mercredi 19 novembre 2008
Sur le terrain
posté à 08h03, par
8 commentaires
Un vrai festival ! L’arrestation des neuf de Tarnac a été l’occasion pour les vieilles lunes réactionnaires, policières ou médiatiques, d’exhumer une haine pleine de préjugés envers les collectifs anar et les communautés libertaires. Ils en ont tellement rajouté que j’ai eu envie de faire partager ma maigre expérience de tels lieux de vie. Bons souvenirs et tranches de vie communautaires.
Je n’écris pas ce billet pour revenir sur l’affaire de Tarnac, je ne les connais pas personnellement et, dans la fête de la saucisse médiatique, tout ce qu’on peut lire à leur sujet en ce moment est probablement un tissu d’ânerie. J’apporte juste mon maigre éclairage personnel sur ces collectifs dont tout le monde parle sans les connaître.
Il y a quelques temps, j’ai passé un an dans un collectif de Haute-Provence, Longo Maï1. J’ai gardé de nombreux contacts là-bas et j’ai aussi visité un certain nombre d’autres communautés. Je nommerai pas les différents lieux où j’ai habité/passé. Que ceux que ça intéresse essayent de trouver par eux-mêmes, la salade de fruit est toujours plus savoureuse quand on a soi-même été cueillir l’ananas.
En communauté ?
Un collectif anarchiste, une « communauté » même si ce mot me file toujours un peu mal au bide, ce n’est pas la fête aux schtroumphs et l’amour libre. Loin de là… Les gens se prennent la tête, et peut-être même un peu plus qu’ailleurs. Je me rends compte, à chaque fois que je parle avec des potes qui n’y connaissent rien, de la persistance des vieux mythes sur les communautés/collectifs ruraux en tant que crétineries néo-babos et/ou sectaire. L’amour libre et la glande. Quelle connerie !
En fait, la principale chose qui change est le rapport au travail et à la vie. Les tâches sont réparties suivant les envies et les compétences de chacun, voire selon les groupes affinitaires (dans les grands groupes, il y a souvent des gens qui ne peuvent pas se saquer, heureusement). C’est une gestion collective des impératifs de survie pour la bouffe, le logement et le reste. Et la possibilité de choisir ses contraintes et son rythme de travail. Tout en sachant qu’il est bien plus motivant de se construire un toit que de servir des hamburgers à des obèses. Ça rejoint totalement la conception marxiste de l’aliénation du travail et par le travail. C’est cette aliénation qui disparaît et c’est énorme.
Des règles à respecter
Ça se rapporte pour moi au concept d’autonomie. L’anarchie n’est pas un espace de non-droit, une jungle où c’est le plus gros chimpanzé qui baise les femelles. C’est simplement un espace où les règles de vie ne dépendent pas du droit écrit, mais d’un libre accord entre les gens. C’est le respect collectif de ces règles tacites qui donne sa cohérence au groupe.
Je me souviens quand je suis arrivé, je n’avais aucune expérience, je suis venu tout seul et je ne connaissais personne. Pourquoi ? Parce que ça m’intriguait, que ça ressemblait à mes rêveries d’adolescents quand je fumais pleins de joints et que je voulais aller m’installer dans la ferme de mes grands-parents en Picardie avec mes potes. Donc : je suis arrivé là-bas, moitié bouche-en-coeur moitié méfiant, et bordel, pendant un mois, je n’ai vraiment rien compris à l’organisation du lieu. D’autant que les gens qui vivent là-bas sont blasés de voir des gamins qui font du tourisme militant passer trois jours pour pouvoir dire qu’ils y sont allés, ce qui ne sert strictement à rien (un peu comme se rendre dans un camp de vacance en Afrique, on ne voit rien, on ne comprend rien et on ne rencontre personne…).
Bref, j’ai quand même mis un bout de temps à me faire accepter. Le problème pour l’arrivant, c’est la méfiance bien naturelle que le groupe a à son égard. C’est normal : tous ces collectifs ont eu des problèmes avec les flics, des histoires glauques d’indics ou de gros cons malhonnêtes. Si tu ne peux pas te réclamer d’un pote en commun ou d’un ami qui a prévenu de ton arrivée, il y a toujours un cap difficile à franchir. D’autant que les règles de vie sont spéciales, du coup tu fais boulette sur boulette, et personne n’a envie d’expliquer pour la quinzième fois ce qu’il faut faire ou pas faire… Là, soit tu restes et tu t’adaptes, soit tu pars comme t’es arrivé.
