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vendredi 1er mai 2009

Le Cri du Gonze

posté à 12h25, par Lémi
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Public Image Unlimited, vol. 6 / De l’Idiotie en punk
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L’apocalypse version 1976. Des barbares attifés de croix gammées prennent leur pied à insulter l’animateur d’une émission télé à une heure de grande écoute. Idiot mais efficace. La Reine s’étouffe, les médias appellent au lynchage et l’Anglais moyen s’y prépare. Après le passage des Sex Pistols à l’émission « Today », la perfide Albion ne sera plus la même. Retour sur un séisme culturel.

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2 décembre 1976 : les Sex Pistols (qui jouissent alors d’une célébrité limitée) remplacent au pied levé Queen et Freddy Mercury, lesquels se sont désistés pour un passage télévisé. La bande à Rotten récolte une apparition inespérée dans un show cathodique, « Today », émission est animée par Bill Grundy, un vieux con au sourire glauque et aux vannes vaseuses (le Jean-Pierre Pernaud de l’Angleterre de Thatcher) qui essaye de la jouer jeune mais pas trop. Il est 18 h 25, créneau horaire plutôt familial, et les Sex Pistols et leur bande (dont Siouxsie) débarquent sur le plateau. Il est 18 h 25 et les Sex Pistols éclatent à la face de l’Angleterre, furoncle purulent.

Les huns et Grundy

Le lendemain, la perfide Albion toute entière brame d’indignation (trois Unes piochées parmi la multitude de réactions d’horreur : Daily Express : « Violence dans un débat télévisé obscène. » / le Telegraph : « Des mots à 4 lettres [fuck] secouent la télé. » / le Daily Mirror : « the Filth and the Fury » [l’obscénité et la fureur.]). Les journaux décrivent par le détail le calvaire de postes télévisés défoncés à coups de pieds ou de barres de fer par leurs propriétaires révulsés. Une bande de mioches arrogants, « gang des barbares » avant l’heure, devient l’ennemi à abattre. Le punk est né et mort ce jour là, trop débile pour survivre, trop idiot pour être vaincu.

Pire que les Huns. Ils sont venus, ils ont vu, et ils ont tout foulé aux pieds : morale, esthétique, langage, culture. Le pavé punk dans la mare mass medias. Steve Jones, le guitariste, dit plusieurs fois le mot interdit (FUCK), Johnny Rotten a l’air d’un démon acidulé, quelques croix gammées sont de sortie et Siouxie n’a pas grand-chose à dire, mais sa gueule suffit à effrayer l’Angleterre conservatrice. En un sens, l’instant fut mémorable :

C’était hilarant, raconte Steve Jone1, ça a été l’un des meilleurs moments. Le lendemain, quand on a vu les journaux, j’ai pensé : « Putain de merde, c’est génial ! » A partir de ce jour-là, tout a changé. Avant ça, c’était juste de la musique : le lendemain, c’était les médias.

C’est peut-être Sophie Richmond, présente sur le plateau ce jour là, qui résume le mieux l’ambivalence du moment : « C’était comme une prise de pouvoir. »

« Une prise de pouvoir ». Indéniablement, avec tout ce que ça comporte comme effets négatifs. Le séisme médiatique est d’envergure et le punk prend alors une place de choix dans le paysage culturel de l’époque (celle de repoussoir absolu d’une société figée) : ce n’est pas rien. Mais dans le même temps, c’est toute la fraîcheur du punk, sa verve musicale spontanée, qui est mise à mal. A partir de là, qu’on les aime ou qu’on les déteste, les Sex Pistols sont des bouffons, on attend d’eux qu’ils choquent.

Leur manager, Malcolm McLaren, peut se frotter les mains : ses poulains sont devenus des produits, rentables qui plus est. Plus ils seront idiots, plus on les aimera. Les vieux croûtons prendront un plaisir pervers à vilipender leur obscénité tout en la matant du coin de l’œil (un peu comme Grundy qui joue au dégouté mais drague ouvertement Siouxie) et les fans seront ravis de voir Sid Vicious se mutiler sur scène et courir tout droit au désastre sanglant.

D’ailleurs, ce rôle de bête de cirque, de groupe catharsique dont on attend qu’il salope tout à sa place, est provoqué par Grundy himself. Ravi de voir le groupe s’enfoncer dans la vulgarité (même s’il écopera illico de 15 jours de suspension d’antenne), le présentateur n’attend qu’une chose, que ces jeunes gens horribles dépassent les bornes : « choquez-moi, faites-moi peur, faites-leur peur », voilà ce qu’il dit, plus ou moins ouvertement. « Jusqu’où oserez vous aller ? »

Si Grundy avait dit « choquez-moi » et que Steve n’avait rien fait, raconte Simon Barker, les Pistols seraient passés pour des imbéciles heureux. Steve aurait fait ça même sans être dans un groupe pop : John s’est dégonflé, mais Steve y est allé à fond, exactement comme si tu avais dit ça à n’importe quel supporter de football.

L’idiotie Pistols est donc déjà sous contrôle. Soupape de ventilation, elle provoque pour mieux cacher. Contrairement à celle de Dada, l’idiotie punk sera finalement désamorcée dès le départ, ou presque. Encouragée, récupérée, formatée, elle n’existera plus sous sa forme pure, adolescente, que dans quelques instantanés trop rares. Mais essentiels.
Comme je suis bonne poire (et que je m’embarque, je m’en rends compte, dans une dénonciation par trop extrême d’un genre musical qui me passionne), je vous donne trois exemple de cette forme « pure », évidemment indissociable de l’idiotie.

Sid vicious massacrant My Way : C’est l’extrême récupération adossée à l’extrême rébellion. Je tire dans la foule, je lui crache dessus, mais je fais ça pour la thune et pour que mon manager se fasse mousser. Stupidement mené à la baguette, formaté et malgré tout lumineux. Un mioche débile et acnéique faisant des bras d’honneur à des vieilles rombières en saccageant Sinatra : quelle meilleure définition du punk ?

« My way » by Vicious

Les Ramones braillant Beat on the Brat : A la limite, les images n’apportent rien ici. Tu peux te contenter des paroles : « défonce ce mioche / défonce ce mioche / défonce ce mioche à la batte de base-ball2. »

« Beat on the brat »

The Undertones bubblegummisant Teenage Kicks : Ils n’ont même pas l’air punk, on dirait les Beatles, ils dansent comme des poulpes, ne braillent pas d’obscénités, et pourtant, “Teenage Kick” (1978) est bien l’hymne punk stupide par excellence, celui qui sûrement enfanta les légions de sous-punk MTV qui peuplent les ondes contemporaines (mais c’est pas leur faute). Rien à foutre, personne ne me privera du droit d’aduler cette chanson. Adolescent et boutonneux, débile, binaire et motivant : la quintessence du punk stupide qui touche au sublime, même si on sait pas trop pourquoi.

« Teenage kick »


1 Dans l’indispensable England’s Dreamings, éditions Allia, dont t’as pas fini d’entendre parler.

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2 « Beat on the brat / Beat on the brat / Beat on the brat with the base-ball bate. »


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