vendredi 9 décembre 2011
Sur le terrain
posté à 17h12, par
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Ce mardi 6 décembre, les salariés de la douzaine de magasins Pizza Hut répartis sur toute l’Ile-de-France ont fait grève pour demander de meilleurs salaires et des conditions de travail améliorées. L’objectif : frapper la chaîne de restauration rapide au porte-monnaie afin de la pousser vers la table des négociations. Nous sommes allés à la rencontre des grévistes, rue Ordener, à Paris.
C’est sous une pluie battante que des salariés de Pizza Hut venus de toute la région et leurs soutiens (parmi lesquels un militant du NPA, un de Stop précarité et une Autrichienne membre de l’IWW – Industrial Workers of The World) ont tenu un piquet de grève devant le magasin de la rue Ordener (18e arrondissement de Paris), dont la devanture a été pour l’occasion recouverte de tracts multicolores. Vers 15 heures, les responsables syndicaux Sud et CFDT sont partis négocier avec la direction, tandis que les responsables de l’enseigne ont finalement décidé de fermer le magasin pour l’après-midi.
En ce mardi, jour traditionnel de promotions sur les pizzas, il s’agit de faire pression sur la direction pour obtenir de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires. Alors que le magasin fait d’ordinaire 4 000 euros de chiffre d’affaires sur une journée comme celle-là, ce mardi, ce chiffre est de seulement 289 euros. Un chiffre à mettre en relation avec les pertes dues aux surplus qui devront être jetés et à l’obligation qu’a l’entreprise de payer ces grévistes1. L’objectif affirmé est bien de frapper la chaîne de restauration rapide au porte-monnaie afin de la pousser vers la table des négociations.
Passage à l’offensive
Les grévistes soulignent que leurs conditions de travail sont « parmi les pires du marché du travail ». Dans des locaux souvent mal entretenus, les standardistes courent entre les appels incessants et les sorties de four, les « prodeurs » (cuisiniers) travaillent à la chaîne « sous une chaleur harassante et insupportable ». Les livreurs doivent filer comme le vent quelles que soient les conditions météorologiques pour assurer un bon service aux clients. Certains se font agresser, d’autres se tuent sur la route. Quand ils ne sont pas assez rapides, on les oriente vers des tâches plus pénibles comme la plonge. Tous sont payés au Smic, sans primes ni 13e mois ni mutuelle : une situation unique parmi les employés polyvalents. Enfin, Pizza Hut est aussi connu pour sa tendance a réprimer les syndicalistes, par exemple en décourageant à coups de pression psychologique ceux de ses salariés qui souhaitent se syndiquer ou se présenter aux élections professionnelles sur des listes syndicales, notamment à la CGT – du temps où ce syndicat existait au sein de l’entreprise – et à Sud.
A l’image de leurs collègues de MacDo, KFC ou Quick, les salariés de Pizza Hut ne désespèrent pas d’obtenir une rémunération en rapport avec leurs dures conditions de travail. Cette grève se veut une grève « d’action » et non plus « de réaction » : si par le passé les grèves étaient déclenchées pour répondre à une attaque particulière (par exemple des heures supplémentaires non payées de mai à juillet dernier), cette fois-ci, il s’agit de ne pas attendre un malheureux événement et de passer à l’offensive en prenant l’initiative : « C’est nous qui posons les questions », se félicite Hichem Aktouche, délégué syndical Sud Commerce et services, de retour de négociation.
« Vous ne voulez pas une prime pour aller pisser ? »
Pourtant, la direction continue de faire la sourde oreille. Ainsi, à la revendication de disposer d’un tabouret par poste de travail, obligation inscrite dans le Code du travail, l’entreprise, tout en reconnaissant ses torts, se plaint qu’elle « ne gagne pas assez d’argent » et « est déficitaire depuis qu’elle a été créée ». Autre obligation légale : permettre aux salariés ayant subi un accident du travail avec arrêt de plus de huit jours de bénéficier d’une visite médicale de reprise. Une obligation « trop difficilement conciliable avec l’activité de notre société », affirment les dirigeants.
