parti présidentiel un peu meilleur que prévu.
Ah… ça a été un raz-de-marée UMP ?
Même pas, les satrapes de la majorité n’ont engrangé que 27,89 % des voix, en un scrutin où 59,52 % de la population n’a pas jugé bon d’aller voter.
C’est tout ?
C’est tout.
Et qu’est-ce que ça prouve ?
Rien, que dalle, nichts, du vent…
Je le conçois, le coup peut sembler rude.
Tant ces derniers mois ont pu te laisser penser qu’il suffirait d’un rien, de pas grand chose au moins, pour faire main basse sur le système et le retourner comme une crêpe.
Il y a 24 semaines, tu pressentais l’écroulement du capitalisme à la faveur d’une crise semblant prouver - enfin - toute la justesse de tes critiques.
Il y a 16 semaines, tu descendais par centaines de milliers dans les rues, joyeux cortège sans lendemain mais qui avait au moins le mérite de te permettre de te compter, toi, parmi tous ceux qui avaient décidé d’arpenter le pavé.
Il y a huit semaines, tu suivais au jour le jour les séquestrations de patrons et les manifestations sauvages, avec ce sentiment que le Grand Soir approchait à vastes enjambées.
Et hier encore, tu faisais la campagne de ta formation - LO, Front de Gauche, NPA, parti des abstentionnistes - avec la conviction que les urnes ne pourraient que traduire ce que tu sentais autour de toi, envie de changement, vrai retour des idéaux de gauche, nécessité urgente de placer le monde sur de nouveaux rails, soif ardente de mettre fin aux plus criants abus et plus évidentes inégalités.
Et vlan, paf : d’un seul coup, tout s’écroule.
Tu rends les armes.
Tu jettes le bébé avec l’eau du bain électoral.
Et tu décides que rien ne sert plus à rien de se battre, l’ennemi est décidément trop fort.
Le salaud…
Te l’avouerais-je ? Ton manque de constance me fait un brin poiler.
Et je vais me permettre de te faire quelques observations, si tu permets :
× En voyant dans ces résultats électoraux une victoire sarkozyste et une défaite pour ton camp, tu te montres finalement bien sensible à la propagande de l’UMP. C’est ce parti - et lui seul - qui considère qu’il a remporté dimanche une victoire et se croit autorisé à se gargariser de quelques voix supplémentaires. Laisse-le faire, il déchantera bien assez vite.
× Cette réussite aux Européennes du camp ennemi reste des plus modestes. Mieux : il n’y a pas de réussite du tout. Le parti présidentiel a mobilisé toutes ses forces, bataillon de votants et de supporters réagissant à l’appel des urnes tel le chien de Pavlov venant chercher son susucre. Cette cohorte de bourgeois inquiets et de vieux aigris, tous persuadés que le vote est un devoir et qu’il serait impardonnable de ne pas se rendre à l’isoloir, ne gonflera pas, n’augmentera pas, ne gagnera plus un seul électeur. Bref, son score est faible, ridiculement faible, parce qu’il n’est aucune chance qu’il fasse mieux demain.
× Ces élections, que tu t’entêtes à trouver essentielles quand elles ne représentent rien, ont surtout prouvé combien ce que tu dis et répètes depuis des années est juste. Oui : le système est en crise, les 59,52 % d’abstention suffisent à le démontrer. Oui, encore : il n’y a jamais eu autant de gens décidés à ne plus le cautionner et résolus à s’en laver les mains. Oui, enfin : une double fracture travaille la société en profondeur, la traditionnelle lutte des classes (faut-il te rappeler qu’il y a eu dimanche 69 % d’abstention chez les ouvriers et 66 % chez les employés ?) et le plus nouveau conflit des générations (faut-il te rappeler aussi que - dimanche toujours - plus de 80% des 18-35 ans ne se sont pas déplacés pour voter ?), et ces deux mouvements d’ampleur suffisent à démontrer combien les jours du système sont comptés.
× La crise (puisqu’il faut la nommer ainsi) qui s’est abattue sur le monde depuis six mois n’a pas disparu en un claquement de doigts à la faveur des Européennes. Pis : celle-ci ne fait sans doute que commencer. Évite - donc - de tirer des plans sur le désastre à trois ans et de prétendre que les choses sont déjà écrites pour 2012 quand nous traversons des temps si instables qu’une prévision à deux mois est déjà du foutage du gueule. Personne ne sait dans quel état sera ce pays pour les prochaines élections présidentielles, ni toi, ni la mère Michèle, ni Sarkozy.
× Ne méjuge pas de l’ampleur des contestations sociales à venir. Nous sommes en juin, le pouvoir a à l’évidence gagné un sursis de trois mois, habituel temps mort des vacances d’été. Prend ton mal en patience, manifestations, séquestrations et grèves reprendront en septembre. On parie ?
× Qu’est-ce que tu croyais ? Que les choses allaient changer en quelques mois, aussi vite pensé, aussi vite réalisé ? Qu’en deux temps trois mouvements, la société allait prendre un nouveau départ, tous les citoyens convertis à tes idéaux de gauche et décidés à travailler main dans la main pour un monde meilleur ? Allons, allons… un peu de sérieux, s’il te plaît.
× Rien à battre des élections, le bouleversement que tu attends ne viendra pas des urnes. Un jour, dans un an ou dans cinq, les laissés pour compte de ce monde décideront de secouer le joug et de mettre à bas cette société. Il sera alors inutile pour les vieux et les fidèles soutiers de l’UMP de se rendre dans l’isoloir, puisque jeunes, chômeurs, smicards, exclus et ouvriers auront brûlé tous les bureaux de vote. En clair : la légitimité des urnes ne signifie plus rien, pourquoi t’embêter à en tenir compte ?
Bref : patience.
Patience, te dis-je.
Le temps joue pour toi, le leur est compté.
1 Par exemple, sur ce site, en commentaires d’un précédent billet. Mais aussi partout ailleurs, sur le net ou dans la vraie vie.