samedi 2 août 2008
Le Cri du Gonze
posté à 11h03, par
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Pour commencer, un type à tripes : Bunker. Un grand écrivain, de ceux qui vous martèlent leur histoire avec une efficacité décapante. Qui ne trichent pas, n’en rajoutent pas, vous impriment en plein cerveau ce qu’ils ont à dire. Plume indélébile. Ricaine, comme il se doit. Et la plus efficace à démontrer que la prison n’est rien d’autre qu’une fabrique à monstres. Hein, Rachida ?
Bunker est un genre de spécialiste absolu de la prison. Il a commencé très tôt. A fini très tard. Tout juste 17 ans quand on l’enferme à St Quentin, la prison la plus craignos de tout le territoire ricain. Le plus jeune détenu à y avoir jamais mis les pieds. Ça vous pose un homme, surtout quand on sait qu’il écrit comme un dieu (en moins convenu).
C’est en prison que Bunker a commencé à écrire. Pour ne jamais arrêter. Un des très très rares à avoir pu se sortir de l’enfer carcéral en tirant son épingle du jeu. Un contre-exemple en quelque sorte (enfin, il y a quand même croupi 18 ans, en zonzon.)
Ce que Bunker raconte, c’est la routine ultra violente de la prison. Les faibles martyrisés, torturés, les forts qui écrasent les autres, font la loi. Le manque d’horizon qui rend fou. La débrouille pour grimper dans l’échelle sociale du lieu. Les innocents qui se transforment en monstres. Les monstres qui le deviennent encore plus. Ceux qui en sortent un jour et font tout – casses minables, liberté conditionnelle méprisée –, dès leur premier pas en liberté, pour y revenir.
Lire La Bête contre les murs, Aucune bête aussi féroce ou Les Hommes de proie, c’est prendre une claque d’envergure, un gnon définitif. Pas d’échappatoire chez Bunker (comme chez James Ellroy, d’ailleurs, publié itou chez Rivages Noir) : tu fais une connerie, tu la payes toute ta vie vu que tu la refais toujours – déterminisme des loosers. Le système carcéral y fait ressortir le pire de la nature humaine : racisme omniprésent et climat perpétuel de guerre raciale, minables qui jouent aux durs, faibles illico transformés en objets sexuels, loques toxico. Et tous prédestiné : ceux qui atterrissent ici, c’est ceux qui dès le départ avaient tout contre eux. Un genre de pot-pourri des exclus du système.
Bunker Vs. Rachida, combat truqué : les coulisses d’une arnaque.
Et – blasphème – dernièrement, en relisant Bunker, je pensais à Rachida Dati. Association d’idée terriblement saugrenue et diablement insultante pour Bunker, mais, bon, c’est du saugrenu qu’on tire le sel de la vie et des bonnes idées, nan ?
Non pas que l’écrivain génial et la minable ministre de la justice Dior addict aient quelque chose en commun. Mais plutôt parce que la benête qui garde nos sceaux en les enrubannant de foulards Hermès symbolise très bien la connerie congénitale d’un pouvoir qui jamais ne comprendra ce que Bunker a écrit si frontalement : la prison aggrave les tendances violentes et associables de l’homme, empêche la rédemption. Plonger une homme en prison pour des clopinettes, c’est l’encourager à passer à la phase supérieure dès qu’il sortira. Un cercle méchamment vicieux, même pas besoin d’être très malin pour s’en rendre compte. La zonzon, quelle qu’elle soit est une fabrique de bêtes fauves.
Que Bunker ait décrit les prisons ricaines de l’après Seconde Guerre (en gros, années 1950-1960) ne change rien à l’affaire. Surtout quand tu sais que la philosophie de la justice en vigueur aux États-Unis, celle qui consiste à foutre le maximum de gens en tôles pour les exclure du champ social (son dernier avatar : la tolérance zéro, concept fomenté par Rudolph Giuliani, maire de New York, repris ensuite sous nos riantes contrées par un ministre de l’intérieur névropathe agité du flashball – suivez mon regard et mon doigt levé1 , a désormais le champ libre dans nos cours de justice expéditives et dans l’esprit avachi des beaufs moyens sous perfusion TF1. Enfermez les tous, Dieu reconnaîtra les siens (un Taser gratos au premier qui trouve la référence détournée).
