vendredi 20 février 2009
Le Cri du Gonze
posté à 09h24, par
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Pays en guerre - juste - contre le terrorisme ou honteuse tyrannie ? Pour nos médias et dirigeants occidentaux, la cause est entendue : le président colombien Alvaro Uribe livre un courageux combat pour le « bien » dans un pays livré aux mains de dangereux guérilleros. Comme la réalité semble un tantinet (…) éloignée de ce constat, retour argumenté sur des vérités qu’on entend trop peu.
Il y a un pays d’Amérique du Sud qui, bizarrement, ne s’attire pas le même genre de regard hautain et désapprobateur dans nos médias hexagonaux, que - au hasard - la Bolivie de Morales ou le Vénézuela de Chavez. Un pays, qui, à en croire nos fiers journalistes d’investigation, serait en voie de pacification, le gouvernement affrontant courageusement de dangereux terroristes pour sauver son peuple. Un régime de rêve, quoi, comparé à ceux qui l’entourent, comme l’Equateur de Correa, ce dangereux bolchevique.
Tu auras vite deviné, ami démocrate, que je veux parler de la Colombie d’Uribe, pays de cocagne des vrais amis du suffrage universel et des prolétaires heureux, car débarrassés de la racaille guérillaresque.
Ceci dit, la perception collective déviant un chouïa de la réalité, il y a quelques points - oh, presque rien, des broutilles… - sur lesquels il semble nécessaire de revenir.
Depuis sa première élection en 2002, Uribe applique avec conscience un programme intitulé « Démocratie sécuritaire », mélange sanglant d’autoritarisme sécuritaire, de manipulation médiatique et de répression tout azimut. L’« ex »-paramilitaire, arrivé au pouvoir suite à ses promesses de pacifier une Colombie certes bien mal en point, a aggravé les tensions, réprimé très violemment toute forme d’opposition et imposé un statu-quo quasi totalitaire dans les médias. D’un champ de ruines branlantes, il a fait un tas de gravas sanglants, sous les applaudissements des bonnes consciences européennes, trop occupées à célébrer Sainte Betancourt et son Barnum Soubiresque pour remarquer qu’elle n’était qu’un pion parmi des millions.
La Para-mise au pas de l’opposition
Dans le numéro de février du Monde Diplomatique, il y a un excellent article d’une certaine Paola Ramirez Orozco, intitulé « Tous les Colombiens ne s’appellent pas Ingrid » et qui résume parfaitement l’actuel démantèlement par la force de toute voix critique. L’article raconte ainsi comment, en 2008, deux manifestations importantes agitèrent la Colombie. La première, organisée par le pouvoir et soutenue par les médias (dont l’immense majorité sont acquis à Uribe), eut lieu le 28 novembre, avec comme seul message : « Halte à la guérilla » ; sur place, des caméras complaisantes venues du monde entier pour diffuser le message gouvernemental : le peuple soutient Uribe qui combat les terroristes.
La deuxième, plus confidentielle, sans caméras, eut lieu le 6 mars 2008. Il s’agissait cette fois-ci de dénoncer les violences des deux bords, étatiques comme guérillaresques. De mettre dans le même panier paramilitaires au pouvoir et guérilleros corrompus. Un geste de rébellion, en quelque sorte. La réaction n’a pas tardé : dans la semaine qui suivit, six des organisateurs de la marche furent assassinés. Dans le mois, c’est dix syndicalistes qui subirent le même sort.
