T’as beau être Ukrainien et avoir la pire tête de gibier de potence que le monde post-soviétique ait jamais connu, ça ne t’empêche pas de porter en toi une musique enthousiasmante et décapante. Juste, ça rend un peu plus compliqué tes possibilités d’expansion… Pas grave, finalement : c’est peut-être ça qui rend la chose si magique. Plongée foutraque dans la galaxie Воплі Відоплясова
Peut-on être Ukrainien et garder la patate ? La question mérite d’être posée. Sans manichéisme, sans faux-semblants. Coluche, en son temps, avait esquissé une réponse : Quoi qu’il arrive, même si le régime social est formidable, en Ukraine on se gèlera les couilles, et en Floride y fera beau. Puissamment pensé, mais un peu maigre pour se faire une idée définitive. Reste que certaines choses se savent, se sentent. Il est ainsi de notoriété publique que l’Ukrainien moyen aime le bortsch - un élément de réponse plutôt significatif. Misère. Et puis, le reste semble à l’avenant, coutumes glauques, traditions cheum et, surtout, acharnement historique. Quelqu’un peut-il me citer un pays auquel l’histoire aurait tricoté de tels habits funèbres1 ? Un pays traînant un imaginaire collectif comparable, tout de radioactivité, de famines, de rudes cosaques et de knout composé ? Peine perdue. L’Ukraine, au 20e siècle, c’est l’hallali, le Bortsch fait pays. De Tchernobyl aux grandes famines des années 1930, des nattes traîtresse de Ioula Timochenko à la moustache de Staline. Un champ de ruine puissamment déprimant, entre Kojak, Atomic-man et Beria. Tatie Wikipedia m’apprend d’ailleurs qu’en tant que centre nodal énergétique pour l’Europe de l’Est, le risque d’accident lié à une infrastructure énergétique reste élevé. Va donc arborer le sourire dans ces conditions.
Je pensais donc, légitimement, que l’Ukrainien moyen était lugubre et blafard, voire dangereux. A l’image du morphinomane Boulgakov ou du pingouinomane André Kourkov, pervers de l’Est. Qu’il portait en lui la tragédie d’un pays qui a tout de la Sibérie, mais sans pouvoir pavoiser avec sa culture2. Les danses folkloriques hideuses ne suffisent pas à te donner une contenance aux yeux du monde, itou pour les instruments de musique débiles3. Et puis, sans prévenir, grâce à un pote bien intentionné4, je suis tombé sur ça :
Avec « Tanzi 1989 » (Danse 1989 ?), Vopli Vidopliassova (Воплі Відоплясова en VO) balançait indubitablement mémé Ukraine dans les orties et le bébé soviétique avec l’eau du bain de sang. Tanzi ! Une décharge sautillante du plus bel effet, convulsions en bandoulière. Comme si on ressuscitait Kusturica et son No Smoking Orkestra pour l’exiler loin de ses Balkans tout en le castrant - enfin ! - de sa mégalomanie. Le tropisme ukrainien (langueur céréalière, complexe du borstch) en est si fortement battu en brèche que je sauterais dans le premier avion pour Kiev si ces crétins d’Islandais volcaniques ne foutaient pas la merde.
Quoi d’autre sur Воплі Відоплясова ? Eh bien, pour tout te dire, les informations en ma possession restent maigres. A part le fait que le groupe a vécu en France quelques années (la preuve ici), que leur nom vient d’un obscur roman de Dostoïevski, que leur premier album se nommait joliment De Lénine à Lennon (rha lovely) et que le groupe est censé avoir soutenu la Révolution Orange de ses beuglements, je ne sais pas grand chose des tarés en question. C’est presque mieux, non ? Au moins, mon jugement n’est pas pollué par des considérations malvenues. Et puis, musique et image parlent si limpidement d’elles-mêmes que je ne me hasarderai pas en vaines supputations. Le blond aux yeux psychotiques déverse sa classe épileptique, ses amis suivent gaillardement le mouvement. Et bastav.
Malgré tout, quelques précisions glanées au hasard d’errances cyber-éthiques permettent de compléter le tableau. Car il suffit d’une dizaine de minutes de clapotage en leur compagnie sur mémé Youtube pour comprendre que Воплі Відоплясова s’est toujours spécialisé dans le grand n’importe quoi flamboyant : qu’ils reprennent Hotel California des débilos Eagles (ici), singent Kurt pour un Unplugged in Kiev pas piqué des charançons ou adoptent live une approche plus punky-no wave-Halleluia, les tarés de Воплі Відоплясова ne défouraillent jamais dans la même direction. La marque des grands. Et puis, minute nostalgie (sors ton choirmou), j’ai dégringolé de mon tabouret Ikea en découvrant, pas plus tard qu’il y a cinq minutes, que le grandiose « Bartek » des VRP, si souvent écouté par ton serviteur alors adolescent, était en fait une coproduction Воплі Відоплясова. La pépite en question, qui n’a pas vieilli d’un kopeck :
Surtout, Воплі Відоплясова peut s’enorgueillir de deux trophées amplement mérités, conquis de haute lutte. Des sortes de Nobel made in Lémi, distinctions réservées aux sommités de chez sommité. Le premier décroché dans la catégorie Reprise d’ACDC la plus absurde. « Highway to Hell » version transat-tcherno-accordéon, ça a quasi plus de gueule que l’original (ce qui, avouons-le, n’est pas peu dire) :
Le second dans la catégorie Clip le plus hideux de la planète.« Buly Na Seli », que ça s’appelle, et je t’invite à observer de toutes tes mirettes, émerveillé, ce concentré de kitsch psychédélico-cosmico-rural. Воплі Відоплясова, mon amour, tu n’as jamais si bien porté ton nom. Rompez.