lundi 21 septembre 2009
Le Charançon Libéré
posté à 14h24, par
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Au sein de la lutte armée des années 70, il n’est guère d’itinéraires heureux : la mort ou la prison au bout du chemin. Quelques exceptions, toutefois, dont le parcours d’Hans-Joachim Klein. Après avoir participé à la prise d’otage des ministres de l’OPEP en 1975, ce militant des Cellules Révolutionnaires a rompu avec la lutte armée. Mieux : il en a fait un livre. Ni parjure, ni trahison : lucide.
Il est différents types de renégats. L’ouvrage de Guy Hocquenghem, Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary - dont je te parlais pas plus tard que vendredi - liste ces gens qui, dans les années 1970 et 80, ont posé un lourd mouchoir sur leurs engagements et belles paroles dès qu’ils ont eu l’occasion de récolter les fruits de leur prétendu activisme. Mais il est aussi, heureusement, d’honnêtes retourneurs de veste. Qui rejettent les erreurs de leur passé sans renier leur parcours. Font preuve de la même intégrité, qu’il s’agisse d’aller au bout de leurs convictions ou de dresser le froid diagnostique de leur itinéraire. Des renégats qui - justement - ne méritent pas ce terme. Hans-Joachim Klein, ancien activiste de la lutte armée, membre assez important de la guérilla allemande pour avoir participé à la prise d’otage des ministres de l’OPEP en 1975 - sous les ordres d’Illich Ramirez Sanchez dit « Carlos » - , est de ceux-là. Lucide, courageux et respectable. Plutôt classe, quoi.
Que je te dise : je viens de me fader le bouquin d’Hans-Joachim Klein, La mort mercenaire, témoignage d’un ancien terroriste ouest-allemand3, et ce n’était pas de la tarte. Si le bonhomme était expert dans le maniement des armes, très doué pour démonter et remonter une kalachnikov en quelques minutes et les yeux bandés, on ne peut pas dire qu’il ait fait preuve de la même dextérité dans l’usage des mots. Oh que non ! Son ouvrage, marqué de la peur et du secret, débuté alors que l’auteur - pressé de revenir à « la vie civile » - était encore impliqué dans la machine terroriste, et terminé dans une planque quelconque, est mal torché et mal construit, mené sans queue ni tête et dans un style déplorable. Paradoxalement, ça ne lui donne que plus de valeur : derrière les maladresses, la sincérité ; sous la pesanteur stylistique, la certitude de l’absence de manipulations. Pour être clair : impossible que quelque service secret - soucieux de discréditer la lutte armée, ainsi que l’ont prétendu les anciens camarades de Klein - ait prêté la main à l’écriture d’une telle bouse. Klein en est l’auteur, et il ne ment pas ; on ne dissimule rien quand on écrit aussi mal.
Une radicalisation expresse
Je me rends compte - sans doute influencé par la construction de ce livre que je viens de terminer - que je ne suis guère plus clair qu’Hans-Joachim Klein. Reprenons. En La mort mercenaire, l’auteur conte son parcours, celui d’un jeune homme venu à la politique au tout début des années 1970, militant généreux et radical qui - trop vite monté en graine - passe rapidement de la conscientisation à l’engagement, de l’engagement à la violence, de la violence à la lutte armée. Au fil des rencontres, au gré d’un apprentissage politique trop rapide, l’ouvrier à peine adulte - né d’un père se réclamant nazi et d’une mère suicidée en 1949 - flirte avec l’anarchisme, le maoïsme, le communisme. Découvre les belles idées, la solidarité, les lendemains qui chantent. Plonge dans toutes les luttes qui agitent sa ville, Francfort, alors véritable bouillon de culture des alternatives. Passe par l’antimilitarisme, la lutte contre la rénovation urbaine, l’engagement contre la guerre du Vietnam. Se bat - pour de vrai et sans mégotter ses coups de poing - pour casser du flic et défendre les squatters, les étudiants , les utopistes. Et se radicalise peu à peu, bientôt convaincu qu’il n’est guère d’autre solution que de prendre les armes pour hâter l’avènement du Grand Soir et rétablir un brin de justice dans la société.
