mercredi 2 décembre 2009
Le Charançon Libéré
posté à 22h25, par
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C’est un avocat qui sait choisir ses clients… Déjà représentant de Paul-Eric Blanrue, auteur du controversé « Sarkozy, Israël et les Juifs », John Bastardi Daumont a accepté d’assurer la défense du négationniste Robert Faurisson en septembre dernier. Avocat modèle, il assure même le service après-vente de ces deux clients sur Agoravox. Ça, c’est de la conscience professionnelle !
C’est une bête histoire d’entrisme, comme il s’en joue beaucoup en ces temps troublés, frontières devenant floues et idéologies se faisant mutantes : assez classique, en somme. En filigrane, pourtant, elle dit beaucoup sur la porosité de quelques positions politiques et tout autant sur celle de certains canaux de communication. Elle démontre surtout combien il faut se méfier d’une « nouvelle extrême-droite » avançant masquée et s’ingéniant à brouiller les pistes idéologiques.
À l’origine, il y a un bouquin, Sarkozy, Israël et les Juifs, publié il y a six mois, par un certain Paul-Éric Blanrue. Du fond de ce livre, je ne te dirai rien en mon nom propre : je ne l’ai pas lu (et n’en ai guère envie, pour être honnête). Je vais par contre revenir un brin sur les personnes qui le promeuvent et sur les forces qu’il met en jeu.
Un livre
Sarkozy, Israël et les Juifs, donc. Le titre se suffit à lui-même : l’auteur ambitionne de traiter de l’influence des « réseaux pro-israéliens » - c’est le terme qu’il utilise - sur le locataire de l’Élysée. « Israël est devenu hors de portée du débat démocratique », prétend ainsi l’auteur, qui s’interroge : « La France est-elle devenue un pays sioniste ? »
S’il porte sur la France, l’ouvrage n’y est par contre pas distribué1 : c’est une maison d’édition belge, Oser Dire, qui a imprimé et distribué l’ouvrage, refusant de le mettre en vente - selon l’avocat de l’auteur, John Bastardi Daumont - dans l’Hexagone. « Le voilà, en France, écrit ce dernier, contraint en raison de son sujet, qu’il traite d’ailleurs très sereinement, de chercher à l’étranger un éditeur, d’expatrier sa pensée, son enquête, son travail, car toutes les personnes contactées dans le milieu de l’édition française ont refusé. Sans parler de celles qui répondirent par un éloquent silence. Le voilà contraint d’éditer en Belgique, comme Voltaire en son temps s’expatriait en Hollande, et de fournir sa recherche au courageux éditeur : Oser Dire. »
Pourquoi pas en France, demandes-tu ? L’opus n’est pourtant pas antisémite, à en croire le directeur du Monde Diplomatique, l’un des seuls médias dits sérieux à en avoir fait une recension. Alain Gresh reproche à l’auteur des approximations, une thèse « pas très claire » et la superficialité de ses sources. Mais : « Quoi qu’on pense de l’ouvrage, il n’a rien d’antisémite », assène t-il. Et de regretter que le bouquin ne soit pas distribué en France : « Ce livre, sorti en Belgique, n’a pas trouvé d’éditeur en France, et les principaux distributeurs ont refusé de le distribuer. (…) Ce refus est d’autant plus stupide qu’il accréditerait l’idée que l’on ne peut critiquer Israël en France, ce qui est évidemment faux. »
Ben alors ?, tu te demandes. Pourquoi un tel ostracisme pour un bouquin presque innocent ? Les choses ne sont pas si claires et il faut lire d’autres plumes qu’Alain Gresh pour savoir un peu plus à quoi s’en tenir. L’excellent site Reflex, notamment, remarque que Paul-Éric Blanrue a pris « toutes les précautions afin que son livre ne soit pas taxé d’écrit antisémite », mais note « un sentiment de malaise ressenti à sa lecture, (…) une désagréable impression de déjà vu ou entendu tout de même ». Le même site fait état de nombreux raccourcis, contre-vérités et notes de bas de pages renvoyant à des sites très douteux.
