jeudi 8 avril 2010
Le Charançon Libéré
posté à 18h51, par
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A interner, les responsables de l’UMP et les membres du gouvernement ? Oh que oui. Qu’ils soient un peu dérangés ou complétement fous, ils devraient tous bénéficier de soins médicaux et d’une bonne psychanalyse. Certains - c’est déjà ça - en ont conscience : la preuve avec ce compte-rendu exclusif d’une séance d’analyse. Sur le divan, rien moins qu’une secrétaire d’Etat, Nadine M.
Intérieur se voulant chaleureux et professionnel à la fois. Un divan accueillant. Une petite lampe d’apprêt. Quelques diplômes au mur. Un bureau de vieux bois. De la moquette rouge. De vagues tableaux. Une chaise, à côté du divan.
Sur la chaise, un homme imposant, barbe blanche méticuleusement taillée, costume classique du XIXe siècle. Sur son visage, un peu de sagesse, beaucoup d’intelligence et un soupçon de perversité. Entre ses doigts, un cigare éteint. Il le mordille de temps en temps.
Sur le divan, une femme d’âge mûr, moitié vulgaire moitié distinguée. Elle porte un tailleur strict, ne semble pas très à l’aise, visage inquiet et torturé. Tout dans son attitude dit pourtant l’habitude du pouvoir et l’ambition de le conserver. Ce mélange de fragilité et de confiance pourrait rendre la femme attachante, s’il n’y avait une persistante lueur bovine dans le regard.
Les deux se parlent, elle sur le divan, lui assis. Il est évident qu’ils ont l’habitude de converser ainsi, qu’une certaine proximité s’est installée, au fur et à mesure des séances. Les rôles sont clairement définis et acceptés. La patiente répond de bon gré aux questions du professionnel, écoute ses observations et semble - de manière générale - disposée à se remettre en question, même si cela s’avère très laborieux. Rien que de très classique.
S. F. : Nous avons bien avancé lors de la dernière séance. En avez-vous conscience ?
N. M. : Je crois que oui, même si je n’en sens guère les effets. Tout reste si embrouillé dans ma tête…
S. F. : Il faut vous montrer patiente. Dès notre première séance, je vous avais expliqué qu’il nous faudrait beaucoup de temps pour vous rendre une certaine sérénité. Un cas tel que le vôtre ne se règle pas en deux coups de cuillère à pot, mais demande énormément de travail. Gardez confiance : d’ici une dizaine d’années et à raison d’une séance toutes les deux semaines, je pense que vous aurez retrouvé un minimum d’équilibre.
N. M. : Putain, dix ans…
S. F. : Oui. Et encore : à condition d’être optimiste…
N. M. : …
S. F. : Avançons, voulez-vous ? Je voudrais aujourd’hui que nous parlions de cette hantise que vous semblez nourrir à l’encontre de ce média moderne que la fin du XXe siècle a enfanté ; je souhaiterais que nous comprenions les motifs de cette névrose.
N. M. : Je ne vous suis pas. De quoi s’agit-il ?
S. F. : Je pense à internet.
(Sur le divan, la femme se crispe, ses poings se ferment, son visage se tend. Littéralement. Le sourire timide a laissé place à un rictus féroce.)
N. M. : Non ! Il ne faut pas prononcer ce nom ! C’est le mal, le mal pur et simple, le malin qui s’introduit dans chaque conscience, la promesse de la chute et la fin de la civilisation… Je ne veux pas en parler !
S. F. : Allons, il le faut. Je veux comprendre ce qui vous gêne tant en internet.
(Encore une fois, la femme sursaute en entendant le mot. Elle se redresse violemment, criant presque.)
N. M. : Non ! Non ! Internet, c’est le diable, on ne parle pas du diable. On n’en parle pas, on ne lui parle pas, on l’écrase, c’est la seule chose à faire. Il faut tuer internet, le massacrer, l’étriper, détruire cette chose et tous ceux qui s’en servent, leur faire rendre gorge ! On ne discute pas avec les pédophiles et les détourneurs d’enfants, on les castre !