Sentiment de propriété
Le point capital c’est le relationnel : si le courant ne passe pas, il vaut mieux prendre tes valises tout de suite avant qu’on ne te dise gentiment et fermement de te tirer. L’erreur classique, qui fait toujours beaucoup rire, c’est le gars qui ne doute de rien, se pointe, dit qu’il a plaqué son appart et son boulot pour vivre ses idéaux, et attend que les femmes se jettent à son cou pour son courage de héros et que les mecs lui donnent de grandes claques viriles dans le dos. Connerie… Si tu passes dans un lieu et que tu arrives en disant que tu viens pour t’installer, tu as toutes les chances de te faire claquer la porte au nez. L’échelle temporelle est différente. Là-bas, le temps c’est pas de l’argent.
Pour revenir au collectif dans lequel j’ai habité le plus longtemps, Longo Maï, il date du début des années 70’s et c’est l’un des plus anciens. Il est devenu une institution, et presque tous mes potes qui habitent dans des lieux de ce genre y sont passés.
Il y a des gens qui y résident depuis presque quarante ans. De manière très humaine, ils ont développé un fort sentiment de propriété (pas tous évidemment), ce qui rend assez compliqué l’intégration des nouveaux arrivants. Ça peut même s’avérer franchement pénible… Pour éviter le développement de ce sentiment de propriété, quelques collectifs importants (je ne parle pas des écos-villages, ça ne m’intéresse pas plus que ça) sont devenus mobiles et les gens qui y habitent nomades. L’idée est aussi de tisser un maximum de liens avec les autres groupes, urbains ou ruraux. La richesse c’est de pouvoir compter sur les autres en cas de coup dur, ça remplace efficacement un gros chiffre d’affaire.
Et les « anarcho-autonomes » ?
Pour finir, en rapport avec l’actualité, ces individus et ces groupes s’investissent en général dans des luttes locales, ou sur certains sujets comme le nucléaire, les nanotechnologies ou l’élection d’un nain névropathe. Les individus dans ces collectifs passent plus de temps à gratter la terre dans le potager qu’à fomenter des attentats terroristes. Ils veulent simplement vivre de la manière qu’ils ont décidé et suivant leurs propres règles. Et sont bien conscient qu’il vaut mieux pour cela éviter la publicité intempestive, même s’ils sont politisés et engagés.
Bref, toute cette affaire est une manipulation médiatique, Jbb l’a dit, ce n’est pas la peine que j’en rajoute une couche. D’ailleurs j’invite tout ceux que ça intéresse à aller visiter le site Infokiosque et à lire leur dossier de presse sur la mouvance anarcho-autonome.
J’ai été obligé de faire énormément de généralisations, mais j’espère que c’est une entrée en matière satisfaisante. J’ai encore un certain nombre d’amis qui habitent dans ces lieux et je sais qu’ils n’auraient pas apprécié que je les nomme ou que je les cite, c’est pour ça que je me suis abstenu.
En fait, le but était plutôt d’indiquer que ce genre de lieux existent et que ce ne sont pas des refuges de babos mystiques dégénérés ni des pépinières de terroristes, mais qu’il y fait souvent meilleur vivre qu’ailleurs. Indiquer aussi que quand on a pas un rond, qu’on est débrouillard et qu’on a un groupe d’amis motivés, tout est possible : il suffit de lever son cul du canapé et d’éteindre la télé.
1 Après quelques hésitations, j’ai finalement décidé de citer le nom de cette communauté. Ils sont de toute façon tellement connus que donner des apparences de secret serait grotesque. A titre informatif et pour ceux qui feront des recherches sur Internet : non, ce n’est pas une secte. J’y suis retourné avec plaisir et j’y retournerai sans doute encore, :j’y ai passé quelques uns des meilleurs moments de mon existence. Par ailleurs, il existe un livre qui retrace l’épopée Longo Maïenne depuis ses débuts, écrit par une personne qui y vit toujours : Beatriz Graf : « Longo Maï. Révolte et utopie après 68 » (Éditions Thesis / ars historica, 2006). Personnellement je le trouve intéressant, et ça recontextualise de façon intéressante l’entité que constitue Longo. Sinon et pour ceux que ça intéresse, Radio Zinzine est écoutable sur internet : c’est une radio associative qui existe depuis plus de trente ans et qui est tenue par les personnes de Longo Maï.