Mais Reflex fait surtout ce qu’Alain Gresh n’a pas fait : revenir sur la personnalité de l’auteur. Le site explique que Paul-Éric Blanrue a été, à la fin des années 1980, « directeur de publication du Bulletin Légitimiste, feuille d’information royaliste de la région Lorraine dont le rédacteur en chef adjoint était Thierry Gourlot (cadre du Front National, aujourd’hui responsable du Groupe FN au Conseil Régional de Lorraine […]) ». Qu’il a fait « un passage au FN en Moselle ». Qu’il avait plus ou moins disparu des cercles militants d’extrême-droite au cours des années 1990. Et - enfin - qu’il a récemment refait surface dans l’entourage de Dieudonné et du négationniste Faurisson : « On le retrouve donc au côté de Robert Faurisson lorsque celui-ci fête ses 80 ans chez Dieudonné, certains prétendant même qu’il serait l’initiateur de la petite sauterie, étant un membre actif de la liste de diffusion Résistance Révisionniste [RR]. Le retrouver au procès des deux compères le 22 septembre2 est donc plus que naturel (…). » À l’appui de cette proximité entre l’auteur d’Israël, Sarkozy et les Juifs et le duo Faurisson-Dieudonné, le site publie plusieurs photos. Dont celle-ci :
Ce positionnement idéologique de Paul-Éric Blanrue apparaît un peu plus clairement sur son blog, l’auteur s’y livrant davantage. Ainsi de cette très brève note, postée le 30 novembre dernier et réagissant à la votation suisse sur l’interdiction des minarets : « Et si, au lieu de critiquer les Suisses, on instaurait le même système de votation en France, afin de poser au peuple français (immigrés inclus) la question suivante : « Voulez-vous que les sionistes continuent de diriger la France, oui ou non ? » On découvrirait peut-être alors de nouvelles vertus à la démocratie directe. » Ou cette simple phrase, pour le 19 : On connaissait la « Françafrique » ; il y a désormais la "Fransioniste". Ou encore cette vidéo, postée le 25 octobre, d’un violent discours du président iranien, Ahmadinejad.
Mais ce sont aussi les relais dont bénéficie Paul-Éric Blanrue sur le net qui démontrent combien son livre sert une certaine idéologie. Si Sarkozy, Israël et les Juifs n’est pas distribué en France, il a par contre fait l’objet d’une ardente promotion sur bon nombre de sites d’extrême-droite ou apparentés. Interviews de Blanrue réalisées par Thierry Mesyssan du Réseau Voltaire, par le site d’extrême-droite Alter Info ou par le très antisémite La Banlieue s’exprime comme recension-reprises du livre dans toute la blogosphère d’extrême-droite : l’auteur est partout, sur le site du mouvement Égalité et Réconciliation d’Alain Soral comme sur celui dela Liste antisioniste.
Note, pourtant, que Paul-Éric Blanrue se défend d’appartenir à l’extrême-droite et récuse tout proximité avec Faurisson. En un billet sur la question, il prétend que sa présence aux côtés du négationniste est motivée par l’écriture d’un livre sur le personnage, qu’il promet pour 2011. Quelle coïncidence… Un argument pas plus convaincant que ne l’est le soutien apporté par Jean Bricmont à Paul-Éric Blanrue, en un texte publié sur Le Grand Soir, Antifascistes encore un effort… si vous voulez l’être vraiment.
Un avocat
Je crois d’autant moins à cette « innocence » revendiquée de Paul-Éric Blanrue qu’il s’est trouvé, pour représenter ses intérêts, un jeune avocat qui n’est pas tout à fait un inconnu : John Bastardi Daumont. Un homme efficace. Enfin… surtout dans sa façon de brouiller les pistes.
L’avocat ne se résume pas à la très policée fiche de présentation qu’ilpropose sur son blog, façon gendre parfait : « Titulaire d’un DEA de sciences criminelles et d’un DESS police, j’exerce au Parquet de Nice en qualité d’assistant de justice pendant deux ans avant de rejoindre l’avocature. Actuellement Secrétaire de la Conférence du Barreau de Nice, je fus représentant des jeunes avocats au Conseil de l’Ordre, et ancien Vice Président de l’Union des Jeunes Avocats. »
John Bastardi Daumont s’est distingué le 3 juillet dernier, lors de la manifestation de soutien à la librairie Résistances, attaquée quelques jours avant par des nervis de la Ligue de défense juive (LDJ). Au milieu des drapeaux du NPA, des Verts et du Parti de gauche - une partie de la gauche parisienne s’était mobilisée pour protester contre l’attaque - et prenant prétexte d’une pétition en préparation, l’avocat de Paul-Éric Blanrue avait pris la parole :
Il en avait aussi profité pour se faire prendre en photo avec l’ouvrage de Blanrue, les manifestants en arrière-fond. Un évident clin d’oeil au fait que la librairie Résistances était alors, à l’en croire, la « seule en France à avoir osé importer ce livre disponible en Belgique depuis juin, et le mettre en vitrine ».