La connerie des conceptions actuelles en matière de prison et d’incarcération est foutrement insensée. Justice expéditive, politique du chiffre, engorgement des prisons et maisons d’arrêt... 26 032 prisonniers en 1975, 42927 en 1985 et 63838 début 2008, tout ça dans des prisons bourrées à craquées et aux conditions de vie indigentes2 .
Un mongolisme qui fait consensus : la France a peur, la France enferme.
Dame Dati clapote évidemment dans la lignée de ce mongolisme intellectuel (cf. ses deux lois phares, celle sur les peines plancher - juillet 2007 - et celle sur la rétention de sûreté - février 2008). Pas qu’on attendrait autre chose d’elle, son indifférence, son arrivisme sans bornes et son dédain absolu de ce qui n’est pas représentation et faire valoir ayant évidemment sauté aux yeux des pékins moyens même les plus abrutis, voire même des débiles consanguins du même bord.
Mais de voir que le raisonnement en la matière, diablement faisandé, reste depuis longtemps partagé par les politiques de tout bord, par toutes les administrations, ça interpelle un minimum. Ce n’est même pas une question de bord politique – Cf., entre mille autre exemples, les surenchère de Jospin puis Royal sur la question de l’insécurité et des remèdes martiaux à y apporter –, plutôt d’évolution de société. Une société qui enferme à tour de bras (pas seulement les criminels, les étrangers itou, c’est plus sûr), c’est une société qui a peur. Et qui illico se prosterne aux pieds du premier gusse à même de titiller sa parano (la France a peur) tout en se posant en seul recours face aux forces du Mal qui viennent jusque dans nos baignoires égorger nos moutons.
Puisqu’il faut faire dans l’intello – on est pas n’importe où ici, le rédac chef se gargarise de citations de Kroptokine dans le texte à chaque fois qu’il abuse de guignolet kirsch, i.e. très souvent – je mentionne en passant un très bon bouquin publié par les éditions La Fabrique (tout lire d’eux si jamais vous voulez vous tenir au courant en profondeur – pas mon cas, je vise le superficiel – des vilénies du régime et du système judiciaire dans son ensemble) : La décadence sécuritaire, par Gilles Sainati & Ulrich Schalchli (un chouïa technique mais très instructif)3
Dans mon élan, me suis un peu écarté de Bunker. Et ce rapprochement Bunker/Dati, je l’avoue, est peut-être un tantinet capillaro-tracté, incongru. M’en fous. Car reste cette certitude : personne n’est allé fouiner aussi profondément et avec autant d’intensité dans la triste réalité des logiques d’incarcération qu’Edward Bunker. Sur le sujet, aucune plume aussi féroce.
1 Pour écouter l’indispensable punkerie sur le sujet, par le toujours fringant Miss Hélium, clique Ici.
2 Je renvoie aux considérations (septembre 2005) d’Alvaro Gil-Robles, ancien commissaire européen aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, qui après avoir visité les prisons de 31 pays dans le cadre d’une mission sur l’état des prisons déclara : « De ma vie, sauf peut-être en Moldavie, je n’ai vu un centre pire que celui-là ! C’est affreux ! Les gens s’entassent dans un sous-sol sur deux niveaux, sans aération. Ils se promènent dans une cour minuscule grillagée de tous côtés. Au second niveau, on marche sur la grille, au-dessus de ceux du premier niveau. Les fonctionnaires en sont eux-mêmes très gênés. Il faut fermer cet endroit, c’est urgent. ». En février 2006, il ajoutera : « Le maintien de détenus aux Baumettes me paraît être à la limite de l’acceptable, et à la limite de la dignité humaine »
3 Morceaux choisis : « Le système pénal ainsi créé est une boucle parfaite, une spirale même. Ses emballements légitiment sa propre existence. » « La rapidité avec laquelle ces processus se mettent en place défie parfois l’entendement. En quelques années, notre République s’est recroquevillée sur elle même. Elle traque l’étranger, le jeune, l’être différent de la norme. Elle décide d’exclure et d’éliminer les pauvres. Elle ne propose ni avenir ni solution, simplement un statut qui, profitant à une élite, fait plonger le reste de la population dans une décadence sécuritaire. »