jeudi 24 septembre 2009
Le Charançon Libéré
posté à 15h59, par
23 commentaires
Humanité ! Ils n’ont que ce mot à la bouche. Et il n’est guère surprenant que ceux qui en parlent le plus soient ceux qui en fassent le moins, tant le mot n’a plus pour fonction que de servir de paravent médiatique. A tel point, même, qu’il en devient un peu usé ; pour qualifier l’action des forces de l’ordre à Calais, Besson lui a donc accolé le terme « délicatesse ». On ne saurait mieux dire…
Je fais une petite chronique hebdomadaire sur la radio libre FPP, le jeudi à 12 h 30. Comme je ne recule devant rien, je te la copie-colle ici.
Je suis heureux, les enfants.
Heureux !
E-R-E1.
Pour vous dire : je trouve tout le monde beau, aujourd’hui.
Jezabel pète de mille feux.
Ness2 n’est pas mal non plus.
Le micro est joli, qui me fait langoureusement de l’œil.
La table est splendide, ma chaise très confortable.
Ma clope a le goût joyeusement alerte de l’humus des sous-bois aux mille senteurs, quand la pluie vient de cesser de tomber, que le soleil éclate et que la nature respire la vie.
Et je crois bien - sans en être tout à fait certain - que la fille splendide que j’ai croisée tout à l’heure dans le métro me souriait et me faisait de l’œil, toute prête à s’offrir langoureusement sur le skaï fatigué des banquettes de la RATP, on se serait mélangés fougueusement comme de jeunes chiens fous entre les stations Barbès-Rochechouart et La Chapelle, mon dieu, c’eusse été magnifique, encore plus que les vigoureux mouvements du crâne chauve de Valéry Giscard d’Estaing en le jardin si secret de Lady Di.
Bref : je m’illusionne, vibrionne, fantasme et nage dans le bonheur.
C’est chouette.
Certains d’entre vous croiront que les deux comprimés d’ecstasy que je me suis enfilé avant de débarquer ici pourraient être d’une quelconque influence sur cet état euphorique.
Et je préfère vous le dire tout de go : il n’en est rien.
Par contre - et pour être honnête - il n’est nul doute que le revirement qui s’est fait jour à la tête de l’État, le bouleversement qui se dessine peu à peu en notre digne gouvernement, n’est pas étranger à mon changement d’humeur.
Je ne tiens plus de joie depuis que j’ai découvert que les salopards finis, crétins consanguins, pathétiques décérébrés et autres racistes minables qui dirigent ce pays sont tellement plus gentils, doux et compréhensifs que ce que j’imaginais.
Ils sont bien, ces petits, tout simplement.
Et je me rends désormais compte que ce que je prenais - chez certains membres de la majorité - pour la froide insensibilité de l’opportuniste sans scrupules, la méchanceté gratuite du semeur de haine et l’abject populisme du flatteur de bas-instincts ne sont que timidité, compréhension et ouverture vers l’autre.
Bref, Nicolas, mon frère, , Brice, mon égal, Éric, mon semblable : dans mes bras, je vous ai compris !
Ma salutaire prise de conscience s’est opérée en deux actes.
Acte un, donc, ces abris de fortune démolis à Calais et ces clandestins adolescents pourchassés par des centaines d’hommes en uniformes.
Figurez-vous que - naïf que je suis - je n’avais vu dans cette scène que le comportement honteux d’un pays tombé si bas qu’il ne se scandalise même plus quand ses sbires assermentés font la guerre aux plus faibles de tous les miséreux et s’en prennent à des enfants pleurant et affolés.
Je me trompais, bien entendu.
Et Éric Besson m’a ouvert les yeux.
Lui qui a remercié mardi les forces de l’ordre pour « leur humanité et leur délicatesse ».
« Leur humanité et leur délicatesse »…
Sans déconner ?
(Entre nous, je ne sais pas dans quel cul de bas-de-fosse a bien pu naître Éric Besson, mais il faut vraiment qu’il ait passé une enfance abominablement pourrie pour voir dans ce spectacle scandaleux une quelconque marque de respect et ouïr dans le bruit sourd de la matraque un signe d’affection.)
Acte deux de cette salutaire prise de conscience, la grandiose intervention, en direct de New-York, de notre omniprésident, sauveur des marchés, sainte-conscience de la finance, si joyeux combattant de la régulation qu’il me fait songer à l’archange Saint-Michel terrassant les traders.
Glorieux chef d’État qui a profité de sa prise de parole télévisuelle pour revenir un brin sur la malencontreuse phrase ayant échappé il y a une dizaine de jour, à son plus fidèle second, « quand il y en a un, ça va, c’est quand il y en a beaucoup que ça devient désagréable de voyager dans le métro ».
Nicolas Sarkozy n’a pas manqué - évidemment - d’apporter un éclairage décisif sur cette saillie.
Et je ne peux que croire à sa sincérité quand il explique que Brice Hortefeux est « un homme profondément humain ».
« Profondément humain »…
Rien de moins ?
(Entre nous, je ne sais pas dans quel bouge infâme a été élevé celui qui se veut notre président - ou plutôt : je ne le sais que trop… - mais il faut vraiment avoir un monceau de fumier sur les yeux et un paquet de merde dans la tête pour tartiner ainsi sur l’humanité du ministre de l’Intérieur.)
Alors, je sais : il n’y a là rien de neuf sous le soleil.
Et il y a même longtemps que ceux qui nous gouvernent ont ôté tout sens aux mots, toute valeur aux choses, à tel point qu’il faudrait sortir une nouvelle édition du Petit Robert enrichie des définitions proposées par les hommes lige du régime.
Plutôt que de me plonger dans un tel dictionnaire, je vais me contenter de rêver au jour où Brice Hortefeux et Eric Besson auront à répondre de leur acte.
Avec délicatesse et humanité.
Où ils découvriront l’envers du décors, la souffrance de ceux qui sont du mauvais côté de la barrière.
Avec délicatesse et humanité.
Et où ils prendront conscience de ce que c’est, subir la brutalité et devenir proie d’une machine insensible.
Mais… avec délicatesse et humanité, bien entendu.