samedi 30 octobre 2010
Le Cri du Gonze
posté à 21h10, par
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Jerry Lee Lewis, Elvis, Carl Perkins, Eddie Cochran... Marre de se cantonner aux mêmes dès lors qu’on parle du rock & roll des débuts. Si les aînés made in US ont servi d’étincelle, ils ont vite été suivis par une descendance remuante, y compris hors du monde anglo-saxon. La preuve avec Adriano Celentano, rocker italien, roi du déhanchement sauce Dolce Vita et... précurseur du rap.
Une scène mythique de La Dolce Vita, über-classique de Fellini (1960). Anita Ekberg - celle-là même qui, plus tard dans le film, s’offre une célèbre baignade dans la romaine fontaine de Trevi - y bondit comme un cabri lumineux, entre nunuche gloussante et naïade de l’espace. Hypnotique. En arrière fond, un groupe plus late fifties tu meurs frénétise tout ce qu’il peut sur une reprise de « Ready Teddy », morceaurendu populaire par le splendide Little Richard. Le son : échelle de l’image. Sans l’électricité sonore, jamais Anita ne tournoierait comme ça, hors gravitation ; elle se contenterait de danser. Platement. Là, non. Elle vole.
Et si Anita se sent pousser des ailes, Adriano Celentano, chanteur épileptique, y est pour beaucoup. Encore tout jeunot (22 ans), le Milanais fait tellement penser à l’Elvis des débuts (coiffure en moins) qu’on rechigne à l’imaginer originaire de la Botte. Memphis, ok. Ou bien, Londres. Mais pas Milan ou Rome. Un King en Italie ? Impossible. Et pourtant :
« 24 000 Baci » (1961) est la chanson qui a prouvé au monde que le célèbre cisaillement des gambettes à la Elvis n’était pas propriété uniquement anglo-saxonne. Que le rock tortillé était bien un langage universel, sautant allégrement les frontières pour s’imposer là où bon lui semblait. Contagion. En Italie comme ailleurs, une jeunesse d’après guerre s’emmerde royalement, conchie ce monde des adultes empêtré dans la culpabilité et l’ennui. Toute échappatoire est bonne à prendre, surtout si les croulants n’y comprennent rien. Les bourgeois ont les soirées chic et le glamour désabusé à la romaine (justement celui que décrit Fellini dans La Dolce Vita), les jeunes prolos ont le rock et son immédiateté furieuse. Du pain et des riffs.
Celentano s’est lancé très tôt dans le bain, dès les premiers coups de tonnerre. En 1956, il assiste à un concert de Bill « Rock around the clock » Haley, ce gros Monsieur un peu fade qui - magie - accoucha du tout premier morceau rock’n’roll, déclenchant lors de la tournée mondiale qui suivit des émeutes dans toutes les salles visitées. Banquettes arrachées, bastons, blousons noirs en extase, la totale. Au premier rang à Milan, Adriano prend des notes.
Peu après avoir assisté au passage de la Comète Haley, il fonde son premier groupe, les Rock Boys, singeant Jerry Lee Lewis et la désarticulation des gambettes à la sauce Elvis. Quelques premiers tubes pas toujours convaincants (« Cia ti diro » - 1959) et Celentano envoie ses 24 000 baisers claquer sur la joue de la Péninsule, et ailleurs1.
Pour le reste, il faut bien l’avouer : 90 % de la discographie de Celentano nage en eau nullarde. Paroles mièvres, mégalomanie à fleur de peau, pop-yéyé sucrée, les premiers tortillements se font plus lourds, moins convaincants. C’est surement en ça qu’Adriano se rapproche le plus d’Elvis : le génie a vite pâli. Enfin... pas tout à fait. Car il est un morceau tardif du dandy milanais qui, s’il date de 1973, reste infiniment réjouissant, presque autant que le sourire d’Audrey Hepburn cavalant en Vespa avec Gregory Peck2 : « Prisencolinensinainciusol », Ovni absolu, est le tout premier rap italien. Un concentré d’absurde sautillant aux paroles incompréhensibles, qui arracherait un sourire au plus neurasthénique des auditeurs suicidaires. Avec, cerise sur le déhanchement, une chorégraphie martiale à faire pâlir d’envie les plus fins tectonikiens contemporains. Respect :
Bonus - Quand le mirifique Mike Patton, accompagné de Zu, reprend Adriano Celentano :
1 La chanson sera moultement reprise, notamment par Johnny Yéyé. Le morceau fait aussi une apparition dans un des tous premiers films de Kusturica, Te souviens-tu de Dolly Bell. Extrait ici.