Aux dires de l’opposition, l’événement est tout sauf exceptionnel dans une Colombie livrée aux para-militaires. Il est même monnaie courante depuis l’élection d’Uribe : fosses communes, disparitions en masse, manifestants massacrés, syndicalistes torturés… les cas s’accumulent dans l’indifférence générale. Ce que rappelait Nicolas Joxe dans une tribune du Monde en janvier 2008 :
« Leaders populaires, syndicalistes, juges, défenseurs des droits de l’homme, journalistes : les paramilitaires se sont attaqués à toute forme d’opposition politique ou sociale avec une cruauté inouïe. La presse colombienne a révélé comment les chefs paramilitaires ont généralisé la torture en formant leurs hommes à démembrer vivantes leurs victimes. »
L’horreur pure. Et pourtant, personne au sein de la communauté internationale ne s’en émeut. Uribe a fait allégeance au néo-capitalisme, il n’est pas question de bousculer un des uniques pions conservateurs de la région. Et tant pis si Uribe ne s’est pas contenté de reconnaître et favoriser les sacro-saintes lois du marché, mais s’est également et depuis belle lurette mis au service de l’ultra droite colombienne et de ses para-militaires, groupes de choc spécialisés dans les expropriations violentes, la torture et autres joyeusetés. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Uribe, 473 syndicalistes ont ainsi été assassinés.
Les chiffres concernant les expropriations sont également révélateurs : des quatre millions de personne déplacées de force depuis 1985, trois l’ont été pendant le gouvernement d’Uribe (depuis 2002, donc). L’affaire est simple : il s’agit de favoriser les grands propriétaires, narco-trafiquants proches des para (en 2007, les zones de plantation de coca ont été étirées de 27%, signe assez tangible que les narco-para prospèrent grassement sous l’ère Uribe) ou industriels en mal de terres vierges. Des armées de gros bras viennent finaliser la chose, pour le bien de l’économie.
Et cette régression s’accompagne d’une politique anti-indigène ultra-violente. Exemple entre mille, cité par le Diplo : le 12 octobre 2008, 40 000 indigènes se réunissent pour défendre leurs droits chaque jour plus grignotés. L’armée intervient : quatre morts et une centaine de blessés.
Autres chiffres benoîtement oubliés par des journalistes distraits (personne n’est parfait), ceux concernant la situation économique : avec 70% de pauvres et un creusement exponentiel des inégalités (plus le fait que sur 19 millions de Colombiens, seuls cinq disposent d’une forme de couverture sociale), le pays se retrouve sur des rails assez branlants…
De quoi Ingrid est-elle le prétexte ? Les FARC à toutes les sauces
Si Uribe parvient à rester relativement populaire en Colombie, si le peuple ne s’est pas encore levé en masse pour mettre fin à son règne despotique (Uribe vient de s’octroyer le droit de se présenter une troisième fois à la présidentielle, par voie léglislative1. Toujours selon le Diplo, il a pour cela acheté la voie d’une député du Congrès, Yidis Medina), c’est que l’horrible sait jouer mieux que personne de la carte anti-terroriste. Toute manifestation de l’opposition, toute velléité de critique étant considérée comme ralliement aux FARC, il a beau jeu de se débarrasser de l’opposition tout en se targuant de vaincre le terrorisme.
L’épouvantail FARC est l’arme numéro un d’Uribe. Si la guérilla en question se montre un peu active, elle n’en reste pas moins fortement diminuée, voire sous perfusion. Et les rares libération d’otage (il en reste 22) ne ravissent pas vraiment le président. En témoigne sa réaction lors de la récente libération de six prisonniers il y a quelques jours, son premier geste étant de traiter les négociateurs et le personnel de la Croix-Rouge d’« Intellectuels au service des FARC » (voir cet article du Grand Soir pour plus de détails).
