mercredi 22 septembre 2010
Inactualités
posté à 21h02, par
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Fidèle à son habitude, Xavier Raufer souffle la peur et entretient la psychose terroriste : « Si l’Algérie a prévenu la France, c’est que c’est du sérieux. » On se pince, tant l’Algérie est, en ce domaine, tout sauf sérieuse… Ce que rappelle l’ami Quadruppani en un livre sur l’antiterrorisme à paraître en janvier prochain, La Politique de la peur. Extrait, en avant-première.
A propos de la campagne « hou, fais-moi peur ! » de Brice Hortefeux, Xavier Raufer - l’éternel compère de Bauer et expert autoproclamé en terrorisme que les médias s’arrachent - déclare dans le Post : « Si l’Algérie a prévenu la France, c’est que c’est du sérieux. » Il y a effectivement de quoi s’inquiéter, mais pas dans le sens où l’entend Raufer. En effet, l’ « Algérie », ça signifie bien sûr « les services » algériens, et tout particulièrement le DRS, une branche de l’État algérien dirigé par l’oligarchie kleptocrate qu’on sait. Et, quelle coïncidence, la dernière campagne d’attentats aveugles qu’ai eu à subir la France, en 1995, celle du GIA, était manipulée par le DRS… Heureusement, pour l’instant, on ne voit pas trop quel intérêt ces fameux « Algériens » auraient à lâcher sur le territoire français quelques marionnettes kamikazes sous l’étiquette d’Al Qaeda au Maghreb islamique. Mais comme utile rappel historique et en avant-première pour les lecteurs d’Article11, je livrerai ici un passage de mon livre La politique de la peur, à paraître en février 2011 au Seuil. Où l’on verra qu’en effet, si les « Algériens » devaient s’en mêler, ça risquerait de tourner mal, peut-être pour l’intégrité physique de quelques usagers du métro, et certainement pour chacun de nous, en raison du climat de mensonge et de peurs qu’on pourrait voir s’installer.
« Depuis son coup d’État de 1992 interrompant les élections qui risquaient de donner le pouvoir au FIS islamiste, l’armée algérienne dirigeait directement le pays. Il ne fait guère de doute aujourd’hui que le GIA, le Groupe islamique armé, formé après le coup d’État, a été, au moins à partir d’un certain moment, infiltré et manipulé par le DRS (Département de renseignement et de sécurité – ancienne Sécurité militaire) algérien : les exactions de ce groupe justifiaient le maintien de l’armée au pouvoir et permettaient à celle-ci d’opérer ses propres massacres et liquidations en les attribuant aux islamistes. Le chef du GIA, Djamel Zitouni, était, suivant plusieurs témoignages fiables de militaires algériens réfugiés en France, un homme du DRS.
En janvier 1995, l’opposition algérienne réunie à Rome (Islamistes du FIS, FLN, FFS) signe un accord de paix prévoyant l’organisation de nouvelles élections en Algérie et le départ des militaires, accord salué dans les semaines qui suivent par François Mitterrand, Alain Juppé et de hauts responsables de l’administration Clinton. En mai 1995, quand Chirac devient président de la république avec Alain Juppé comme premier ministre, les généraux algériens, qui avaient parié sur Baladur, ont toutes les raisons de s’inquiéter : l’accord de Rome risque de trouver un appui déterminant de l’autre côté de la Méditerranée. C’est alors qu’intervient une campagne d’attentats officiellement attribuée au GIA de Djamel Zitouni, et revendiquée par lui. Elle commence par l’assassinat du Cheikh Sahraoui (porte parole du FIS en Europe), à la Goutte d’Or, à Paris, en juillet 1995, et se poursuit par des attentats contre des civils, notamment aux RER Saint Michel et au Musée d’Orsay, qui font en deux mois dix morts et près de 200 blessés en France.