Comme beaucoup d’autres, à l’époque, il est aussi profondément marqué des indicibles conditions de détention qui sont réservées à la première vague de militants de la Rote Armee Fraktion (RAF, aussi nommée - à tort - Bande à Baader), presque tous embastillés en juin 1972 après une série d’attentats les semaines précédentes (dont deux attentats contre les forces américaines en Allemagne et un autre contre l’honni groupe Springer). Andreas Baader, Holger Meins, Jan-Carl Raspe, Ulrike Meinhof, Brigitte Mohnhaupt et Gudrun Ensslin sont - entre autres - regroupés dans le quartier de haute sécurité de la prison de Stuttgart-Stammheim et y endurent un traitement qui ne mérite pas d’autre nom que celui de torture. Dans l’isolement le plus absolu, privés de tout repère sensoriel autant que des plus élémentaires droits juridiques, les militants de la RAF vivent un enfer4. La mort de l’un d’entre eux, Holger Meins, après plusieurs semaines de grève de la faim, cadavre d’une maigreur extrême qui finit par agoniser dans un état de décrépitude rappelant - pour une génération allemande particulièrement sensible au passé (et aux crimes) de leurs parents - celui des internés des camps ne fait qu’accentuer la radicalité d’une partie des membres de l’extrême-gauche5. À commencer par certains militants de Secours Rouge, organisation qui soutient les tenants emprisonnés de la lutte armée et dénonce leurs conditions de détention.
Hans-Joachim klein est de ceux-là. Très investi au sein de Secours Rouge à compter de 1974, il vit la mort de Meins comme un déclencheur. Ce qu’il écrit, d’ailleurs, quelques années plus tard :
La mort d’Holger Meins fut le point décisif pour dire adieu à la politique légale, la politique de l’impuissance et de la stérilité (…). S’il me fallait encore une pichenette pour non seulement prôner la lutte armée, mais aussi m’y engager moi-même : Holger Meins fut cette pichenette. Avec sa mort, l’impuissante détresse face à cet état monta tellement en moi qu’elle déborda. J’en avais fini avec la politique légale et j’étais prêt pour la lutte. Cette fois, pour de bon.
Le temps des désillusions
C’est au sein des Cellules Révolutionnaires (RZ), créées un an auparavant - peu ou prou au même moment que le Mouvement du 2 juin, troisième des organisations de lutte armée actives dans l’Allemagne des années 70 - , qu’Hans-Joachim Klein s’investit en 1974. Le crédo du groupe ? Comme la RAF ou le Mouvement du 2 juin, la lutte armée. Avec cette spécificité que les RZ n’exigent pas que leurs militants plongent dans la clandestinité6, mais prônent au contraire une relative proximité avec la gauche légale et avec les combats locaux (mouvement des squatts, par exemple). Note que ça ne les empêchera pas de participer à des actions à caractère international aux côtés de militants palestiniens, avec notamment la prise d’otage des ministres de l’OPEP.
Justement : cette prise d’otage, Hans-Joachim en est. Il débute au sein des Cellules Révolutionnaires en rendant de menus services, puis s’est peu à peu impliqué davantage. Croisant - un jour à Paris - le chemin d’Illich Ramirez Sanchez, avant de rencontrer quelques semaines plus tard plusieurs responsables de mouvements de résistance palestiniens. C’est là qu’il bascule définitivement, acceptant de participer à une action organisée conjointement par les Cellules Révolutionnaires et par le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP, le bras armé de l’OLP). Et non des moindres : il s’agit de prendre en otage les ministres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) réunis à Vienne en décembre 1975, puis de s’enfuir en avion avec eux ; l’objectif affiché est de mettre un coup de projecteur sur le combat palestinien, de rappeler les pays arabes à leurs obligations en la matière et d’en profiter pour exécuter deux des ministres pétroliers, Jamani (Arabie Saoudite) et Amouzegar (Iran), jugés particulièrement salopards.
