mercredi 20 octobre 2010
Sur le terrain
posté à 20h23, par
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C’est une arme, utilisée par le patronat pour mettre au pas les travailleurs. Véritable chantage, le référendum permet de mettre les salariés sous pression et de les contraindre à avaliser des régressions sociales - en échange de promesses mensongères sur le maintien des emplois. Un jeu de dupes, que les ouvriers de Continental Toulouse ont décidé de refuser. Reportage.
Lundi 13 septembre, une usine en périphérie toulousaine. Au détour d’une entrée, un rassemblement, des banderoles. Une bonne centaine de personnes, vite rejointes par les ouvriers de l’usine qui ont débrayé - ils sont 1 500 à cesser le travail sur ce site de Toulouse, et 2 500 pour le pôle Midi-Pyrénées. Cela pour une rencontre internationale organisée par les travailleurs en lutte de Continental Automotive, avec des délégations des sites français - en premier lieu de Toulouse et Midi Pyrénées - mais pas seulement : d’autres ouvriers de la région ont fait le déplacement, les travailleurs de Motorola-Freescale, victimes des appétits de fonds d’investissement, ceux de l’usine Molex de Villemur-sur-Tarn, qui pointent désormais à Pôle Emploi, les travailleurs d’Airbus, de Thales, et même quelques étudiants. Présent aussi, un membre du comité de lutte de Clairoix, l’un de ceux et celles qui ont donné leur lettre de noblesse à l’appellation « Conti ». À ses côtés, une délégation de l’usine de Barcelone et un représentant allemand, venus évoquer la stratégie patronale de mise en concurrence des usines entre pays européens.
Las : la direction interdit l’entrée à toute personne extérieure à l’usine, y compris les ouvriers des autres sites de la région, Foix et Boussens. On restera donc devant l’entrée.
Un simple rassemblement ? Si ce n’était que ça. Tout part en fait d’une décision de la direction de l’entreprise de convoquer un référendum pour faire approuver un Plan de Sauvegarde de l’Emploi. Soit PSE, l’un de ces acronymes cyniques de la modernité libérale ne signifiant rien d’autre qu’un plan de licenciement. Au programme, réduction de 8 % de la masse salariale, renoncement aux RTT et aux heures supplémentaires. En contrepartie de ces sacrifices présentés comme nécessaires, une simple promesse de non-fermeture du site, sans aucune garantie additionnelle.
Flashback. Depuis plusieurs jours, la direction de l’entreprise se démène pour faire accepter ce nouveau PSE, « le troisième en cinq ans », me signale-t-on. Un énième plan ne reposant sur… rien. Les trois usines du Sud-Ouest sont rentable, restées largement bénéficiaires au cœur de l’année de la « crise », avec un gain de 38 millions sur un chiffre d’affaire total de 400 millions. Et les ouvriers soulignent les difficulté à honorer les commandes et les cadences infernales - bien loin de toute idée de main d’œuvre inactive, donc...
Peu importe, le plan est lancé et tous les moyens sont bons pour le faire accepter. En ne donnant - d’abord - aucune information sur le nombre d’emplois garantis, de quoi générer une lourde pression. Et en mettant aussi à contribution tout le corps social de l’usine : les réunions de service s’enchaînent pour « convaincre » les employés de renoncer à leurs acquis en échange de leur travail. Ces réunions sont complétées par des entretiens individuels, l’occasion de quelques promotions arbitraires pour les uns, de menaces à peine dissimulées contre les autres. Objectif : semer le trouble, diviser les ouvriers et les monter contre les syndicats hostiles. Mais les travailleurs ne sont pas dupes, décidés à refuser ce chantage inacceptable.
Jurisprudence General Motors
En ce 13 septembre, le référendum n’est pas encore voté, mais on sait déjà ce qui attend les ouvriers. Car il y a des précédents. À Continental Clairoix, il y a deux ans et dans des conditions semblables, les organisations syndicales avaient accepté d’augmenter la durée du travail. Avant d’écoper d’un sacré retour de bâton : 1 150 licenciements. Le début d’une lutte intense, qui a marqué les esprits. Et qui a permis à ceux qui l’ont menée de voir reconnaître un minimum garanti pour les primes de licenciements. Pas grand chose, peut-être. Mais les travailleurs en lutte ont, en tout cas, conservé leur dignité : c’est déjà beaucoup. Ils se battent d’ailleurs toujours aujourd’hui, cette fois pour faire appliquer l’accord que la direction à signé, mais qu’elle cherche - encore - à contourner.