Deux services de police concurrents interviennent, la 6e Direction de police judiciaire du commissaire Marion, et la DST. La première, comme le raconte J.-B. Rivoire, va déraper. Envoyée sur des fausses pistes par le DRS algérien, incapable d’identifier les commanditaires, elle va « multiplier les arrestations dans les milieux islamistes, traitant les prévenus avec des méthodes plus que contestables. (…) Slimane Rahmouni, (…) fut ainsi torturé à l’électricité à l’hôtel de police de Lyon ». Puis Rahmouni a subi un traitement qui montre que la France sait souvent, en ces matières, être à l’avant-garde, puisqu’il préfigure certaines vidéos d’Abou Ghraïb : « Attaché avec une laisse, les mains menottées dans le dos, un sac plastique sur la tête, et traîné comme une bête de foire devant une quinzaine de policiers réunis pour un pot de service. » Plus tard, deux campeurs « suspects » interpellés après avoir laissé derrière eux la winchester ayant servi à tuer l’imam Sahraoui « vont être tenus éveillés pendant 96 heures, privés de boisson et torturés à l’électricité par des policiers »1 masqués. Le 30 septembre, Khaled Kelkal, qui avait laissé des traces sur un engin explosif découvert fin août sur une voie TGV, est abattu par des gendarmes parachutistes devant les caméras de France 2, l’un des militaires criant « finis-le, finis-le », ce qui ne manquera pas de susciter des interrogations indignes contre un corps au-dessus de tout soupçon : chacun sait, au moins depuis la glorieuse prise de la grotte d’Ouvéa, que la gendarmerie française n’achève pas l’ennemi blessé… En tout cas , deux nouveaux attentats ne vont pas tarder à démontrer que le gibier pris ou abattu n’était qu’une partie des exécutants.
Le principal organisateur de la campagne d’attentats, un certain Ali Touchent, va lui, regagner sans encombre l’Algérie. Cet agent du DRS était en effet très vraisemblablement couvert par la DST, laquelle, au contraire de la police judiciaire, avait des relations privilégiée avec le service algérien. Ce qui ne veut pas dire qu’elle l’aurait protégé en connaissance de cause : le plus vraisemblable, c’est sans doute que ce service chargé d’assurer la sécurité du territoire a aidé le responsable d’une dizaine de meurtres à échapper à la justice simplement parce que lui, le service que, suivant les dires de ses dirigeants, le monde nous envie, s’était laissé abuser par son partenaire de jeu algérien – pour résumer, par pure incurie. (…)
Le terrorisme comme diplomatie parallèle
(…) Comme dit l’ancien juge antiterroriste Alain Marsaud2 : « Cela ne sert à rien de commettre des attentats si vous ne faites pas passer le message et si vous ne forcez pas la victime à céder. Cela s’obtient par la mise en place d’une diplomatie parallèle destinée à bien faire comprendre d’où vient la menace et comment on peut y mettre fin en contrepartie de certains avantages. »
(…) en 1995, selon un conseiller de Charles Pasqua cité par Jean-Baptiste Rivoire3 , « les attentats de Paris ont bien été une opération de guerre psychologique menée par le DRS ». Opération là-aussi couronnée de succès : après cette campagne de terreur, le gouvernement français va coller aux positions des généraux algériens dans la guerre contre l’islamisme, le FIS sera privé de sa base arrière et le processus de paix de Rome sera définitivement affaibli.
(…)
Telle est la caractéristique essentielle de la lutte contre le terrorisme de matrice moyen-orientale, qui, en Occident, a dominé la fin du vingtième siècle : cette lutte n’était qu’un épisode d’un différend politique international, et dans la résolution de ce différend, l’intervention policière et judiciaire n’a joué qu’un rôle mineur. La solution au problème international qui faisait mourir dans le métro ou sur les trottoirs de Paris n’était ni entre les mains des fins limiers des RG ou de la DST (et encore moins de leurs haut-parleurs médiatiques), ni dans celles des rigoureux magistrats du pôle ad hoc. Tout se passe comme si, en chacun de ses volets médiatique, policier, juridique et judiciaire , le dispositif antiterroriste mis en place durant les années 80 en France (plus tôt ou plus tard ailleurs) servait avant tout à dépolitiser le différend, à le maintenir dans une zone infra-politique, alors même que sa résolution ne pouvait être que politique. »
Si jamais des bombes devaient exploser dans le métro, le citoyen français aurait tout intérêt à se poser la question : « Sommes-nous prêts à mourir pour qu’Areva puisse continuer à exploiter des mines d’uranium au Niger et la question du pourcentage à rétrocéder éventuellement aux généraux kleptocrates algériens mérite-t-elle vraiment que nous risquions notre peau ? » Sans compter ce que beaucoup de monde a remarqué, à en croire les commentaires sur internet, à savoir qu’une bonne campagne de terreur offrirait enfin au gouvernement français une occasion de recréer autour de lui un consensus qui, ces derniers temps, lui manque singulièrement.