Les réponses aux autres questions soulevées sont tout aussi ubuesques, raconte Hichem Aktouche : « On ne va pas payer les salariés parce qu’ils sont à l’heure », aurait ainsi répondu la direction à la demande de prime d’assiduité. Ou encore, s’agissant d’une prime pour les salariés du mardi, jour particulièrement difficile du fait des promotions, la réponse aurait fusé, tout en élégance : « Vous ne voulez pas une prime pour aller pisser ? »
Concernant la mise en place du régime de subrogation, Pizza Hut « va voir si vraiment ça ne coûte rien ». Or, cette revendication est très importante pour les salariés : livrant des pizzas, soumis à la pression du chronomètre, ils ont très souvent des accidents de travail, « sorte de baptême pour chaque livreur », explique Hichem Aktouche. Quand c’est le cas, c’est l’assurance maladie qui prend en charge leurs salaires, mais avec des délais d’attente pouvant aller jusqu’à deux ou trois mois dont pâtissent des salariés qui, travaillant déjà à temps partiels, sont parfois obligés de s’endetter pour payer leurs loyers. Le régime de subrogation permet au contraire le maintien du salaire par l’employeur, qui se le fait ensuite rembourser par l’assurance maladie.
A Neuilly aussi
Qu’en pensent les clients ? Hormis la traditionnelle vieille aigrie qui a « connu la guerre, moi, Monsieur » et qui trouve scandaleux que des jeunes vivant selon elle dans le confort se permettent encore de râler, les réactions sont plutôt sympathiques. Une autre personne âgée apporte un soutien appuyé, soulignant les conditions de vie de plus en plus difficiles des jeunes qui « sont l’avenir ». Des habitués saluent les grévistes. D’autres clients, qui avaient prévu de commander des pizzas ce soir, acceptent de renoncer à leur achat, telle cette mère de famille. Plusieurs demandent comment ils peuvent soutenir le mouvement et versent leur obole à la caisse de grève. Rares sont ceux qui entrent malgré tout2, une fois le magasin réouvert pour la soirée. Une femme qui a tenté le coup ressort sous les huées et les quolibets.
Les lieux ne sont plus tenus que par un manager, qui essaye de faire dégager les grévistes de l’entrée. Fatigué du son strident du mégaphone employé pour le faire fuir, il finit par appeler les flics. Pendant ce temps, Philippe Poutou, candidat NPA à la présidentielle, vient apporter son soutien aux grévistes. La pluie a cessé avec la tombée de la nuit, chacun entend tenir bon jusqu’à la fin du service. Le piquet est même si bien tenu que plusieurs salariés s’en vont renforcer celui de Neuilly où, la conscience de classe n’étant pas aussi développée, les clients tendent à passer outre.
Toujours est il que suite à cette journée, Pizza Hut, qui n’a rien voulu lâcher ce mardi, se dit prête à ouvrir de vraies négociations dans les jours qui viennent en vue de parvenir à un accord qui mette fin au conflit. D’ores et déjà, les syndicats annoncent que s’ils n’obtiennent pas satisfaction, ils appelleront à une nouvelle journée de grève.
A lire : « Génération précaire » d’Abdel Mabrouki, paru en 2004 au Cherche-Midi. Abdel Mabrouki, qui a fondé la section CGT de Pizza Hut, raconte les conditions de travail inadmissibles, la répression syndicale mais aussi ses déboires avec la direction de son syndicat, assez déconnectée du terrain et peu au fait de la réalité professionnelle des précaires de la pizza.
Ailleurs sur le Net : sur le site d’Alternative libertaire, lire « Table ronde syndicaliste 3/5 : Qu’est-ce que le syndicalisme interprofessionnel aujourd’hui ? ». Hichem Aktouche y explique les spécificités du combat syndical dans une entreprise n’employant que des salariés précaires.
1 En effet, une partie des revendications des grévistes concerne leur exigence de voir leur entreprise respecter le code du travail. L’employeur délinquant étant seul fautif, ceci rend cette grève non seulement légale mais légitime et l’oblige à rémunérer les grévistes.
2 Légalement, les salariés n’ont pas le droit d’empêcher les clients d’entrer. Tout juste peuvent-ils les informer sur les raisons de leur grève et espérer que par solidarité, ceux-ci renonceront à leurs achats.