mercredi 18 février 2009
Le Cri du Gonze
posté à 00h07, par
29 commentaires
La journée avait mal commencé, entre gueule de bois et lecture édifiante d’une presse occidentale empressée à dénoncer le énième « putsch » du « caudillo » Chavez. Et puis, sans prévenir, au débotté, j’ai rencontré l’amour. Au détour d’un commentaire, j’ai croisé l’être aimé, celui qui sauvait cette journée, voire plus. Un bonheur que je souhaitais partager avec vous. Love-story sauce vénézuelienne…
Merci à toi, « Demo », usager anonyme de la médiacratie webienne.
Oui, merci, car tu as sauvé ma journée, voire sauvegardé ma vision optimiste de la race humaine.
Je ne te connais pas, je n’aime même pas ton pseudo - pouvais pas trouver un peu plus original ? - et je n’ai pas le moindre début d’information te concernant. Rien, peanuts. Hormis ce commentaire que tu as laissé à la fin d’un article de Libé,
Ton commentaire, cher et admirable « Demo », faisait suite à une déferlante de propos haineux sur le « dictateur » vénézuelien Hugo Chavez, celui qui fait rejouer Pinochet et Castro tous les jours au grand théâtre des despotes sud-américains. Qui n’aime rien tant que grignoter des bébés et torturer du journaliste télé.
Et, bordel, ton commentaire, pour moi, ce fut comme l’oasis rencontré dans le désert, ou, en langage plus contemporain, comme la rencontre de Carla et Nicolas sous la plume du bouffon Séguela : frais, inattendu, merveilleux.
Pourquoi tant d’amours pour un gus que je ne connais ni d’Eve ni des dents, te demandes-tu, fidèle et prévisible lecteur ?
Que je te raconte :
Je parcourais donc, sport extrême, les commentaires postés suite à un article de Libération annonçant le référendum à venir au Vénézuela,
Et l’on sait à quel point les journalistes - de références - du quotidien prétendument de gauche sont objectifs quand il s’agit d’aborder la question Chavez…
J’étais donc passablement énervé, frôlant l’apoplexie devant des expressions telles que « castrisme new look » (c’est bon, ça coco, ça claque et ça ne mange pas de pain), « Caudillo » (ils ne peuvent pas s’en empêcher, c’est plus fort qu’eux : syndrôme Tapioca), et toute la panoplie des raccourcis foireux sur le « truculent » président du Vénézuela, à côté de qui Joseph S. et Adolf H. n’étaient que de pâlichons tyrans.
A bout de force, je terminais l’article. Il y a des tortures que l’on s’inflige sans trop savoir pourquoi… Pur masochisme, j’imagine, ou compulsion boulimico-médiatique, comme le fumeur de shit bloqué en position « fascination » devant l’intégrale des « Feux de l’amour »,
Et donc, pris dans la nasse, piégé, comme la biche dans les phares, je ne pouvais fuir. Une fois l’article fini, divaguant, je plongeais dans les commentaires dudit. Tel un zombie, je parcourais la prose hallucinée des internautes libétiens, férocement désinformatrice pour la majorité, pas vraiment convaincantes - manque de gniaque et de chiffres - pour ceux qui tentaient de remettre l’événement à sa juste place, à savoir un processus démocratique (La majorité des pays européens n’ont pas de limitation en matière de mandats présidentiels, cela fait-il d’eux des dictatures bananières ?)1.
Je parcourais même, je dois bien l’avouer, quelques commentaires laissés par ce cher « Devo », apparemment un habitué des joutes internétiques, sans pour autant m’y arrêter particulièrement. Il arrive que l’on rencontre l’être aimé sans s’en rendre compte sur le moment…
Et puis, la bave aux lèvres, la folie aux neurones, à bout de forces, je tombais sur ton commentaire de 18 h 26, celui que tu intitulas avec une sobriété de ton frôlant le génie, « Petit complément sur l’économie ». Je me suis permis de copier-coller cette perle de concision (en corrigeant quelques rares fautes), il y a des coups de foudre qui peuvent se partager sans perdre leur magie, il me semble :
Durant l’année 2004, grâce à l’augmentation des prix des hydrocarbures, à un climat politique plus détendu et à la reprise en main de PDVSA, le Venezuela a connu un taux de croissance du PIB de 17 % (un des plus haut du monde, selon les chiffres officiels et ceux du FMI), permettant de récupérer presque intégralement les déboires antérieurs. La réalisation du référendum révocatoire présidentiel, avec le triomphe du président Chavez soutenu par 60% des suffrages, a affecté l’économie.
Les investissements sociaux du gouvernement (par le biais des « misiones ») dans les domaines éducatifs, alimentaires et médico-sanitaires, créées depuis 2001 commencent à porter leurs fruits : le taux de pauvreté a été réduit entre 1999 et 2006 de près de 10 points (de 44 % à 34 %), le taux d’extrême-pauvreté de 11 points entre 1999 et 2007 (de 20,6 % à 9,4 %,) tandis que près de 1 250 000 personnes ont été alphabétisées entre 2003 et 2004 selon les chiffres de la BCV (Banco Central de Venezuela).
Le PIB par habitant en PPA est passé entre 2003 et 2008 de 5 033 $ à 8 500 $ selon les chiffres du FMI, et de 5 500 $ à 8 500 $ entre 1999 et 2008.
La crise économique de 2008 et l’effondrement soudain du cours des matières premières font craindre une faible croissance et une inflation forte. La forte inflation affecte la population (30,9 % en 2008).
Chavez a nationalisé le pétrole et l’électricité. L’électricité était distribuée par des sociétés privées qui refusaient d’investir dans les zones défavorisées.
Chavez pouvait certainement faire mieux avec la rente pétrolière. Mais la droite est mal placée pour critiquer. Pendant des décennies la rente du pétrole était sous le contrôle de multinationales et les bénéfices placés sur des comptes aux Etats-Unis. L’argent était remunéré à 3 % et le FMI et la BM prétait à 8 ou 9 % au Vénézuela.
Le Vénézuela a remboursé tous les prêts du FMI et de la Banque mondiale.
Je n’aime pas trop les chiffres habituellement. Je m’y perds. Mais quand des débats sont engorgés par trop de mauvaise foi et de désinformation, voire de palabres sans intérêt, s’y appuyer est une nécessité. Pour mieux rebondir vers la vérité. En l’occurrence, « Demo » de mon cœur, tu as su les sortir au moment adéquat, comme le magicien le lapin de son chapeau. Avec une concision frôlant la perfection. Sans commentaires inopportuns ou blablatage soporifique. Maestria rhétorique.
Pour finir, je voulais te dire, aussi, la larme à l’œil : je pense que je ne te verrai plus. Cela fait fort longtemps que je ne fréquente plus les bancs de « Libé ». Trop mal-famé, trop bêtifiant. Cet ultime jour où je m’y suis plongé, te rencontrant, était comme un adieu, une dernière goulée d’un amour depuis longtemps disparu. Je ne te verrai plus, donc. Mais si un jour tu émigres sur A11, mon aimé virtuel, je t’attendrai avec des roses. Rouges.
Quoi, qu’entends-je ? Le titre ne serait pas raccord avec le billet ? Mhh, j’avoue, il y a une légère entourloupe2.
1 En passant : est-ce qu’un jour on pourra dire ce genre de choses sans pour autant être accusé de cautionner tous les aspects - dont certains me déplaisent foncièrement - du président vénézuelien ?
2 Il s’agit bien sûr d’attirer frauduleusement le lecteur, par effet d’annonce. On ne recule devant rien en ces pages - un peu comme Chavez, non ? -, tu devrais le savoir