Problème, Hans-Joachim se fait promener dans les grandes largeurs. Par ses camarades des RZ, d’abord, qui ne lui expliquent pas clairement que l’opération - sponsorisée par Kadhafi - a pour principal objectif, avant toute considération politique, d’obtenir argent et armement pour l’organisation ; par Carlos surtout, décidé à échanger tous les ministres otages contre de l’argent et à faire main-basse sur la rançon7, ce qui lui vaudra d’ailleurs d’être exclu juste après des rangs du FPLP. Bref : Klein croit se battre pour une cause, il n’est qu’un pion manipulé. Un mercenaire idiot, en fait.
Reprenons. À Vienne, Hans-Joachim tient son rang, au sein d’un commando de six hommes. Se prend une bastos dans le buffet lors de la prise d’otage8. Et entame - une fois l’opération « réussie » et au terme d’un périple aérien qui verra les 42 otages relâchés sains et saufs - une longue convalescence dans des pays arabes amis (Algérie, Libye et Irak), promené de camps d’entraînement en camps d’entraînement, reçu en grande pompe et célébré comme un héros. Un statut qui, au fur et à mesure qu’il découvre les véritables objectifs de la prise d’otage à laquelle il a participé, alors qu’il prend conscience du cynisme de ses « camarades » et de leur antisémitisme9, le dégoûte peu à peu. Il n’a alors plus qu’une obsession : abandonner la lutte armée. Après avoir réussi à regagner l’Europe grâce à un stratagème, il reçoit l’appui de militants allemands de la gauche légale, qui le cacheront et le soutiendront.
Un livre comme une exhortation à éviter les mêmes erreurs
C’est alors que l’itinéraire de Hans-Joachim Klein prend tout son sens. L’homme aurait pu se contenter de se cacher. Tenter de se faire insignifiant, escomptant être oublié de ses anciens « camarades » comme des flics. Non : il l’ouvre, grand. Rompt publiquement avec les Cellules Révolutionnaires en envoyant son flingue au Spiegel, en même temps qu’il fait échouer un projet d’attentat contre deux responsables de la société civile allemande qui n’ont pour seul tort que d’être juifs. Dans deux interviews, au Spiegel et à Libération, il dénonce la vénalité de Carlos, la folie meurtrière de ses compagnons et raconte sa dérive personnelle. Et pour bien faire les choses, publie aussi sec le bouquin qu’il a commencé à rédiger - dans l’urgence - alors qu’il était encore membre des RZ10, adresse aux militants d’extrême-gauche, chaleureuse invitation à ne pas commettre les mêmes erreurs que lui.
Je te vois venir : non, Hans-Joachim n’a pas trahi. Dans ses interviews comme dans le livre, il veille à ne rien révéler qui pourrait mettre en danger ou compromettre ses anciens camarades (ce qui ne rend pas plus facile la lecture et la compréhension du bouquin…). Il ne dénonce personne, sinon la bêtise et la violence aveugle. Il ne cherche pas - non plus - à s’exonérer de ses responsabilités ou à amoindrir sa participation à la guérilla dans l’espoir de la clémence future de la justice ou de la police. Il raconte, simplement. Met maladroitement des mots sur son itinéraire. Et décrit - plus largement - comment la soif d’absolu, le goût de l’action (il était fasciné par les armes) et une insuffisante réflexion politique (c’est - du moins - ainsi qu’il présente les choses) l’ont conduit à mener un mauvais combat. Un parcours emblématique de celui d’un petite poignée de militants de sa génération.