(Un peu de bave apparaît aux coins des lèvres de la femme. L’homme tente de la calmer, lui tapotant affectueusement la main et lui parlant sur un ton très doux.)
S. F. : Nous devons comprendre d’où vous vient cette obsession. Pour votre bien.
N. M. : Il n’y a rien de bien dans internet ! Rien ! Rien ! Rien !
(Maintenant, elle crie, hurle sans même réussir à faire des phrases, les yeux fous. Tandis qu’elle poursuit son soliloque absurde, l’homme s’affaire, préparant une piqûre - un mélange de sa composition, beaucoup de morphine et un brin de cocaïne. Il lui injecte.)
N. M. : Vade retro Hitler, pédophiles, c’est le mal, internet, démoniaque, hideux, chatroulette, bites en stock, enfants, populace, pédo-nazis ! Populace, réseau, pomme, démagogie, drogue en vente libre, vade retro, gibet de potence ! Contestation, vidéo-chat, le mal, communiste, le diable, pornocrates, pervers, c’est le mal, le mal, le mal !
(Son ton se calme au fur et à mesure que l’injection fait effet. Son pouls redescend, elle s’apaise, sourit presque.)
S. F. : Voilà, calmez-vous. Tout va bien, personne ne vous veut de mal. Au contraire : j’essaye de vous aider. Il faut que nous trouvions l’origine de cette névrose, pour que vous parveniez à vous maîtriser. C’est important, pour une secrétaire d’État, vous ne croyez pas ?
N. M. : …
S. F. : Et puis, cela vous aidera sans doute à être un peu moins ridicule. Je sais bien que l’intelligence n’est pas la première des qualités demandées à un responsable politique, a fortiori à l’UMP. Mais cela pourrait vous faire du bien de dire quelque chose qui ne soit pas idiot, de temps en temps.
N. M. : …
S. F. : Car enfin, cela vous dessert beaucoup. Même si vous avez l’habitude de ne pas apparaître sous votre meilleur jour, il convient de vous poser quelques questions.
N. M. : …
S. F. : Tenez, j’ai visionné votre intervention d’hier sur le plateau du Talk-Orange-Le Figaro. C’était lamentable ! Complétement lamentable. Votre névrose est si puissante que vous vous trouviez incapables de tenir des propos compréhensibles, de paraître un tant soit peu crédible. J’ai noté un passage, je vous le lis tel quel, il est très révélateur : « Lorsque je vois ce qui se répand sur internet, on voit bien que… euh… c’est euh… Il y a à la fois des blogs, mais aussi des informations qui se répondent au niveau international, enfin je pense que… c’est… euh… c’est indécent et c’est indigne, de la manière dont on doit avoir du respect aussi sur… pour le président de la République . » Vous y comprenez quelque chose, vous ?
N. M. : …
S. F. : Vous vous rendez au moins compte que ça ne veut rien dire ? Que vous êtes complétement ridicule, même aux yeux d’un électeur de droite ?
N. M. : Je me suis peut-être un peu emmêlée les pinceaux. Mais peu importe, seul mon message compte. Et puis, il m’arrive de garder davantage de maîtrise, de contrôle, je ne m’énerve pas toujours autant.
S. F. : C’est vrai, même si ça ne change pas grand chose au fond du problème ; je vais prendre quelques-unes de vos déclarations sur internet et vous en conviendrez avec moi. Tenez, celle-ci, en novembre 2008 : « Internet peut être un outil dangereux, celui qui se trouve derrière l’écran peut être un prédateur. » Un prédateur, rien de moins ? Et pourquoi pas un serial-killer ou un cannibale ? Et que dire de cette autre déclaration, quelques mois auparavant : « Internet, c’est comme une magnifique voiture de course. Si vous n’avez pas votre permis de conduire et que vous ratez un virage, c’est la mort. » La mort ? Vous ne croyez pas que vous y allez un peu fort ?
N. M. : Mais c’est nécessaire, internet c’est le mal ! Et puis, je…
(Il la coupe, adopte un ton ferme.)
