A PROPOS DES ARRESTATIONS DE SOI DISANT TERRORISTES ( Décembre 2008)
A la fin de mois de Janvier 2008, quatre personnes ont été incarcérées en détention provisoire. Le 19 janvier, Ivan et Bruno sont accusés de transporter une bombe à clous, alors qu’ils allaient à la manifestation vers le centre de rétention de Vincennes, avec un fumigène artisanal et des crèves-pneus. Quelques jours plus tard, Isa et Farid sont arrêtés lors d’un contrôle de douanes à Vierzon. Les gendarmes trouvent des plans d’une prison pour mineurs, un sac avec un peu moins de deux kg de chlorate de soude et des manuels expliquant différentes techniques de sabotage. Très rapidement, leur arrestation est prise en charge par la section anti-terroriste de Paris. Pendant la garde-à-vue, les flics prétendent que l’ADN d’Isa correspond à une des traces ADN qu’ils ont retrouvées dans un sac contenant des bouteilles d’essence et des allume-feux sous une dépanneuse de police dans l’entre deux tours des présidentielles.
Farid, Bruno puis Ivan sortiront après quatre mois de prison, sous contrôle judiciaire strict. Pendant ce temps-là, les deux enquêtes sont jointes en un même dossier instruite par des juges anti-terroristes, Marie-Antoinette Houyvet et Edmont Brunaud. Selon la justice, toutes les personnes appartiennent à la même organisation terroriste : la « MAAF », mouvance anarcho-autonome francilienne. Un des objectifs de l’enquête est de retrouver les personnes qui auraient voulu incendier la dépanneuse de police. Pour eux, l’équation est simple : ils disposent de 5 traces ADN, il suffira de savoir à qui ils correspondent et ceux seront eux les coupables. La police ratisse alors dans l’entourage des personnes arrêtées et des personnes fichées anarcho-autonomes. Ils finiront par accuser Juan et Damien et les mettent en prison. Qu’importe si Isa, Juan et Damien nient les faits qui leur sont reprochés. Après tout, ils participent à des manifestations, à des luttes contre l’enfermement, ont chez eux de la « littérature anarchiste ». Un profil de « subversif » et quelques traces génétiques, une tentative d’incendie transformée en un attentat contre un commissariat, voilà pourquoi cela fait des mois qu’ils sont en prison.
Aussi, les arrestations de novembre nous rappellent ce qui s’est passé en janvier. Le traitement médiatique et judiciaire est le même. On accuse des personnes soupçonnées d’avoir participé à des sabotages d’appartenir à une « association de malfaiteurs à visée terroriste » parce qu’ils sont fichés par la police comme « anarcho-autonomes ». Sûrement que la pression de la justice et des médias a été plus forte ces dernières semaines. En janvier, nous n’avons pas eu à virer les caméras de notre pallier au petit matin ou à lire chaque jour à la une des journaux des commentaires crapuleux sur nos amis, ou même entendre au flash info qu’ils « risquent 20 ans de prison ». Pourtant, la machine judiciaire et l’odeur nauséabonde de la prison, la détermination d’arracher des personnes du gouffre de la répression nous touchent aujourd’hui autant. C’est pourquoi, il nous a semblé important et enrichissant de raconter, partager notre expérience sur quelques questionnements politiques soulevées par ce type d’histoire comme le rapport aux médias et à la justice, ou l’analyse de l’outil anti-terroriste. Ce « nous » évoqué n’est pas le « nous » d’un groupe homogène. Il fait plutôt référence à un « nous » de quelques personnes proches des personnes incarcérées en janvier, d’une proximité qui est faite d’amitiés et de partages politiques.