L’épilogue ? C’est rigolo : en 1977, Hans-Joachim Klein s’installe en secret en France, d’abord à Lille puis dans le petit village de Sainte-Honorine-la-Guillaume, en Normandie. Il s’y fait un trou (normand), vivant de peu et se liant avec les habitants. Lesquels le soutiennent11 quand, en 1998, les gendarmes français lui mettent la main dessus et que le gouvernement Jospin, pas à une trahison près, l’extrade en Allemagne. Condamné en 2001 à neuf ans de prison, libéré en 2003 (après cinq ans de cachot), Klein retrouve son village normand. Il y vit toujours.
1 J’ai décidé - unilatéralement, bien entendu - de lancer un cycle sur le thème « Violence et activisme ». Que si ça t’intéresse, c’est cool, et tu peux même lire ou relire le premier acte, autour du livre de Carlos Marighella, le Manuel du guérilléro urbain. Que si ce n’est pas le cas, ben, je ne sais pas trop quoi te dire ; à demain ?
2 Désolé pour la piètre qualité de l’illustration : je n’en ai pas trouvée d’autre.
3 Publié au Seuil en 1980 et pas réédité depuis. Si le sujet t’intéresse, tu pourras te procurer le livre sans trop de difficultés sur le net.
4 C’est un constat : les militants de la RAF ont été soumis à ce qu’on appelle « torture par privation sensorielle ». Pour en témoigner, cet extrait d’une lettre d’Ulrike Meinhof à son avocat (citée par Anne Steiner et Loïc Debray dans RAF, Guérilla urbaine en Europe occidentale) :
« Le sentiment que ta tête explose, le sentiment qu’en fait la boîte crânienne va se casser, exploser. Le sentiment que ton cerveau se ratatine comme un pruneau. (…) Tu ne peux pas savoir pourquoi tu trembles : de fièvre ou de froid. Tu ne peux pas savoir pourquoi tu trembles : tu gèles. Pour parler à vois normale, il faut des efforts comme pour parler très fort, il faut presque gueuler. Le sentiment de devenir muet. Tu ne peux plus identifier le sens des mots - tu ne peux que deviner - l’usage des sifflantes : s, ss, tz, sch, est absolument insupportable. On ne peut plus contrôler la syntaxe, la grammaire. Quand tu écris deux lignes, à la fin de la deuxième ligne, tu ne peux pas te rappeler le début de la première. (…) Une agressivité démente, pour laquelle il n’y a pas de soupape. C’est le plus grave, la conscience claire qu’on n’a aucune chance de survivre, l’échec total, pour faire passer cela, le faire comprendre aux autres. (…) »
5 La photo du cadavre d’Holger Meins est si dégueulasse que je n’ai voulu la placer en illustration. Tu la trouveras notamment ICI.
6 Ce qui explique sans doute que l’État allemand éprouvera les plus grandes difficultés à mettre la main sur les militants des Cellules Révolutionnaires, dont certains seront actifs jusqu’en 1995. Un premier procès d’une partie des militants du groupe s’est tenu en 2001.
7 Si tu as du temps à perdre, tu peux toujours lire le témoignage que Carlos, désormais grande idole d’une partie de l’extrême-droite, a donné au plus que tendancieux site Voltaire. En celui-ci, comme à son habitude, il ment effrontément et se donne le beau rôle. Je serais toi, je ne croirais pas un mot de ce que ce salopard raconte et je rigolerais largement des manipulations imbéciles de Thierry Meyssan, lequel présente un antisémite sanguinaire et opportuniste comme un « résistant ».
8 Trois personnes ont trouvé la mort ce 21 décembre 1975.
9 La prise d’otage d’Entebben, un an plus tard, verra ainsi des membres des Cellules Révolutionnaires faire le tri parmi les passagers d’un avion d’Air France détourné, relâchant les otages à l’exception des juifs…
10 Titre originel : Von Einem der auszog und das Fürchten lernte oder Menschlichkeit, was ist das eigentlich ; dafür kämpften wir doch auch.
11 Le Comité des fêtes de Saint-Honorine lui adresse ainsi un chèque de 5 000 franc après son arrestation, ainsi que le raconte un billet publié surLe Nouvel Obs..