dimanche 10 août 2008
Littérature
posté à 11h44, par
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Rien de mieux que d’étudier l’histoire par le petit bout de la lorgnette, de la détricoter au plus petit dénominateur commun, de l’autopsier comme sur une table de dissection. C’est ce qu’a fait l’historien Allen avec « Une petite ville nazie », étude de la montée du nazisme dans un gros bourg de Basse-Saxe. A lire, afin que vous sachiez comment ça marche si l’histoire décidait de repasser les plats…
Héhé, encore un bon titre, hein ? Sauf que celui-là, il est pas de moi. Il est de William Sheridan Allen. Bon, pas de notices biographiques, internet est fait pour ça. Autonomie et demerden sie sich.
Le livre :
Ce petit bijou de décorticage méticuleux me rappelle mon grand-père s’attaquant à une crevette au couteau et à la fourchette pour ne pas avoir les doigts qui puent. Sauf que les couverts d’Allen sont une méthode sociologique irréprochable et une chronologie rigoureusement analysée.
Présentation de la crevette :
La crevette c’est la vie d’une petite ville de Basse-Saxe entre 1930 et 1935, Thalburg dans le livre, Northeim en réalité (Der Spiegel a vendu la mèche). Je les entend déjà, les cris outrés, genre : « Hou ! C’est nul comme période, il ne se passe rien… en plus dans une ville de ploucs ! ». Et bien non, triples cons, c’est vachement bien au contraire, ça permet d’étudier l’ascension délirante du nazisme dans une petite ville ordinaire.
De quoi s’est-il servi pour son étude, ce brave Allen ? De sources de première bourre, pour l’essentiel : une étude quasi exhaustive des périodiques de l’époque (surtout locaux) et des interviews réalisées par cézigues. Accessoirement, le livre a été réalisé au début des années 60’s, les mémoires sont donc encore fraîches et pleines. La crevette gigote encore. Et Allen déjoue assez bien l’inévitable déformation de l’histoire par ses acteurs.
Le coeur du livre, c’est de décrire aussi fidèlement que possible l’accession des nazis au pouvoir et les premières années du troisième Reich. Soit l’annexion tentaculaire et inexorable des institutions et la mise en place du régime totalitaire. Et bien, les loulous ça fait froid dans le dos. Pourquoi ? D’abord parce-qu’à la lecture du livre, je me suis dit : « Putain, pas de bol, les teutons… ».
En fait, si on fait abstraction du contexte socio-historico-culturelle (Traité de Versailles, mysticisme identitaire, crise économique, etc.), le mécanisme de la prise de pouvoir en lui même est parfait. Là où je veux en venir, c’est qu’en France ou dans n’importe quel autre pays européen, ça aurait été kif-kif : les nazis seraient tranquillement devenus les maîtres.
Autopsie de la crevette :
Il y a un point rapide sur l’histoire de la ville, histoire de poser le décor. Ensuite, Allen commence à trifouiller dans la bête à petits coups de scalpels. Autant dire qu’au début le nazisme c’est keud : le Stahlhelm, parti nationaliste des anciens combatttants, est infiniment plus puissant et représentatif. Et puis le gros morceau, politiquement parlant, c’est le SPD, social-démocrate en pratique, révolutionnaire en théorie. C’est le parti des travailleurs par excellence, mais qui en rajoute un peu pour effrayer le bourgeois (pas trop dur après la révolution spartakiste). C’est surtout le parti de la République de Weimar : difficile d’être au pouvoir en démocratie et de chanter la révolution au premier défilé venu…
Côté nazi, le parti est à peu près centralisé, mais laisse une marge de manoeuvre totale en matière de propagande régionale. A Northeim, il regroupe une bande de bras cassés, mais pas seulement : il y a aussi des frustrés, des névropathes, des alcoolos et des aristocrates aigris. Pourtant, ils sont d’une efficacité redoutable en matière de propagande. Doux Jésus, est-ce possible ?
Et bien oui : une feuille de chou locale ignoble, Hört Hört, qui assène des dégueulasseries diffamatoires à tour de pages (quelle que soit la rumeur, il en reste toujours quelque chose…), plus une bande d’excités qui se débrouille pour rameuter tous les bouseux du coin pour avoir l’air nombreux ; en assaisonnement, un flux tendu de manifestations sportives, pseudo-historiques ou païennes. C’est un peu l’escroquerie du siècle avec une bonne part de chance. A partir de rien, les nazis réussissent à occuper l’espace public et à se poser comme le principal rempart face au socialisme. Le coup de pouce du destin, c’est la crise : avec une population plus fonctionnaire que la moyenne, donc peu dépendante des industries, la récession met longtemps à toucher Northeim. Ça fait gigoter les cremaster dans la longueur (le petit muscle qui se rétracte dans les testicules quand on a peur). Et puis ça arrive d’un coup… Licenciements en masse, crise, famine, faillite…
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce ne sont pas les ouvriers ou les employés licenciés qui portent les nazis au pouvoir. Pour eux, malgré la crise, le socialisme reste la seule solution. Ce sont tous les autres, ceux qui ont un travail et qui voient le pays sombrer, ce sont tous ceux qui ne sont pas touchés par la récession, qui ont simplement les intestins dévorés par la trouille. Eux, ils votent nazi. Portent de beaux uniformes, font de belles fêtes, organisent des rencontres sportives, se montrent de plus en plus nombreux et bien organisés.