Sur les médias
Le 11 novembre, Michèle Alliot Marie, aidée par une armée de flics et de caméras, a montré comment des arrestations peuvent se transformer en une opération politique plus large. Pendant que les anti-terroristes perquisitionnaient et menottaient les personnes pour les emmener en garde-à-vue « pour enquête », on pouvait entendre à la radio que la justice avait arrêté les coupables des sabotages de la SNCF. Tous ont crié en choeur que Justice avait été faite et ont montré l’efficacité de la police et du renseignement intérieur. Les médias ont joué les charognards, vendant de la chaîr fraîche de fait divers, dressant à coup de tuyaux de flics les portraits de ces « terroristes de l’ultra gauche », n’hésitant pas à balancer des contre-vérités. Encore une fois, la collaboration entre travail de flics et de journalistes a porté ses fruits. Au moment des arrestations en janvier et pendant les mois qui ont suivi, la presse parlait de « bombes artisanales », de « juniors terroristes » alors qu’il s’agissait de fumigènes, fantasmait sur un « projet terroriste contre une prison » ou s’inquiétait d’un « attentat à l’explosif contre un commissariat » pour quelques bouteilles d’essence. Face à ces conneries, des communiqués ont été diffusés sur des médias « alternatifs » pour expliquer comment et pourquoi des camarades avaient été arrêtés. Plusieurs textes et appel à la solidarité ont circulé dans les manifestations, dans les collectifs en lutte, dans les lieux de discussion politique.Durant des mois, c’est des rassemblements de solidarité, des banderoles, des tags, des attaques contre des entreprises participant à la chasse aux sans-papiers, des concerts de soutien, des brochures. Si la question de répondre à l’offensive médiatique s’est posée, elle ne s’est pas faite sans penser à toutes les critiques qu’on peut faire de cet instrument du pouvoir qui psychologise et individualise des situations sociales, et contribue à l’isolement en construisant des étiquettes policières abjectes. Tous les mots utilisés par la presse ont en commun de définir le « qui » derrière des actes en trouvant des caractéristiques identitaires à des groupes et donc décontextualisent, extraient différentes types de pratiques ou d’organisation des luttes et des antagonismes sociaux. Le squat ou les affrontements avec la police deviennent alors des sous-culture urbaine pratiquées par des irréductibles, alors que ceux sont des pratiques partagées par bien d’autres et surtout dans des contextes sociaux multiples. Aussi, pour qu’ une parole collective, construite, claire puisse être entendue, il y a la nécessité de penser sa diffusion dans un rapport de force, dans un jeu de pression où on doit décider de la forme et du contenu de notre discours. Comment réussir à imposer nos propres mots ? Comment parler de luttes et de critiques sociales alors que les journalistes sont avides d’anecdotes biographiques ? C’est une tentative difficile d’avoir une parole non polluée dans la machine médiatique. Cependant, il est moins risqué de lire un texte aux médias que de faire un interview. Parfois, il y a eu des tentatives réussies. Par exemple, pendant que le 10 mai, Finkielkraut enterrait Mai 68 sur France Culture, des personnes ont perturbé son émission pour lire un texte qui rappelait que des camarades étaient en prison. S’en est suivi une page dans Libération quelques jours après où on pouvait lire l’intégralité de la lettre publique écrite par Ivan et Bruno mais à la rubrique « Contre-infos ». Ce qui n’a pas empêché Libération de remettre une couche récemment en parlant à leur propos d’ « anarchistes avec des explosifs ». La question des médias n’est pas tant une question de principe, mais elle est très pragmatique : combien de gens se sont fait avoir ? Qui ne s’est jamais fait entubé par un journaliste ? Réponse faite, nous avons choisi d’utiliser nos propres moyens de communication, et de tenter de donner de la consistance à nos solidarités dans la rue. Souvent la question principale n’est pas de passer ou pas au JT de 20h mais d’avoir une réponse claire et si possible rapide quand on nous attaque, et ce tout en respectant la parole des camarades en prison.
Ni coupable, ni innocent
A la lecture des articles de presse ou de rapports de police, on comprend que l’objectif est de construire soit des profils de coupable, soit des profils d’innocent. La question principale devient alors : « Est ce qu’il ou elle aurait pu faire ou même penser à commettre tel ou tel acte ? ». C’est pour cela qu’il semble important de s’extraire des considérations sur la culpabilité et sur l’innocence qui répondent à des logiques de flics et de juges. L’attirail dans un dossier d’instruction consiste à trouver des éléments à charge pour conforter l’accusation. A coups d’« expertises scientifiques », la justice assène des vérités irréfutables, alors que dans la plupart des affaires, les dossiers d’accusation sont reposent souvent sur des vagues éléments. De toute façon, il est inscrit dans le droit que la culpabilité est le résultat de l’« intime conviction » du juge. La Justice utilise le profil de chaque individu sur le mode accusatoire. Un dossier d’accusation ressemble beaucoup à une enquête de personnalité. En matière d’anti-terrorisme, c’est l’intention qui compte ; et ici, l’intention signifie des motivations politiques. On les accuse de s’attaquer à l’Etat. Plus encore dans les affaires dont on parle, dire que un tel ou un tel est innocent au sens où il n’aurait jamais pu faire tel ou tel acte revient, même après de multiples détours, à nier sa condition de révolté et à condamner des actes politiques, et c’est bien là que ça divise et affaiblit la lutte.
