lundi 7 septembre 2009
Le Charançon Libéré
posté à 12h58, par
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Ce matin, Debord - oui, Guy, le seul, l’unique ! - a sonné à ma porte ; je lui ai claqué la lourde au nez. Mal réveillé, j’ai allumé la télé : il était là aussi, à faire le guignol à l’écran. J’ai coupé le son, ouvert mon journal : Guy avait même réussi à s’y taper l’incruste, présent à chaque page. Alors quoi ? Pas moyen qu’il me fiche la paix, cet ectoplasme qui n’a pas saisi combien ses théories étaient datées ?
- Qu’est-ce ?
- La réalité en marche, mon petit.
- Mais… ces fils ?
- Ils la tiennent droite, histoire qu’elle ne soit bancale ni ne risque de s’effondrer à la première bourrasque.
- C’est de la triche !
- Que tu es naïf… Relis Debord, veux-tu. Et cesse de me les briser avec tes questions débiles, c’est fatiguant.
Je suis comme un enfant.
Enchanté, amusé, émerveillé.
Pressé de voir le spectacle, d’applaudir Guignol, de rire avec les autres.
De me trouver assis, yeux ouverts et bouche itou, devant les marionnettes.
Déjà un brin grandi, sentant que le Père Noël n’existe pas et que ce n’est là qu’un spectacle monté de toutes pièces pour mon plaisir.
Mais tout d’accord - quand même - pour m’esbaudir de la représentation et oublier ces fils qui maintiennent les poupées, leur donnent vie et mouvement.
Je kiffe grave sa mère, quoi.
D’un président qui choisit Eurodisney comme lieu idéal d’excursion romantique avec sa promise1, il n’est sans doute rien d’autre à attendre que les mirlitons et les peluches, les flonflons et les cotillons.
D’un homme qui sait si peu se contenir qu’il ne peut s’empêcher de cracher sa morve et son dédain au premier désagréable pékin venu2, il ne faut pas espérer qu’il prenne longtemps le risque de se confronter au réel et à l’impopularité.
D’un même - enfin - qui a compris, puisque c’est là son seul talent, combien ne comptaient que l’image et les médias - de quoi assoir une élection, un règne, une réélection sans doute, puis un nouveau règne - , il n’est à l’évidence pas crédible d’espérer autre chose qu’une communication si cadrée aux petits oignons qu’elle ne finisse par inventer une société imaginaire et un peuple illusoire.
Eurodisney, Debord, storytelling, villages Potemkine et société de l’image, tout ça n’a rien de neuf, si ce n’est que Sarkozy le pratique à la perfection.
Et je n’arrive - pour être honnête - ni à être choqué, ni à me sentir indigné par le dernier des avatars de la communication présidentielle, révélé par la télévision belge RTBF.
Une usine choisie, des figurants sélectionnés au cordeau et même un critère de taille pour être sûr que pas une tête ne dépasse celle du porteur de couronne.
C’est juste, définitivement, le monde dans lequel nous vivons.
Et à moins de disperser ces décors en carton-pâte à grand renfort de puissantes bombes et de souffler ces êtres de toc à coup de violentes lattes dans la tronche, je ne vois guère d’espoir qu’il en soit un jour autrement.
On est fait et refait, voilà tout.
La chose est devenue si classique, normale, que Christine Lagarde, qui n’a eu de cesse de nier la réalité des chiffres de la crise depuis qu’elle est au gouvernement, certaine qu’elle pourrait - à force de démentis et de négation du réel - influer sur la perception que nous avons de la réalité, que Christine Lagarde, donc, en a fait l’introduction supposée comique du petit speech vidéo qu’elle a servi aux jeunes militants UMP réunis en université d’été.
Pathétique tentative d’amuser la galerie, de se montrer moderne et sympathique, si mal menée - en fait - qu’elle n’a d’autre résultat que de tirer au spectateur un sourire compatissant, de ceux qu’on réserve à ces gens qui si sont nuls quand ils doivent prendre la parole en public3, si risibles quand ils s’essayent à l’humour, qu’on ne sent guère l’utilité de les enfoncer davantage : ils le font tellement bien eux-mêmes…
L’exercice que s’est imposée Christine est par contre fort révélateur, par ce qu’elle dit en filigrane.
« Et bien, bonjour. C’est bien le ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi qui est en face de vous. »
(Joie ! Bonheur ! Pétulence ! C’est bien elle !)
« Et pourtant, ce n’est pas la Tamise qui est derrière moi. Et pourtant, ce n’est pas la cathédrale Saint-Paul qui est derrière moi. »
(Précision utile - dispensée sur le genre de ton qu’on réserve aux débiles légers - à ceux qui n’auraient reconnu ni la Seine ni Notre dame en arrière-fond.)
« Et pourtant, je suis bien à Londres à l’heure où vous m’écoutez. On a enregistré un peu avant, pour être sûr que je puisse vous donner un bref message. »
(Grand brouhaha admiratif vis-à-vis des progrès de la technique. Dingue ce que l’ORTF est capable de faire, depuis qu’elle a été reprise en main…)
« À l’heure où vous m’entendez, je suis à Londres, avec mes collègues ministres des Finances des 19 autres pays qui participent à la réunion du G20 et nous préparons tous ensemble la réunion de Pittsburgh (…) qui essayera de changer le monde, de changer le monde de la finance, de changer le monde des traders, de changer le monde des paradis fiscaux. Blablabla-blablabla… »
(Changer le monde, le thème de l’université d’été de l’UMP. Notez - toutefois - que Jean Sarkozy a su, à cette occasion, beaucoup mieux se vendre que dame Lagarde : en ôtant le haut lors d’un footing matinal, devant un caméraman du Parisien si consciencieux qu’il a suivi le rythme, le prince héritier a prouvé combien il avait saisi les règles du jeu. L’apparence, l’apparence, seulement l’apparence. Mieux : c’était l’occasion rêvée de prouver qu’il n’a pas encore les bourrelets de papa.)
Ridicule, la ministre de l’Économie ?
Carrément.
Mais davantage : que dit Lagarde, au fond ?
Je ne suis pas où vous croyez.
Je ne fais pas ce que vous pensez.
Je ne fais rien, d’ailleurs, et il en est de la régulation financière comme de tous les autres sujets que ce gouvernement feint d’empoigner à bras-le-corps : du vent, du mensonge, de la communication, de la mise en scène.
« Changer le monde » ?
Que dalle.
Changer la représentation que nous avons du monde.
C’est la seule chose qui compte.
1 Remeber décembre 2007, lui et Carla arpentant les allées du parc Mickey, main dans la main, yeux dans les yeux, quinze photographe et la foule des visiteurs pour seuls accompagnateurs.
2 Confère l’épisode du salon de l’agriculture ou cette si pétillante visite présidentielle, en novembre 2007, au Guilvinec, « Descend si t’en as des grosses comme des melons… » .
3 Je sais, j’en suis un autre…