mercredi 30 juin 2010
Vers le papier ?
posté à 16h09, par
42 commentaires
C’est vrai, ça fait un moment qu’on ne vous a plus parlé de notre projet de passage au papier. Non que les choses n’avancent pas (ça se précise, même), mais plutôt parce qu’on ne trouve pas toujours l’angle approprié. En attendant des chroniques plus « techniques », centrées sur des questions concrètes, plongée sur notre (absence de) ligne éditoriale, sac de nœuds, voire de rhizomes.
Une chronique bimensuelle consacrée au passage papier, voilà ce qu’on annonçait, fiérots (ici). La vérité, toute la vérité sur l’affaire Article11 Vs. papier, les bas-fonds, les ragots, la cuisine et ses fourneaux, accès backstage au crew A.11 (coke et petites pépées) tous les quinze jours, c’était promis. Pas si simple, on s’en est vite rendus compte. Les choses avancent, certes, plutôt pas mal d’ailleurs1. Mais pour ce qui est de livrer une chronique régulière sur le sujet…
L’idée de ces chroniques de presse pas pressées était de rendre la chose instructive, de problématiser, de vous immerger dans nos réflexions, en affinant notre approche par la même occasion. Mais voilà : ce n’est pas toujours passionnant. Nos discussions sur le format, par exemple, liées au coût d’impression (accepter de raboter un peu la taille prévue au départ nous permettrait des économies marquées ; on penchait au début pour un format légèrement supérieur au tabloïd, ce sera finalement sans doute légèrement inférieur), sont essentielles mais pas très sexy. Itou pour le questionnement sur les couleurs (après être passés par tous les stades, quadri, puis noir & blanc, puis quadri et bicho, puis bichro et noir & blanc, argh… on a finalement opté pour du « tout bichro » ; cochon qui s’en dédit). Ou concernant notre réflexion sur la diffusion et les abonnements.
Bref, on reviendra sur ces questions ; mais, rien ne presse. En attendant, il y a un aspect de notre réflexion qui mérite surement d’être précisé, pour que les choses soient bien claires ; il s’agit notre (absence de) ligne éditoriale.
C’est une question qui revient souvent quand on évoque le projet de passage au papier. Quelle sera votre ligne éditoriale ? Généralement, on ne sait pas trop quoi répondre. En tout cas, pas précisément. On balance des généralités vaseuses, on botte en touche (« Top-secret, l’ami(e) tu sais que c’est, l’espionnage industriel… »), on renvoie ça à plus tard (« Oh, ça se décantera en temps voulu, t’excites pas ») ou bien – si c’est fin de soirée – on fait les bravaches éthyliques (« La dynamite politique et l’arsenic culturel, voilà notre ligne »). Bref, on n’a pas de réponse toute faite, de loin.
Ça pourrait apparaître comme un point faible/noir. Possible. Pas sûr. En fait, il s’avère qu’on ne s’est jamais vraiment posés la question, parce que notre démarche nous semble évidente, qu’à nos yeux elle coule de source. Depuis bientôt deux ans que le site existe, on n’a jamais cherché à définir une ligne éditoriale stricte. À poser une approche indépassable. Chaque jour ou presque, la question se pose, savoir si un billet est proche de ce dont on veut parler, de notre démarche et de notre ton, de ce qu’on ressent (confusément) comme Article11ien. On en parle beaucoup, au cas par cas. Parfois à deux. Parfois à plus. On est pas toujours d’accord, ça grince un peu, mais… on débouche immanquablement sur une réponse, aux forceps. De là à la définir, cette démarche, à trouver une ligne directrice que l’on pourrait graver dans le marbre, dessiner avec précision, il y a un gouffre. Qu’on ne franchira pas.
En fait, il y a de nombreux éléments de la future version papier que l’on connait déjà. On sait qu’il y aura de la place pour un long entretien, pour un dossier/enquête de quelques pages, pour des chroniques diverses, pour une approche graphique originale, pour des sujets inattendus et des vitupérations postillonnantes. Mais placer tout cela sous le patronage d’une ligne intangible, rigoureuse, on n’en voit pas l’intérêt.
