mercredi 18 janvier 2012
Vers le papier ?
posté à 17h42, par
31 commentaires
C’était l’une des grandes « forces » d’Article11.info, un ingrédient indispensable à notre alchimie foutraque. Las, ce n’est plus aussi vrai qu’aux débuts du site. Cela fait en effet un certain temps qu’une (petite) partie des commentaires perdent de leur intérêt, certains sombrant dans l’invective et l’anecdote. On sait que c’est en grande partie de notre faute ; alors, on contre-attaque.
Le constat n’est pas neuf, il trotte dans nos têtes depuis quelques mois - disons : pas loin d’un an. Ça fait un moment, aussi, qu’on se dit qu’on devrait en parler ici, même si nous ne savons pas vraiment comment aborder le sujet. Pas si simple, en fait, tant il s’agit là de quelque chose de plutôt vague, indistinct et difficilement quantifiable.
Ce dont il est question ? Les commentaires. Ici, sur ce site. Tous ces petits mots, longues phrases ou vrais développements - façon dissertation argumentée - que vous laissez ici, régulièrement ou à l’occasion, petits poucets numériques. Juste des lettres et des pixels ; les deux font l’âme du site et du canard.
Rassurez-vous... On ne va pas se la raconter façon Rue89, les belles intentions - ce « journalisme à trois voix »1 censé révolutionner le genre - dissimulant très mal ce que l’espace de commentaires du site racheté par Perdriel a de fangeux et déprimant2. Foin du journalisme participatif et du baratin l’accompagnant, les deux ne sont rien d’autre qu’une façon de perpétuer le modèle hiérarchique de la presse traditionnelle en l’habillant d’atours un tout petit peu plus clinquants.
Pas de faux-semblants, donc. Juste une évidence : les commentaires ont longtemps été le bien le plus précieux d’Article11. Parce qu’ils étaient généreux, instructifs, argumentés, chaleureux - même quand il s’agissait de s’écharper autour d’une vague théorie ou de vitupérer un billet mal tourné. Qu’ils faisaient montre d’un profond respect pour l’autre. Et qu’il s’en dégageait une atmosphère douillette et encourageante. Certains trouveront ça bêtement crétin, très naïf ou largement idéaliste - on ne compte plus les fois où nous avons été traités de bisounours... Mais on y croit.
Il faut ici être clair : le navire A11 n’aurait jamais appareillé pour un voyage au long cours s’il n’y avait eu deux collectifs pour le porter. Celui des joyeuses drillesses et heureux drilles qui y participent, évidemment. Et un autre, plus large et aux frontières évoluant en permanence, constitué de celles et ceux qui commentent sur le site, avec autant d’intelligence que d’ouverture. Sans ce second collectif - et il n’y a là ni exagération sentimentale ni brossage dans le sens du poil -, le site aurait depuis longtemps fermé ses portes, et la version papier n’aurait jamais été portée sur les fonts baptismaux. Aventure avortée.
Las... Cette ambiance particulière, le site l’a sans doute en partie perdue. Les échanges chaleureux le sont moins, les anathèmes fleurissent régulièrement, de même que les injures gratuites et raccourcis désagréables. Les anonymes se sont faits de plus en plus nombreux, tandis que les commentateurs fidèles désertaient en partie les lieux. Il reste bien entendu des moments de grâce, de vrais échanges, de passionnantes commentatrices et précieux commentateurs. Mais un peu de magie a disparu - ce n’est pas rien.
Une amie résumait récemment la situation par mail3 : « Les commentaires des billets du site me semblent moins ouverts, moins généreux, plus « bloquants » et dissuasifs depuis quelque temps ; et parfois, je ne comprends pas du tout où veulent en venir ces anonymes de plus en plus nombreux — je n’arrive même pas à discerner lesquel(le)s sont en fait la même personne, tant ça tient parfois du jeu chat-souris... »
Il serait sans doute idiot de chercher des responsabilités à une telle évolution. Mais nous sommes en tout cas convaincus qu’il en va en grande partie de la nôtre. Parce que nous nous investissons beaucoup moins dans l’espace de commentaires - surtout par manque de temps. Et que nous avons trop souvent, au cours de la deuxième moitié de l’année 2011, laissé le site en (petite) jachère, l’actualisant avec retard et donnant plus rarement des nouvelles4. C’est aussi le revers du passage au papier, éminemment chronophage : difficile de garder le rythme sur le site et de s’investir dans les commentaires comme on pouvait le faire auparavant.
La progression de la fréquentation n’est sans doute pas non plus étrangère à ce changement d’ambiance (à titre d’exemple : 102 000 visiteurs pour le mois de décembre, déjà plus de 60 000 pour la moitié du mois de janvier). De même que la multiplication des papiers de fond (longs articles, nombreux entretiens) au détriment de billets plus légers et abordables.
Et donc, derechef ? Nous avons décidé d’intervenir un chouia, pour tenter de faire revenir un peu plus d’amour et de respect dans l’espace de commentaires. Dans la pratique, deux petites modifications :
× La première est anecdotique : il ne sera désormais (à partir d’aujourd’hui5) plus possible de commenter sans laisser de pseudo. Rien de très coercitif - il n’est pas question d’obliger les commentatrices et commentateurs à s’enregistrer, non plus qu’à laisser un e-mail. Chacun devra juste utiliser un (ersatz de) pseudo, celui-ci pouvant évidemment changer à volonté.
Une mesure symbolique, juste marquée de cette certitude : hors sur les sites relayant très directement les luttes (à la manière des Indymedias), l’anonymat total n’apporte rien et dessert les échanges. Que l’anonyme de 12 h 42 prenne à partie celui de 10 h 38, avant lui-même de se faire aligner par l’anonyme de 15 h 12, le tout à grand renfort de messages très lapidaires et péremptoires, ne concoure qu’à instaurer un climat brouillon et désagréable. Et partant, à faire fuir une partie de ceux qui auraient des choses intéressantes à dire.
× La seconde modification est plus contraignante : nous allons sortir plus souvent nos grands ciseaux de censeur (c’est déjà en partie le cas, d’ailleurs ; à titre d’exemple, une dizaine de commentaires ont été supprimés aujourd’hui). Non pour le plaisir, et encore moins pour faire taire des voix critiques ou divergentes. Mais juste parce que nous en avons un peu marre des messages lapidaires et sans intérêt - souvent incompréhensibles, parfois méchants, presque toujours gratuits. Ceux-ci finiront désormais à la poubelle. Une censure en partie subjective ; il n’est par exemple nullement interdit de se montrer injurieux, juste indispensable d’argumenter si tel est le cas.
Il s’en trouvera sans doute pour pointer dans ce recours occasionnel aux ciseaux d’Anastasie une négation des principes libertaires. Soit. Mais ici, c’est pas la foire à la saucisse.
1 Soit la rédaction, les experts et les commentateurs.
2 En l’espèce, c’est le cas de tous les sites des médias dominants sur le net : les commentaires donnent le plus souvent envie de se descendre une bouteille de vodka cul-sec avant d’aller s’écrouler dans un coin en maudissant le genre humain
3 À l’auteure : nous espérons que tu ne nous en voudras pas d’avoir ainsi réutilisé tes mots sans t’en demander l’autorisation. Sinon, enguirlande-nous... en commentaires.
4 La nouvelle et très classe mouture du site nous a ici redonné un coup de fouet. Encore mille mercis, Pierre !
5 Plus ou moins. L’ami Pierre, webmaster d’élite, précise : « Au début, les gens qui ont la page en cache (sauvegardé dans le navigateur) vont pouvoir continuer à poster en anonyme, mais ça ne va pas durer. »