S. F. : Laissez-moi finir, voulez-vous ? Je crois que votre haine de ce média est relié à un trauma que vous avez vécu, un épisode qui vous a bouleversé. Votre choix des mots - « prédateur », « mort » - n’est sûrement pas innocent. Comme ne l’est pas votre réaction instinctive, sincère à l’évidence, quand un journaliste vous lance sur le sujet : « Ah, Internet, je déteste, c’est le temple des rumeurs et de la caricature. (…) C’est vraiment la caricature. » Il nous faut comprendre d’où vous vient cette haine justement caricaturale.
N. M. : Je ne sais pas, c’est plus fort que moi…
S. F. : Ça, je l’avais compris. Comme j’ai aussi compris qu’il y entre une part d’opportunisme politique : cela vous arrange bien d’avoir internet comme bouc-émissaire, en même temps que vous rêvez de museler cet espace trop libre à votre goût et à celui de votre parti. D’où votre appel si insistant et complétement ridicule à créer « une police internationale » du net. En septembre 2008, par exemple : « À titre personnel, et au vu de la multiplication des affaires qui portent atteinte à la dignité des personnes, je pense qu’il faudrait instaurer une police internationale de la Toile. » Ou, beaucoup plus récemment, en face de l’inénarrable Christophe Barbier, sur LCI : « Moi, j’ai toujours pensé que par rapport à ce monde du réel que nous avons et ce monde du virtuel qui maintenant existe dans nos vies, il nous faudrait nous organiser de manière internationale. Parce qu’internet n’a pas de frontière, nous n’avons pas les mêmes législations, et ce qu’on y trouve est à la fois fabuleux et profondément dangereux. Au-delà des rumeurs, bien entendu, ou des blogs qui – sous couvert d’anonymat – déversent un torrent de boue, d’insultes, d’injures et de mensonges, je crois qu’il nous faudrait un jour une police internationale d’internet. »
Mais ma préférée parmi vos déclarations reste votre saillie incroyable de la fin du mois de février. Je vous la relis, au cas où vous l’auriez oubliée : « Il faut réguler Internet pas seulement au niveau national, mais au niveau mondial. Il faudrait une mobilisation de l’ONU sur le sujet. » L’ONU ? Et pourquoi pas un bataillon de marines sautant en parachute sur le réseau, tant qu’on y est ?
N. M. : C’est sans doute la seule chose raisonnable à faire. On lancerait quelques « frappes chirurgicales » sur les serveurs les plus importants, on internerait les responsables des FAI à Guantanamo et les blogueurs auraient à répondre de leurs actes devant des juridictions d’exception. On pourrait même…
(Il la coupe, derechef.)
S. F. : Assez ! Nous devons trouver les origines de votre névrose, pas l’entretenir. Si j’ai bon souvenir, vous m’avez raconté il y a quelques séances que votre père a abandonné votre mère quand vous aviez quinze ans, pour partir avec une femme plus jeune. C’est bien ça ?
N. M. : Oui.
S. F. : Ça n’a pas dû être facile, pour vous…
N. M. : Ça a été horrible. Ma mère ne s’en est jamais vraiment remise. Elle pleurait sans cesse, l’ambiance à la maison était détestable.
S. F. : Pourquoi votre père est-il parti ?
N. M. : Je ne veux pas en parler.
S. F. : Vous devez le faire, pourtant. Pourquoi ?
N. M. : …
S. F. : Cela vous fera du bien, je vous le promets…
(La femme a l’air inquiète, à nouveau. Elle n’est pas à l’aise, mais prend quand même une grande inspiration et…)
N. M. : Il n’y a pas grand chose à dire. Mon père a rencontré cette femme à son travail. Ils bossaient tous les deux sur un projet très prenant et novateur à la fin des années 70, dans le domaine des télécommunications. À force de travailler ensemble, ils se sont rapprochés. Et… c’est ainsi que c’est arrivé.
S. F. : Quel était ce projet ?
N. M. : …
S. F. : Dîtes-le moi, s’il vous plaît…
N. M. : Le… le… Minitel.
(L’homme sourit, tandis que la femme s’écroule en pleurs. Affaissée sur le sofa, la tête entre les mains, elle se laisse aller. Sanglots frénétiques. Fin de la séance.)