En revanche, nier des faits qui nous sont reprochés ne veut pas dire que l’on a un discours innocentiste. Souvent, face à la justice, il existerait grossièrement seulement deux choix. D’une part, il y aurait des procès dit « de rupture » qui s’apparenteraient à refuser de se défendre, revendiquer l’acte politique. D’autre part, il y aurait les procès dit « de connivence », où les inculpés réfuteraient tout engagement politique et serviraient aux juges ce qu’ils veulent entendre. Cette division binaire ne correspond pas du tout à la complexité dans laquelle les accusés sont plongés et il est nécessaire de trouver des « voies de fuite ». On peut nier les faits dont on nous accuse sans pour autant condamner ces actes. De même, batailler dans l’enceinte d’un tribunal sur des éléments de la procédure, pousser les juges à reconnaître qu’ils n’ont pas les preuves de ta culpabilité, rester sur le terrain des faits, mettre à mal leur conception « de présomption d’innocence » même si il n’y a pas de naïveté à avoir quant aux « droits de la défense » peuvent être des pistes à explorer. Même ce qu’ils présentent comme des preuves matérielles comme des empreintes digitales, des traces ADN, des écoutes téléphoniques, ne sont pas pour autant des preuves évidentes.
La justice, quelle soit dite de droit commun ou d’exception, est un des outils de l’Etat au service de son pouvoir. La Loi n’est qu’un outil de classe parmi d’autres pour désarmer les pauvres et les révoltés. Ceux ne sont pas des vérités très nouvelles. On voit bien que lorsqu’il y a des pressions politiques, il faut resserrer le contrôle et punir rapidement et durement des coupables. En novembre 2007, après des affrontements avec la police à Villiers le Bel, différents quartiers de la banlieue parisienne ont été occupés par des militaires pour empêcher toutes révoltes. Quelques temps après, il y a eu une grosse opération policière et médiatique pour arrêter des dizaines de personnes soupçonnées d’avoir tiré sur des flics. Un an après, cinq d’entre elles sont toujours en prison. Les preuves qu’ils ont contre eux sont des témoignages sous X et des casiers judiciaires. De la même façon, après l’incendie du centre de rétention de Vincennes, ceux sont pour l’instant six personnes qui ont été mises en prison. La Justice répond a des logiques de contrôle et de répression. Elle se fiche de savoir si ceux qu’on enferme sont les « vrais »coupables ou pas, un profil dangereux suffit. Il n’y a qu’à voir le nombre de personnes en détention provisoire qui attendent leurs procès. Si on parle de la fonction de la répression et du rôle de la prison, c’est qu’il est important de rappeler que la question n’est pas de savoir si ’« on mérite ou pas » d’être en prison. Qu’à partir du moment, où on traîne dans les tribunaux ou aux parloirs, on s’aperçoit que les lois ne sont faites que pour les riches, et qu’à partir du moment où on lutte pour notre propre survie, contre l’exploitation, ou le contrôle, pour eux, nous serons toujours des coupables.
L’exception fait la règle
L’antiterrorisme participe au durcissement de tout le système judiciaire : toujours plus de comportements deviennent des délits, des délits deviennent des crimes et les peines s’allongent. Qu’on soit primaire, récidiviste, mineur, psychopathe, pédophile, grand bandit, terroriste, dealer, c’est de plus en plus dur pour tout le monde. La justice d’ « exception » devient la règle. Il s’agit alors de comprendre les différents degrés de toute cette « démesure judiciaire » parmi laquelle se trouve l’anti-terrorisme.
L’anti-terrorisme est bien pratique pour faire de la répression préventive. En effet, puisqu’elle se base sur des intentions, il n’y a pas besoin d’actes avérés pour arrêter des personnes. C’est peut-être pour cela, que la justice anti-terroriste semble être le miroir grossissant du fonctionnement de la justice ordinaire. La spécificité de ce type de procédure est d’être sur un terrain « politique » au sens où l’Etat désigne par terroriste « tout ce qui est dirigé contre lui », et jette son dévolu sur tout ce qui a « l’intention de lui nuire ». Il suffit alors de faire coincider un engagement politique un peu trop subversif avec des événements, actions ou manifestations de la révolte sociale qualifiée de violents pour étiqueter une affaire de terrorisme. L’anti-terrorisme est un outil de répression qui a sa logique propre. Et si on qualifie des camarades d’être des terroristes, c’est simplement avec la volonté ferme de les isoler de luttes et de mouvements sociaux, de les présenter comme monstrueux et par là condamner toute acte de violence. Les dégradations commises sur les caténaires constituent des actes de sabotage au même titre que ceux perpétrés par des cheminots lors de grèves. La tentative d’incendie de la dépanneuse fait partie des voitures qui brûlent chaque année lors d’affrontements avec la police ou dans un contexte de révolte diffuse. Le dénominateur commun de ces actes réside dans le fait de ne plus laisser cette société nous broyer sans réagir. Le sabotage participe à construire un rapport de force et permet de concrètement, bien que provisoirement, pertuber, ralentir, casser les dispositifs qui nous contraignent, et contribue au même titre que la réflexion critique, la rencontre ou la confrontation à la volonté d’enrayer le fonctionnement du système capitaliste.