Et puis, surtout, il y a General Motors. Tout proche, tout frais. En 2008, l’usine avait été vendue à une structure fantôme, chargée de liquider les indésirables. Au milieu de l’été 2010, l’administration du site a convoqué un référendum : la réintégration au sein de General Motors était conditionnée à la baisse de 10 % du coût de la main d’œuvre, à un gel des salaires pendant deux ans et à la suppression de l’intéressement jusqu’en 2013. Un plan qui a été approuvé - pas de gaité de cœur, on s’en doute. Seule à n’avoir pas signé, la CGT a affirmé qu’elle ne ferait rien pour contester les termes de l’accord.
La paix sociale achetée, l’usine reprise par General Motors pour une bouchée de pain et les salaires diminué de 10 % : il restait au groupe à proclamer ses confortables bénéfices. Ce qu’il a fait en août, annonçant une hausse consécutive des profits depuis trois mois, avec un record de 1,4 milliards pour juillet. Le plus tragique, c’est que le patron peut toujours arguer : c’est vous qui avez accepté, je ne voudrais pas m’opposer à votre volonté... On ne saurait mieux briser une lutte sociale qu’en rendant ses propres acteurs responsables de sa destruction.
Les syndicats contre la « démocratie » ?
L’ensemble de la manœuvre ne repose pourtant sur rien, sinon une croyance savamment entretenue par la direction. Ce qui est appelé « référendum » n’est qu’une consultation facultative prenant la place du dialogue social. Et aucun accord ne peut être mis en œuvre sans la signature des syndicats, seuls dépositaires légaux pour signer des accords d’entreprise.
Chez General Motors, la CGT n’a pas pu s’opposer au plan, car minoritaire. Mais on ne les aura pas deux fois : à Continental, CGT et CFDT mènent la bataille ensemble. Tous deux font front sur une position claire : boycott de ce référendum qui ne vaut rien. Parce qu’il « n’y a rien de démocratique dans un vote où l’on pointe le pistolet de l’emploi sur la tempe ».
Ils en sont là, ce 13 septembre. Ouvriers en colère, sans illusions mais la rage au poing. Ouria Tounes, déléguée CFDT de l’usine de Foix, prend ainsi la parole : « Ce travail à la chaine, avec des horaires de jour, de nuit comme de week-end, entraine une destruction physique et un abrutissement intellectuel. On le sait, on l’accepte. On accepte les bruits en continu, la chaleur, le stress, c’est là que se jouent les gains de productivité. » Avant de conclure : « Le profit que fait notre entreprise est le fruit de notre chair et de notre sang. » Ovation méritée.
Le meeting fini, les présents évoquent, avec un sourire nostalgique, cette effervescence vécue il y a deux ans, quand les Contis allaient voir les Goodyear à Amiens, quand on séquestrait des patrons, quand on bloquait le périphérique. Pas un triomphe, alors, mais des victoires (un peu) réelles. Avant que le souffle ne retombe. Jusqu’à aujourd’hui.
Épilogue … ça ne fait que commencer
Samedi 2 octobre, manifestation pour les retraites. À l’avant du cortège, les ouvriers de Continental, Molex et Freescale, sous la même banderole. Les Contis présents ne reviennent même pas sur les chiffres du référendum - 52 % de oui selon la direction, 53 % de « non + abstention » selon les syndicats. « La seule chose importante est que le référendum n’a pas valeur d’accord : aucun syndicat n’a signé pour le moment, la CGT et la CFDT se sont engagées à s’y opposer. Donc, rien n’a bougé », me résume t-on. Avant d’ajouter, avec le slogan « grève générale jusqu’au retrait total » comme arrière-fond sonore : « On est prêts pour les prochaines attaques de la direction, on est prêts à se défendre et à se battre. »
Ils étaient 125 000 dans le cortège, ce jour-là. Une semaine plus tard se tenait la plus grosse manifestation toulousaine depuis les grandes grèves de 1995. Tant qu’il y a du prolo, il y a de l’espoir.
Bonus : Grégoire a aussi réalisé des reportages audio sur les dernières manifestations toulousaines. À écouter :
Quant à son reportage sur la manifestation du 12 octobre, il peut se télécharger ICI.