Comme l’affirme le syndicaliste Luciano Sanin cité par Paola Ramirez Orozco : « Sans les FARC, sa politique n’aurait aucun sens. Il doit maintenir la menace terroriste pour justifier ses mesures de »démocratie sécuritaire« , les coûts militaires (6 % du PIB) et la hausse des inégalités sociales. »
Dans ces conditions, l’enlèvement d’Ingrid Betancourt fut un cadeau du ciel pour Uribe. Ultra-médiatisé, ultra-larmoyant, l’événement a permis de placer sa pseudo-lutte au centre de l’attention médiatique internationale. Et de donner au président une stature d’héros anti-terroriste. Comment se positionner contre Uribe sans tout de suite être traité de salopard de bourreau tortionnaire d’anges blonds martyrisés ? Comme l’affirme l’écrivaine colombienne Laura Restrepo2 :
« Tout le temps qu’Ingrid était en captivité, il n’y avait qu’une solution possible : exiger sa libération immédiate ; c’est une infamie de maintenir séquestrée une personne pendant six ans, loin de ses enfants, c’est une torture indescriptible. Mais maintenant qu’Ingrid est libre, je peux te dire que la politique d’Ingrid ne m’a jamais plu, ni avant ni après son enlèvement (…). Et si c’est bienvenu que le monde s’intéresse au sort des prisonniers colombiens - parce qu’il y a des gens qui vivent un véritable enfer dans la jungle - ce côté étalage de cour, ces défilés de mode, concours d’élégance, d’embrassades avec les présidents et le pape, d’invocations à Dieu (…), a finalement impliqué en contrepartie un grand silence, parce qu’il y a tous ceux séquestrés par les paramilitaires dont on ne parle pas, les déplacements forcés qui touchent plusieurs générations, l’avancée d’une ultra-droite fasciste. Ça m’atterre un peu - même si peut être ce n’était pas la volonté d’Ingrid - que tout ça ait seulement servi à donner un aval de plus à Uribe. »
Si Betancourt a donc servi (involontairement, sans doute) au lance-roquette la soupe uribienne, il est un autre otage libéré récemment, l’ex-gouverneur du Meta, Alan Jara, qui s’est permis de critiquer l’action d’Uribe, déclarant à la BBC : « Je pense que le président Uribe n’a rien fait pour notre liberté". On en a bizarrement assez peu entendu parler (syndrome de Stockholm, c’est évident)…
Et s’il ne s’agit pas de dresser des lauriers aux FARC, beaucoup plus proches du banditisme organisé que de la guérilla, il faut pointer une tactique de manipulation certes éculée mais toujours aussi efficace : tout opposant à l’ordre des choses est un dangereux terroriste. C’est encore une fois Laure Restrepo qui résume le mieux les choses :
« Les FARC me paraissent une guérilla détestable et beaucoup trop impliquée dans les affaires pour avoir la capacité morale ou stratégique de gouverner. Les enlèvements sont un commerce qui a rapporté des millions de dollars aux FARC. Et il me semble qu’une bonne part des problèmes de la Colombie ont suivi l’incapacité de la gauche à condamner ces activités. Mais, dans le même temps, nous ne pouvons pas accepter que la campagne contre les enlèvements signifie qu’Uribe puisse nous désigner comme ennemis au même titre que les FARC. »
A l’arrivée, le tour de passe-passe d’Uribe fonctionne à merveille. Sa visite en France en 2008 a ainsi été l’occasion de réaffirmer la justesse de sa cause aux yeux d’un hexagone reconnaissant. Comme l’affirme cet article (très recommandé) du Grand Soir, la couverture médiatique de l’événement a encore une fois vu le triomphe de ce « Monde à l’envers » que pointait l’écrivain uruguayen Roberto Galleano. Quand les régimes démocrates et progressistes sont trainés dans la boue et les régimes assassins encensés, quelque chose ne tourne pas rond au royaume des médias. Mais ça, on le savait déjà…
Bonus Article 11 : la rédaction - qui ne recule devant rien pour appâter le chaland - vous propose un petit jeu. Pour participer, rien de plus simple, envoyez un chèque timbré à l’amicale des amis de la démocratie uribienne avec la réponse écrite bien visiblement. Un badge « j’aime pas Adolf Chavez » sera envoyé par retour de courrier à ceux qui résolveront l’énigme à suivre.
Question : sur la photo qui suit, qui est le gros méchant anti-démocratique ?
a. Le basané avec une chemise rouge et des faux air de mec qui se verrait bien au pouvoir pendant toute sa vie et tant pis si il faut écraser les masses d’un talon de fer caudillonesque pour cela.
b. L’homme élégant quasi sosie de Jean-Luc Delarue - ce saint homme - descendu des cieux pour sauver son peuple des méchants terroristes.