Et même : définir rigoureusement, pour nous, ça sonne un peu comme enfermer. S’enferrer dans une certitude. On ne veut pas de certitudes, on n’a pas cette prétention. Faillibles, on l’est, c’est sûr. Capables d’évoluer, aussi, heureusement. Pour certains, ça sonnera comme une abdication, un manque de sérieux, la preuve de notre dilettantisme. Mouais. Mais non. Comme disait Tristan Tzara : « Je suis contre les systèmes : le plus acceptable des systèmes est celui de n’en avoir aucun. »
Si vraiment il faut trouver une ligne, alors ce sera un entrecroisement, un bordel de ligne, un Mondrian canardesque. Article11 sera rhizome ou ne sera pas. Du lierre de presse. Un chardon bordélique empiétant dans toutes les directions, un champ d’orties imprimées. Parce que si on ne sait pas ce qu’on veut avec certitude, on sait ce qu’on ne veut pas : on ne veut pas de drapeaux, de bannières, de compromissions pubesques ou politiques, de plagiat de ce qui existe, de mollesse, de tristesse. On ne veut pas faire un journal qui ne bande pas, qui s’avance avec des certitudes et n’en démord pas, qui manque d’ambition, qui s’la pète, qui compromise. On ne veut pas copier un modèle, se revendiquer d’un seul héritage, être uniquement militant, ne pas être militant. On ne veut pas travailler avec des gens qui ne soient pas amis ou camarades. On ne veut pas s’enfermer dans une grille de lecture, dans une cage théorique. Et si on va fouiner dans nos références, elles sont si diverses que le bordel s’intensifie : de Sid Vicious à Jules Vallès, de Bukowski à Raymond la Science, de Rosa Luxemburg aux Freak Brothers, de Desproges à Fela Kuti, de Jane Sautière à Debord, Nan Goldin ou James Ensor. Sacré bordel. Bordel sacré.
D’ailleurs, ça rejoint aussi notre ancrage politique. Basiquement, on se réclamerait d’un anarchisme joyeux et vindicatif. Mais, à bien y regarder, les contradictions pleuvent. Des anars qui s’appellent Article11 (ça fait un peu légaliste, quand même2) ? Qui vouent un respect certain à l’approche politique de gens beaucoup plus républicains (la liste est longue) ? Qui ne batifolent pas des masses en terre théorique ? Ça la fout mal… Certains trouveront cela inconséquent. Tant mieux. On est même d’accord tant on espère qu’il y en aura beaucoup, des contributeurs dont les convictions divergent3. Pas question de se JosephDjougachviliser...
La question s’est aussi parfois posée de savoir à qui on allait s’adresser. Quels lecteurs viser et comment les toucher ? Comment définir les gens susceptibles d’être intéressés par notre canard ? Les cercles militants ? Les maisons de retraite (puisqu’il s’est avéré que notre lectorat webien n’était pas forcément de première jeunesse) ? Les parlementaires ? Mhhh… Question insoluble. Et stupide. Quel intérêt de chercher à définir qui nous lira ? Pourquoi pas une étude de marché, tant qu’on y est ? Au final, on fera tout pour rester fidèles à notre approche (in perfidia & curiosita veritas), à nos enthousiasmes, à nos dégoûts, en les présentant de la manière la plus aboutie possible. Si on s’y tient, si on ne lâche rien et si on accepte de galérer comme des castors sans incisives pour concilier vie professionnelle rémunératrice et Article11 bénévole, alors les lecteurs éventuels sauront bien nous trouver, nous rencontrer, voire nous soutenir. Ou pas… En tout cas, on aura pour nous de ne pas nous être éloignés de cette ligne directrice qui slalome comme une mite soûle et échappe à toute définition. Avec, évidemment, le pinard comme fil d’Ariane.
1 Si bien que l’éventualité d’une sortie pour fin septembre se précise.
2 À la base, le nom est issu de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme, qui prévoit la liberté d’expression.
3 Ceci dit, il y a des limites. Ce n’est pas parce qu’on a un infiltré à l’UMP qu’on va ouvrir nos rangs à ses camarades temporaires, ou approchant.