mercredi 15 octobre 2008
Le Charançon Libéré
posté à 11h02, par
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Il ne sera pas dit que j’aurai laissé passer une telle injure à l’honneur national. Ni que j’aurai fermé les yeux sur un tel manque de respect pour le glorieux hymne patriotique français. En aucun cas ! Scandalisé par la réaction de ces supporteurs « antifrançais » qui ont sifflé La Marseillaise lors d’un match amical, hier au Stade de France, Le Charançon Libéré déclare la guerre à la Tunisie. Rien de moins !
Ça a été un choix cornélien.
Qui m’a empêché de dormir cette nuit.
Et m’a laissé haletant au réveil, partagé entre une tendance naturelle à l’indulgence et un amour jaloux et belliqueux pour ma patrie.
A tel point que je ne savais toujours pas, après mon petit-déjeuner, si j’allais déclarer la guerre à la Tunisie.
Ou pas…
J’avais pourtant failli me décider plus vite.
Tant ma première réaction, quand j’avais entendu ces immondes sifflets salir notre glorieux hymne national en prélude à un amical match de football, avait été de sauter de mon fauteuil.
Et de foncer vers mon téléphone pour appeler Tunis, décidé à annoncer officiellement mon entrée en guerre.
Histoire de montrer à ces arabes qui font rien tant que gâcher nos plus belles fêtes sportives de quel bois je me chauffais.
Et puis… j’avais réfléchi.
J’avais pensé à ces millions de vie qu’engagerait ma décision.
J’avais songé à ce cortège de désolation et de tristesse que causerait mon coup de fil.
Et j’avais imaginé tous ces morts et ces blessés, dont beaucoup n’auraient même pas regardé le match.
Bref : je m’étais dégonflé.
Mais attention, j’hésitais encore !
Et je savais que si je n’avais pas déclaré mon entrée en guerre le soir-même, je pouvais toujours le faire le lendemain.
Tant il ne sera jamais trop tard pour venger l’affront qui nous fut fait.
Et pour rappeler à ces Tunisiens qu’on ne badine pas avec l’hymne national français.
Tudieu !
Avant le match déjà, j’avais compris qu’il se passerait quelque chose.
Sentant que dans l’air flottait un parfum d’anti-France et de mépris pour nos plus glorieuses valeurs.
Je n’étais pas le seul, d’ailleurs : Les sifflets les plus redoutés ne seront pas ceux à destination de Raymond Domenech ce mardi soir au Stade de France pour ce France-Tunisie amical. Les services du ministère de l’Intérieur disent en effet craindre des « agissements antifrançais », écrivait 20 Minutes une dizaine d’heures avant le coup d’envoi.
Et je ne sais si je dois me réjouir que les hommes d’Alliot-Marie, peu habitués à toucher juste, se soient pour une fois montrés si clairvoyants.
Ou si je dois encore m’énerver davantage d’un manque de respect qui, puisqu’il était prévisible, aurait pu être étouffé dans l’oeuf.
Pour peu qu’on ait su, au moment adéquat, adopter des mesures énergiques.
Et arroser d’un peu de napalm certaines parties des tribunes ou balancer quelques menues bombes sur les groupes d’agitateurs les plus vindicatifs.
Après tout, on a l’habitude, hein…
Ce qui m’a conforté dans mon indignation, ce fut de voir que je n’étais pas le seul à me scandaliser.
Et que les plus ardents patriotes, glorieux agitateurs du drapeau et résolus défenseurs de la nation, avaient eu la même réaction que moi.
Mieux : alors même que je sautais sur mon combiné à la fin de l’hymne national, prêt à passer ce coup de téléphone qui mettrait à feu et à sang la Tunisie et plongerait ce pays dans l’affliction pour les quinze années à venir, Frédéric Lefebvre, si délicat porte-parole de l’UMP, s’installait à son ordinateur, porté par la même fougue vengeresse, et rédigeait l’un de ces communiqués qui ont fait sa réputation dans tous les pays francophones.
« Il est désolant de voir que des Français aient pu siffler des Français. En sifflant les bleus c’est aussi des jeunes Français d’origine tunisienne ou algérienne qui sont sifflés. Quand on est adopté par un pays ont en respecte son hymne national », s’est emballé ce patriote intransigeant, si énervé par ce qui lui avait été donné à entendre qu’il s’est encore plus que d’habitude emmêlé les pédales dans l’orthographe et la syntaxe de son communiqué.
Une maîtrise imparfaite du français qu’on lui pardonnera, le texte ayant été rédigé dans l’urgence et envoyé aux rédactions avant même que le match en question ne soit terminé, ainsi que le relève Arrêt sur images.
Ça claque !
Il faut être honnête : Frédéric et moi n’avons pas été les seuls à nous indigner de ces « agissements antifrançais ».
Et nombre de défenseurs de la nation y sont allés de leur petit couplet scandalisé.
Extension du domaine de l’indignation qui couvre un très large champ politique, de François Fillon à Marie-Georges Buffet, de Laam à Razzy Hammadi.
Et véritable manifestation d’union nationale, comme une jolie preuve que les clivages politiques disparaissent quand il s’agit de défendre la patrie en danger.
Pour vous dire : j’en ai eu des petits frissons nationalistes un peu partout…
A tel point que je n’ai plus hésité.
Que j’ai enfin passé ce fichu coup de fil.
Et que j’ai fièrement annoncé à la Tunisie que ça allait chier pour sa gueule.
Quand même…