lundi 26 octobre 2009
Le Charançon Libéré
posté à 13h22, par
49 commentaires
C’est son costume et il n’en changera pas. Pourquoi le ferait-il ? Hors la puanteur morale s’en dégageant, cet habit de lepéniste de choc donne à Besson la seule chose qui vaille la peine à ses yeux : la garantie du pouvoir. En s’instituant pivot ultra-droitiste de la majorité et en surfant sur l’identité nationale mieux qu’aucun autre sarkozyste, il mène le jeu. Nous, on subit.
C’est étrange.
Mais cette photo, publiée il y une dizaine de jours dans Libération1, me fascine.
Pas tellement pour la pose, Besson qui regarde dehors, les yeux vaguement posés sur un avenir brillant, hautes responsabilités qui l’attendent de l’autre côté de la vitre et que lui n’est malheureusement plus le seul à voir.
Mais plutôt pour le côté daté qui se dégage du personnage, cheveux partant sur l’arrière - presque collés à la gomina - , visage émacié et comme rajeuni, costume sombre et élégance stricte.
Et ce sentiment que le ministre ne regarde pas dehors non plus qu’il n’a les yeux dans le vague : c’est sur le passé qu’il colle son regard, ce sont d’autres temps qu’il voit et laisse à voir, retour en arrière confirmé par l’apparent rajeunissement du personnage.
Besson lorgne vers les années 30.
Et tout en lui dit ce voyage dans le passé, l’allure vestimentaire, l’apparence physique et ce romantisme funeste et funèbre de l’homme d’État soucieux de faire accroire qu’il entend aller au bout de son sombre rôle.
Cette photo me fascine, mais elle ne devrait pas.
Tant ce qu’elle sous-tend et dit secrètement - donc réellement - est aussi une forme de manipulation.
Au premier niveau de lecture de l’image - un ministre regardant par la fenêtre pour les besoins d’une photo promotionnelle - et au deuxième - la pose d’un homme s’échinant à faire renaître quelques-uns des plus dégénérés des thèmes politiques de l’histoire politique française - s’en ajoute un dernier, plus récent : si Besson multiplie les références sales et les déclarations dégueulasses, c’est pour mieux se placer au centre du cliché, attirer sur lui le débat, redonner l’offensive à son camp et fédérer des électeurs déboussolés à quelques mois des régionales.
En sorte que, paradoxe déprimant, le ministre de l’Identité nationale pose son regard dans le vide mais c’est moi qui suis perdu.
Puisqu’il est impossible de ne pas réagir à ses dernières déclarations - « J ’ai envie de lancer un grand débat sur les valeurs de l’identité nationale, sur ce qu’est être Français aujourd’hui », débat destiné à alimenter « un grand colloque de synthèse » et « à réaffirmer les valeurs de l’identité nationale et la fierté d’être français » - , mais que Besson n’espère rien tant que s’attirer des réactions logiquement vindicatives - de moi, de toi, des centaines de milliers et millions de personnes qui ont encore une conscience en ce pays - pour mieux refonder l’unité de son camp.
Et l’AFP ne s’y trompe pas, qui titre : Besson relance spectaculairement le débat sur l’identité nationale.
Façon de dire : s’indigner est une défaite, au motif que c’est là sacralisation implicite de l’opération de reprise en main médiatique d’un ministre prêt à surfer sur les thèmes les plus ignobles, ne pas le faire serait une honte.
On perd.
Il gagne, et ses propositions avec lui.
C’est cela, en fait, que regarde Besson par la fenêtre : sa victoire à venir.
Car lui sait qu’il n’est rien à opposer à une pratique politique ayant abandonné tout scrupule et remisé toute morale.
Oh, bien sûr : nous gueulons et gueulerons, cette fois-ci comme les autres.
Mais le colloque se tiendra, tout autant que ses réunions préparatoires « avec les forces vives de la Nation sur le thème de qu’est-ce qu’être Français, quelles sont les valeurs qui nous relient, quelle est la nature du lien qui fait que nous sommes français et que nous devons être fiers ».
Et l’annonce médiatique de l’organisation de ces puants rassemblements, autant que la remise en avant de la burqa et - de façon générale - que le climat encore plus dégénéré et délétère qui s’amorce et ira crescendo jusqu’aux régionales, auront plongé encore davantage le pays censé être le nôtre dans le déshonneur.
Loin de la fallacieuse justification d’un ministre affirmant que « la mort politique du Front national serait la meilleure nouvelle pour tous », nous savons ainsi tous que Le Pen et son parti n’ont jamais été aussi vivants qu’aujourd’hui, qu’ils le sont plus qu’hier et moins que demain.
C’est cela - enfin - que regarde Besson par la fenêtre : son sacre et le leur.
Il se voit avancer dans la lumière du pouvoir.
Il voit les autres faire route avec lui, les Le Pen, Pucheu, Laval, Déat et tous autres souffleurs de haine gouvernementaux, passés et présents.
Il voit comment tous se tiennent les uns les autres, lui aussi pièce de ce mécano puant.
Il voit cette livre de chair que lui et ses camarades ont décidé de donner, en contrepartie d’un pouvoir croissant.
Et il voit son âme et les leurs, abandonnées dans un coin, prix à payer que tous ont accepté.
C’est notre avenir de merde que regarde Besson.
Et il s’en fiche, puisque sa tête surnage au milieu de la fange.