lundi 29 mars 2010
Le Charançon Libéré
posté à 17h06, par
51 commentaires
Deux poids deux mesures. D’un côté, le 27 mars, une manifestation gentillette et violette batifolant dans les rues de Paris sous le regard goguenard des forces de l’ordre. De l’autre, le lendemain, une manifestation anti-carcérale vite encerclée par les CRS et dont les participants finissent quasiment tous au commissariat pour des motifs inexistants. Une différence de traitement tout sauf anodine.
Il se tenait - tu es au courant - une prétendue « mobilisation nationale » ce 27 mars.
Manifestation bidon nommée No Sarkozy Day, à l’instigation de gens si affables politiquement qu’ils avaient bien pris soin de préciser - loin en amont - combien il ne saurait être question de piétiner les us démocratiques en exigeant le départ du squatteur de l’Élysée.
Note que ces blogueurs d’opéra et militants d’opérette étaient d’abord réunis par un semblable goût pour les choses marketing, usant tout autant du terme « peuple » que de celui de « buzz ».
Et qu’ils avaient lancé leur mouvement comme une multinationale le ferait d’un nouveau produit : mot d’ordre le plus large possible, choix d’un packaging sexy (le violet pour couleur de reconnaissance, des personnalités médiatiques pour parrains), Facebook à fond les ballons et partenariat noué avec Siné Hebdo1.
Las : la grande journée de soldes antisarkozystes n’a pas séduit le chaland.
Et les rayons violets sont restés bien déserts samedi, cortèges si maigrelets qu’ils en faisaient pitié - ce qui n’empêche pas le coordinateur de l’événement, Benjamin Balls, de pavoiser ridiculement : « Aujourd’hui nous étions dans les rues partout en France. Le 8 Mai on continue partout en France. »
Rien ne sert de trop tirer sur l’ambulance2.
Et je vais m’en tenir là sur le sujet.
Mais je voudrais que tu relèves ce passage du pompeux appel au No Sarkozy Day : « Mais ce président sans envergure, effrayé par le peuple, prend grand soin de le tenir à l’écart, muselant au besoin sa parole derrière des cordons de CRS. »
Et que nous nous gaussions de concert, tant il n’est guère de prétendue manifestation contestataire plus sympathique aux yeux du pouvoir que cette ridicule réunion de pubards en mal de slogans et de gentillets randonneurs que personne à l’Élysée n’envisagerait de « museler ».
Au contraire.
Il se trouve que - aux yeux des forces de l’ordre - tous les mouvements de protestations ne se valent pas.
Et je voudrais que tu notes l’incroyable sort fait à ceux qui ont participé à la manifestation anti-carcérale organisée hier, aux abords de la Santé.
Une réunion légalement déclarée et tout à fait paisible, dont les participants se sont pourtant à peu près tous fait embarquer, 60 d’entre eux ayant même été placés en garde-à-vue3.
Tu constateras que ces interpellations et séquestrations injustifiées - je te renvoie sur ce point au témoignage publié sur Indymedia Paris - valent très précieuse indication sur la façon dont le pouvoir entend traiter ceux qui portent une critique radicale de la société.
Avec la plus extrême sévérité.
Et en dehors de toute légalité.
Il ne se trouvera aucun média - j’en fais le pari - pour s’étonner et s’insurger qu’on traite ainsi, en un pays se disant démocratique, de banals manifestants.
Mais il y en aura peut-être pour s’en féliciter.
Je veux croire - ainsi - que les gratte-papiers de l’Union, titre de la presse quotidienne régionale paraissant en Champagne-Ardennes, sauraient comme personne se réjouir de cette vague massive d’arrestations, eux qui viennent de se livrer à la plus haineuse des campagnes médiatiques contre une mobilisation s’étant tenue samedi (oui, encore une…) en un bourg nommé Chauny.
Tu ne connais pas Chauny ?
Ce n’est pas plus mal : cette petite ville est devenue tristement symbolique, parce que les agressions racistes et les revendications nazillones s’y multiplient depuis un an.
À tel point qu’un collectif a décidé de réagir et d’organiser une manifestation antifasciste, histoire de montrer qu’il se trouve encore des résistants au nouvel ordre raciste.
C’était samedi, donc.
Et si la manifestation, qui a réuni 500 personnes, s’est déroulée aussi sereinement que possible, ce n’est pas à mettre au crédit de la presse locale ou de la gendarmerie.
La première avait multiplié, dans les jours précédents, les papiers alarmistes, évoquant « l’inquiétude qui règne en ville depuis quelques semaine » à propos de la manif et invitant les commerçants « à prendre leurs dispositions » avant l’arrivée des antifas, feignant de s’interroger pour mieux en rajouter le jour-même - « Que va-t-il vraiment se passer cet après-midi ? Mis à part une manifestation antifasciste présentée par ses organisateurs comme pacifique, personne ne le sait vraiment. » - et dramatisant à foison la situation :
Et si les commerçants sont inquiets, car en première ligne, la population l’est tout autant, se demandant à quoi va ressembler sa ville. À un camp retranché gardé par des gendarmes présents aux quatre coins de la cité ? À une ville morte puisque personne n’osera sortir dans le courant de l’après-midi ? Justement personne ne sait et c’est peut-être ça qui fait le plus peur. L’incertitude rend effectivement plus fébrile, plus méfiant.
Quant aux pandores, ils avaient su prendre l’exacte mesure du péril représenté par ces dangereux-empêcheurs-de-haïr-les-noirs-et-les-arabes-en-paix, mobilisant leurs troupes en nombre si important qu’il se murmure qu’une infime proportion de ces forces de l’ordre eusse suffi pour mettre au pas tous les nazillons du secteur et faire cesser la spirale des agressions racistes.
Les uniformes ont poussé le sens du devoir jusqu’à tester la sirène des pompiers du bourg, pour s’assurer qu’elle pourrait servir à prévenir les commerçants en cas de débordements : « Sans dévoiler l’organisation exacte, il a en outre précisé que les commerçants allaient disposer d’un moyen d’alerte d’urgence au cas où. Il s’agit tout simplement de la sirène de l’ex caserne des pompiers qui sera mise en route au cas où les choses tourneraient au vinaigre. Des essais ont d’ailleurs eu lieu hier matin. »
Mazette. Ça, c’est du professionnalisme !
De l’incroyable et mensonger remue-ménage fait autour de cette manifestation antifasciste, ainsi que de la répression qui a massivement frappé la manifestation anticarcérale, tu déduiras combien les temps s’annoncent durs pour ceux qui se revendiquent radicaux.
Et je ne peux que te conseiller fortement de désormais te parer de violet et de te convertir au plus débile des marketings politiques si tu ne veux pas goûter aux joies de la répression.
D’ailleurs : tu crois qu’il leur reste des tee-shirts, à Siné Hebdo ?
1 L’hebdomadaire a été jusqu’à mettre en vente une gamme spécifique de tee-shirts, facturés 10 € l’unité. Cette « boutique en ligne » qui était en lien sur le site du No Sarkozy Day - « Accédez à la Boutique en Ligne « Spécial No Sarkozy Day » (T-shirts, stickers) », peux-tu lire en bas de cette page - a disparu ce week-end, victime de l’échec flagrant de la manifestation… À moins que les jolis tee-shirts ne soient en rupture de stock ?
2 Tu noteras, Ami, que j’avais déjà donné mon sentiment sur le sujet il y a trois mois.
3 En vertu de l’article l222-14-2 du Code Pénal qui permet d’interpeller toute personne participant à une manifestation au cours de laquelle les forces de l’ordre considèrent que des dégradations ont été commises.