mercredi 3 juin 2009
Le Cri du Gonze
posté à 11h28, par
14 commentaires
Imagine, tu te lèves, la vie est belle, le soleil darde ses premiers rayons, tu files au café du coin pour un kawa aux aurores, cérémoniel réjouissant, ce monde n’est pas si pourri, finalement, les filles sont belles et ondulent comme des gazelles, et paf, tu sors ton paquet de clopes pour croiser le regard d’un malade en phase terminale t’assénant : « Demain, ce sera toi ! » L’horreur ? Oui.
Tu croyais vivre dans une société faisant tout pour te priver de tes choix ? Qui te souhaitait trouillard et blême, obsédé par ta santé et ton porte-monnaie ? Bin, mon salaud, tiens-toi bien, t’as encore rien vu, on file vers des lendemains qui grelottent. Si tu veux mon avis, on n’a pas fini de serrer les roubignoles et le petit air de la parano généralisée ne devrait tarder à devenir un gros flonflon assourdissant (l’est-il déjà ?). Ainsi, je lisais pas plus tard qu’il y a quelques jours, dans un article de Libé1, joliment intitulé « Les clopes mettent le paquet pour faire peur », que cette ravissante coutume consistant à foutre sur les paquets de clope des images blafardes de corps malades pour terroriser les fumeurs potentiels, déjà adoptée par 18 pays dans le monde, n’allait surement pas tarder à gagner nos cieux hexagonaux. En clair, d’ici un an, un peu plus peut-être, ton paquet de clope s’ornera d’images affriolantes types poumons cancéreux en gros plan, dents bérézinées ou bite en berne. Chaque allumage de clope te verra poser les yeux sur un corps en décomposition, une image dérangeante, une incitation à la tremblote. A raison d’un paquet par jour, ton cerveau aura donc l’occasion de se rassasier à loisir de zooms variés sur le pavillon des cancéreux au grand complet.
Pourquoi donc ? Simple : il y a encore des fumeurs (les salauds !) qui refusent qu’on leur impose ce qui est bon pour eux, qui n’ont pas rendu les armes, les briquets en tout cas. Du coup, il a fallu trouver autre chose que le trop timoré (…) « Fumer Tue », pousser le bouchon un peu plus loin. Autre chose équivalant ici à foutre les chocottes à ces salauds de fumeurs, à les faire trembler à un point tel qu’ils ne seront plus à même de rallumer leurs cibiches. La méthode Panzer Spectacle, dans ta face horrifiée. Merci Roselyne.
On s’imagine déjà les conversations morbido-surréalistes qui vont d’ici peu se dérouler dans les tabacs et à la sortie des bars. « Mettez-moi deux cartouches d’assistance respiratoire en gros plan. » - « C’est des quoi, tes clopes ? Des bites molles » - voire « tu me lâches une dentition cariée ? ». D’autant que, nous rassure la journaliste, on devrait bientôt interdire les couleurs sur les paquets pour en arriver à un gris béton uniforme. Des mini-bunkers ornés d’images glauques, voilà ce qui traînera dans nos poches désormais. On n’a pas fini de rigoler…
Au final, rien de neuf sous le soleil, juste un nouveau pas et énième sautillement vers la camisole mentale, vers l’arasement de tout ce qui dépasse. Comme d’habitude, on jugera ça anecdotique. Et, je te l’accorde, ça n’a rien de dramatique ; au pire, il suffira de fourrer tes clopes dans des étuis pour dépasser le problème. Mais, symboliquement, ça ressemble fort à un nouvelle victoire de ce fascisme de la bienséance sanitaire allié à la toute puissance de l’image leitmotiv qui commence à nous les briser menu-menu (et je reste poli). Un peu comme pour l’affaire des affiches RATP de l’expo Jacques Tati, frère Jacques se retrouvant privé de sa pipe. Juste le triste quotidien de cette société obsédée par le corps parfait, la vie réglée comme du papier à musique, l’hygiène irréprochable, le lisse triste et morne et les mutuelles retraites.