Ainsi, analyser la spécificité de l’anti-terrorisme permet de comprendre la nature de l’opération politique qui est menée et de répondre en conséquence. Que ce soit en Janvier ou en Novembre, ces arrestations font partie d’une opération politique beaucoup plus large qui vise à mettre au pas la contestation sociale. La Justice présente une organisation terroriste qui serait la « mouvance anarcho-autonome ». Cette construction de l’ennemi intérieur est préparée depuis bien longtemps , au moins depuis la campagne électorale mais déjà pendant le mouvement anti-CPE. La circulaire Dati du mois de juin 2008 qui formalise la définition de cette mouvance vise clairement un ensemble de pratiques : les manifestations de solidarité devant les lieux d’enfermement et de tribunaux, les actes de sabotages, les tags, la volonté d’en découdre avec la police. Cette note policière et judiciaire attribue des pratiques à cette mouvance alors qu’elles sont des éléments inscrits au sein de mouvements sociaux et de la conflictualité des luttes. Dans ce contexte, il faut rappeler les coups de pression (garde à vue et perquisitions) faits dans les mouvements anti-nucléaire, de solidarité aux sans-papiers, antifaciste et anti-spéciste ces derniers mois.
Ne pas se recconnaître dans ces étiquettes policières, c’est refuser de restreindre des pratiques politiques, des actes à un groupe spécifique, c’est affirmer qu’il n’y a pas d’homogénéité ou de réalité à trouver dans ces catégories.
Dans les lettres publiques qu’ils ont écrites, Ivan, Bruno, Isa, Farid, Juan et Damien décrivent bien qu’ils n’appartiennent ni à un parti politique, ni à un syndicat mais font partie des gens qu’on croise lors de manifestations, de rassemblements, de réunions publiques, de projections de films, présents dans la lutte sociale et liés par le mouvement collectif. En utilisant l’anti-terrorisme comme moyen de répression, l’Etat a pour objectif d’étouffer toute contestation qui ne se limite pas à la dénonciation, qui se donne les moyens d’agir et de tenter de rendre concrète la critique sociale.
Ainsi, la solidarité prend tout son sens, déjà parcequ’elle est le contraire de l’isolement que l’Etat veut nous faire subir. « La solidarité permet de rejoindre et croiser différentes formes de luttes. Elle n’est pas un slogan générale mais un lien avec des individus de chair et de sang qui a pour objet l’échange d’autres pratiques, des attitudes, des luttes. La révolte n’est pas une affaire de spécialistes mais celle de toutes et tous. Dépasser cette solidarité précise c’est aussi affirmer notre volonté d’en finir avec ce monde. »
C’est commencer par arracher nos compagnons, camarades, amis de la prison, comme instrument de l’isolement et de continuer à lutter contre ce monde d’enfermement, d’exploitation et de contrôle.
CONTRE TOUS LES ENFERMEMENTS. LIBERTE POUR ISA, JUAN, DAMIEN, CEUX et CELLES ACCUSES DE SABOTAGE SNCF et TOUS LES AUTRES. QUE LA LUTTE CONTINUE AVEC RAGE ET JOIE.
Aujourd’hui, Farid et Ivan sont sous contrôle judiciaire strict et assignés à résidence entre 21h et 6h du matin, obligés de rester en région parisienne. Bruno a choisi de se faire la malle. Isa, Juan et Damien sont incarcérés à Versailles, Rouen et Villepinte. Ils déposent régulièrement des demandes de mises en liberté.
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Pour participer au soutien financier : chèque à l’ordre du CICP à l’adresse Mauvaises intentions 21 ter rue Voltaire 75011 Paris.
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