vendredi 9 janvier 2009
Sur le terrain
posté à 14h34, par
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C’est une ville aujourd’hui oubliée, alors qu’elle fut l’une des capitales du monde au XVIIe siècle. De ses splendeurs passées, quand les colonisateurs espagnols exploitaient les incroyables richesses de son sous-sol, il ne reste plus rien à Potosi, si ce n’est le titre d’agglomération la plus haute du monde. Une ville déchue, qui ne cesse de s’enfoncer davantage dans la misère et de mourir à petits feux.
Tout a démarré avec la découverte par les Espagnols en 1545 du « cerro rico » (littéralement : montagne riche), une montagne bolivienne dont le sous-sol regorgeait d’argent pur et d’autres minerais.
Aussi sec et en un éclair, les colons ont fondé à un peu plus de 4 000 mètres d’altitude la ville de Potosi, histoire de permettre l’exploitation de cette fantastique richesse. Une exploitation rendue possible grâce au travail forcé et gratuit des Indiens : le système de la « mita », forme de travail obligatoire au service de la collectivité du temps des splendeurs de l’empire Inca, a été récupéré à leur profit par les colonisateurs. Un mise en esclavage qui fera, selon les historiens, jusqu’à huit millions de morts.
Pour les Espagnols, c’était tout benef : un trésor inestimable a ainsi été extrait de terre et a rejoint l’Europe via l’Espagne. La légende veut que l’on aurait pu tendre un pont d’argent entre Potosi et Madrid… Et certainement, un pont d’os dans le sens inverse !
En tout cas, cet afflux de richesses a largement impulsé, pour faire un brin de marxisme et citer la théorie de l’accumulation primaire du capital, l’essor industriel européen, et donc la naissance du capitalisme. Ce rôle joué par les mines d’argent de Potosi est largement reconnu par les historiens et remarquablement décrit dans le livre Las veinas abiertas, de Galeano1. Un symbole finalement très parlant : le capitalisme s’est construit sur le sang et la sueur des Indiens, comme il le fera ensuite avec la traite des noirs et le commerce triangulaire.
Et Potosi, alors ? Au XVIIe siècle, elle est devenue la ville la plus peuplée d’Amérique (jusqu’à 200 000 habitants). L’une des plus riches aussi : le faste des fêtes des colonisateurs n’égalait que la splendeur de la multitude d’églises alors édifiées ; aujourd’hui décrépies, elles témoignent encore de ce lustre passé. Cette richesse éclatante a d’ailleurs été à l’origine de l’expression « Vale un Potosi », que Cervantes a placée dans la bouche de Don Quichote et qui donne en français : « C’est le Pérou ! »
Et puis, la chute…
A force, les incroyables gisements de Potosi se sont progressivement épuisés. Et ils n’étaient plus, à l’indépendance d’un Haut-Pérou devenu Bolivie en 1825, qu’une pâle ombre de leur splendeur d’antan. D’autant que le cours de l’argent s’est écroulé au milieu du XIXe siècle : n’ayant vécu que par et pour les mines, la ville a sombré.
C’est loin d’être un un cas isolé : la répartition internationale du travail, poussée à son paroxysme, a causé de nombreux écroulements similaires à travers le monde au fil des siècles. Presque une fatalité, lorsque le cours d’un produit s’effondrait et que disparaissait la principale source de revenu d’une région ou d’un pays : ainsi de la canne à sucre brésilienne ou des plantations d’hévéas lors de l’avènement du caoutchouc synthétique.
C’est là tout le destin tragique de Potosi : cette ville a été exploitée jusqu’à la moelle par le monde européen, avant de sombrer dans la pauvreté une fois que ceux-ci eurent levé le camp.
Aujourd’hui ?
Au XXe siècle, l’exploitation de l’étain a redonné un semblant d’activité à Potosi. Et de nos jours, les mineurs continuent tant bien que mal à perpétuer une longue tradition locale, celle d’une mort précoce après une courte vie d’un labeur exténuant.
Aujourd’hui encore, les hommes explosent donc à la dynamite cette montagne plus trouée qu’un gruyère (elle s’est affaissée de 300 mètres depuis 1540). Dans une vraie fournaise, ils respirent à longueur de journée des poussières de minerai, lesquelles les tuent lentement mais sûrement. Tout cela pour un salaire misèrable, à peine suffisant pour survivre.
Un labeur dangereux ? Evidemment : « Les jeunes, affectés au transport du minerai, connaissent mal la mine ; ils peuvent se perdre dans les innombrables galeries, tomber dans un trou sans l’avoir vu… », résume Don Felipe, mineur depuis 25 ans. Et de poursuivre, en commentant la récente chute des cours du zinc, de l’étain et de l’argent : « Aujourd’hui, notre travail ne vaut plus rien ; pour un travail exténuant, on gagne à peine 25-30 bolivianos par jour (soit 2 à 3 euros). A cela, il faut retirer l’achat de la dynamite, de la coca, de l’équipement, soit le casque, la lampe, les habits… »
La feuille de coca, indissociable de l’univers de la mine, permet tout juste aux mineurs de supporter la fatigue, la faim, la soif et la pénibilité de leur labeur. L’alcool - qu’ils avalent pure, à 96 ° - les aide à oublier qu’ils se détruisent pour quelques cacahouettes. Ou qu’ils ne travaillent plus : du début de l’année 2008 à aujourd’hui, le nombre de mineurs encore en activité a été divisé par 16, passant de 16 000 à un millier en raison de la chute des cours. A tel point que d’ancienne ville de la mine, Potosi se mue lentement en royaume d’alcooliques : à toute heure du jours et de la nuit, plus que partout ailleurs, les gens titubent dans ses rues. Pour oublier.