Je connais par cœur tous vos arguments, vous qui allez me traiter de monstre sans-cœur : que pèse cette liberté – de choix, de vie, de délabrement, d’addiction – que tu revendiques en face de l’horreur absolue des maladies liées au tabac, de ceux qui – parfois sans même avoir fumé – en payent le prix (très) fort ? Tu veux qu’on te paye une visite en pneumologie pour rencontrer quelques cancéreux des poumons ? Et les bébés enfumés, les barmens intoxiqués, les gosses privés d’air pur, tu t’en tartines le coquillard ?
Entendons-nous bien. Pour moi, il y a un monde, voire plusieurs, entre la prévention collective, l’incitation responsable à ne pas mettre en danger les autres (capote, sécurité routière…), et ce qui me prive de ma liberté au jour le jour, entache mon existence pour des raisons qui ne devraient concerner que mon libre-arbitre. J’accepte sans problème d’adapter mes habitudes pour qu’elles ne pourrissent pas la santé des autres. Ainsi, quand ce crétin fini de Guillaume Dustan courait les plateaux pour dire qu’il avait le droit de contaminer qui il voulait, qu’il se revendiquait séropositif baisant sans capote ni en informer son partenaire, j’avais de furieuses envies de meurtre (régulièrement réitérées, depuis, à chaque intervention papale). De même, l’interdiction de fumer dans les bars, si elle me semblait disproportionnée et injuste (casse-couille, pour tout te dire), je l’acceptais néanmoins sans trop de problèmes. Après tout, si les non-fumeurs intégristes me courent méchamment sur le râble, ils ont un argument difficilement réfutable : de quel droit m’imposes-tu ça ?
Par contre, avec ces illustrations morbides, la finalité n’est plus de protéger les autres de ma fumée, seulement de m’empêcher de prendre mon plaisir comme je veux et où je veux2. D’envahir mon quotidien en l’entachant de culpabilité, d’un aigre rappel sanitaire. Eric Chevillard écrivait dans Crab : « La main droite qui caresse un sein ne peut complètement ignorer qu’un chien est en train de manger la main gauche. » Je rajouterais que la main droite qui savoure sa première clope matinale ne peut complètement oublier que l’intérieur pulmonaire d’un cancéreux s’affiche sous son œil gauche.
L’intrépide Catherine Mallaval qui nous pond cet article de Libé ne songe pas un instant à interroger, ne serait-ce qu’en passant, le bien fondé de cette mesure. Elle note, benoîtement qu’ « au bout d’un moment, la frousse s’émousse » et qu’alors il faudra changer d’images. Dans ce cas, bibi a plein d’idées. Je suggère, pour la prochaine fournée, de passer à la phase suivante, à savoir des images de fumeurs en train de subir les derniers outrages : vieux con à gitane type Gainsbourg lynché par une foule de mères en colère, jeune babos pendu à la Mussolini en haut d’un réverbère pour avoir fumé dans les toilettes d’un train, voire Jacques Tati et Lucky Luke décapités en place de grève (un relaps tardif ne suffit pas, les mecs, c’est évident).
Je suggère aussi, si l’heure est à la frousse imposée, de généraliser la démarche. Puisqu’on en est là, autant la jouer réglo sur toutes les denrées composant notre quotidien : photos de poules en batterie sur les boîtes d’œufs, de tumeurs au cerveau sur les téléphones portables, de cœurs d’obèses aux artères bouchées sur les paquets de bonbons, de foies cirrhosés sur le Beaujolais, le nouveau comme l’ancien, de petits chinois en batterie (aussi) sur tes jouets de Noël, de Tchernobyl sur tes prises électriques et de Carla et Sarkozy à Disneyland (arghh…) sur les bulletins de vote UMP. Au moins, la fête sera totale. Et moi qui comptais arrêter de fumer, je te le dis net : devant ce type de procédés, par pur esprit d’opposition, je suis pas prêt de faire cette fleur à mes poumons. Assassins, va !
1 Nul n’est prophète en son pays.
2 Tu me rétorqueras qu’il s’agit aussi d’une mesure de prévention pour les plus jeunes, qu’elle vise à casser l’image cool de la cigarette pour empêcher les mômes de s’y mettre. Je te rétorquerais que si c’est de la prévention, ce serait bien que ça soit fait ailleurs que sur mon paquet, il y a des endroits pour ça…