En plus, les nazis font bien attention à être propret aux entournures pour ne pas choquer les bons bourgeois de la ville : comme les juifs sont très bien intégrés et pas nombreux, ils s’écrasent un temps sur ce chapitre. Ils n’insistent pas trop non plus sur le paganisme mystique, vu que la population est très largement protestante et pratiquante. De toute façon, une bonne partie des électeurs du NSDAP n’ont qu’une idée très vague de son programme. Ils ne voient qu’une chose : au long de ces cinq années, de 1930 à 1935 et tandis qu’un climat de violence se développe, les nazis font forte impression en se coltinant avec le service d’ordre du SPD. Le bourgeois se frotte les mains, persuadés que les nazis vont faire leur affaire aux gauchos et qu’ensuite ils disparaîtront comme ils sont venus, sans laisser de trace.
Dans cette sombre affaire, le SPD apparaît comme l’un des principaux fautifs. Il a une organisation armée prête à réagir en cas de prise du pouvoir par les nazis, selon une procédure bien rôdée, mais le jour dit, le mot d’ordre ne vient pas, ils ne réagissent pas et se font désarmer comme des gamins. Faut dire qu’ils avaient plus prévus un coup d’état qu’une victoire aux élections.
Avec ce scrutin, le totalitarisme est en marche, mais toujours dans le strict respect des lois, au moins en apparence. C’est rapide et progressif, pas de grandes réformes mais de multiples coups de dents qui déchiquètent la liberté comme des piranhas sur une vache (sept minutes pour tout bouffer les petits gars, sept minutes). En gros, la démocratie roule du cul, ne se rend compte de rien et finit sodomisée avec une poignée de gravier… Rétorsion sévère contre les leaders socialistes, interdiction des partis de gauche puis de tous les autres, brimades quotidiennes contre les opposants de tous poils…
Comme c’est la crise, c’est chacun son beefsteak. Même si rapidement, des anciens alliés des nazis se disent : quand même, non, non, non, ce n’est pas possible, ils vont trop loin. Certains se plaignent, mais la réaction est immédiate : une paire de claques et au lit (c’est un doux euphémisme…). Rapidement, plus personne ne moufte, la stratégie de l’exemple a payé. En plus, les nazis profitent des effets de réformes entreprises auparavant et apparaissent comme des gestionnaires sérieux, qui ont sauvé l’économie de la région. Ils font du social à préférence national. Il y a de nouveau du pain, le péquin moyen se fout du reste...
Digestion de la crevette :
Finalement, c’est juste l’éternelle histoire du « comment ça a été possible ? ». D’un coup, ça devient réaliste. On commence même à sacrément se méfier des nains mégalomanes. Mais… stop, je m’interdis de recourir à une comparaison aussi galvaudée.
Pour moi, la conclusion, c’est que la peur et l’individualisme ont fait la courte échelle au nain moustachu. Ne nous y trompons pas, l’individualisme est une valeur du confort intellectuel et matériel bourgeois. Moi, ce que j’en dis, c’est que la logique de bande et la reconstruction de solidarités de groupe sont les solutions pour ne pas se faire entuber par le système, pour trouver des feintes et résister.
Allez, comme digestif, une petite citation de Jefferson qui était peut-être un connard, j’en sais rien (j’étais pas là), mais qui avait quand même sacrément le sens de la formule :
« Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour te sentir en sécurité, tu ne mérites ni l’une ni l’autre. »
NB : Spéciale dédicace à ce petit village de Champagne, tout en pierre que c’est tellement joli qu’on se croirait à Eurodisney, à ses vignerons racistes, et à son gros « SS » gravé sur un mur à l’entrée du village. Je l’ai dit, je le redit : je vous encule. A titre informatif, si un jour j’en aie les moyens, (vous avez de la chance, ça ne risque rien…), je vous ferai déverser un canadair de lisier sur la gueule. L’aurez pas volé. Comme ça vous aurez à l’extérieur l’odeur que vous avez à l’intérieur. Et votre pinard n’en sera que meilleur.