Anodin ? Non. Et d’autant moins que l’avocat de Paul-Éric Blanrue a annoncé, quelques jours après cette manifestation, qu’il comptait représenter le négationniste Robert Faurisson lors de son procès de septembre. De quoi laisser aux militants présents à cette manifestation de soutien l’amer sentiment de s’être fait un brin manipuler.
Il n’y a pas qu’aux manifestations de gauche que l’avocat du négationniste Faurisson se tape l’incruste : sur AgoraVox aussi. Ce n’est pas si étonnant tant le site emblématique de ce qui se voulait le journalisme citoyen est devenu un repaire pour quelques complotistes, fans de Dieudonné et autre tendancieux idéologues, à qui il laisse régulièrement tribune ouverte. Avec John Bastardi Daumont, qui y a publié des articles sur ses deux plus médiatiques clients, un pas supplémentaire a été franchi.
Le 28 octobre, l’avocat de Faurisson met ainsi en ligne un billet titré Affaire du Zénith : La LICRA déboutée face à Robert Faurisson, en lequel il revient sur la relaxe obtenue pour son client. Pour s’en féliciter : « Ce fut un honneur de défenseur que d’avoir à représenter celui qui se surnomme souvent lui même, « le condamné d’avance ». En ce 27 octobre 2009, c’est un contentement de le voir innocenté par la XVIIe chambre correctionnelle des poursuites engagées injustement par la LICRA. » Un « honneur » de défendre Faurisson ? La conclusion a plu aux lecteurs d’AgoraVox : 46 d’entre eux, sur les 51 qui ont voté pour juger l’article3, le considèrent « intéressant »…
Le 29 octobre, bis repetitae : John Bastardi Daumont publie « L’objet du scandale » : ce soir, Guillaume Durand briguait le poste d’animateur le plus fade du PAF. Le billet revient sur une émission de télévisée traitant du 11 septembre et s’insurge de l’usage du terme révisionniste à l’encontre de deux des invités, Jean-Marie Bigard ou Mathieu Kassovitz. Un article qui débute ainsi : « Il faudra peut-être rappeler un jour aux intervenants, y compris à Jean Marie Bigard ou Mathieu Kassovitz, que le terme révisionniste est un terme neutre. Il n’est nullement péjoratif. » Des mots qu’il est difficile d’imaginer innocents sous la plume de l’avocat de Faurisson… Qu’importe : 76 lecteurs, sur les 81 qui ont voté pour juger l’article, le rangent dans la même catégorie. « Intéressant »…
Enfin, aujourd’hui, rebelotte : John Bastardi Daumont poste un article nommé Livre censuré, comment nous avons fini par gagner, en fait la reprise d’un article de Paul-Éric Blanrue se félicitant de la mise en vente en France, à compter de ce 2 décembre, de l’ouvrage Sarkozy, Israël et les Juifs. L’auteur y écrit notamment : « (…) Sur le net, les rumeurs et les accusations fantaisistes sur mon compte ne manquèrent pas d’être diffusées sur une grande échelle : on est allé jusqu’à me reprocher de m’être rendu au procès de l’humoriste Dieudonné, contre qui a été requis un an de prison avec sursis dans l’affaire du Zénith. »
Le net est décidément méchant, qui laisse fleurir autant de « rumeurs et accusations fantaisistes ». Heureusement, il reste AgoraVox pour rétablir la juste vérité…
1 C’était vrai jusqu’à aujourd’hui : à compter de ce 2 décembre, le livre se trouve dans les librairies françaises.
2 Procès intenté à Dieudonné pour avoir, lors d’un spectacle, fait remettre à l’historien révisionniste Robert Faurisson le « prix de l’insolence et de l’infréquentabilité » par un individu déguisé en déporté juif.
3 AgoraVox a mis en place un système de notation de la qualité des articles par ceux des lecteurs qui sont inscrits sur le site.