samedi 28 janvier 2012
Le Cri du Gonze
posté à 22h45, par
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Soudain, l’overdose. Blam. Trop de sujets mortifères sur A11, de papiers sérieux et lissés aux entournures, de plongées en eaux saumâtres. Pour quel résultat ? Peanuts : le monde reste inchangé. Du coup, virage à 180° : place aux envolées rock’n’roll et à l’esthétique psyché-lysergique. Le bonheur est dans la divagation. Pour s’en convaincre, qui d’autre que Kim Fowley ?
Prenez un Lou Reed encore frétillant et créateur, pas l’hydre molle contemporaine aux allures de flic patibulaire. Trempez ce Lou juvénile dans un grand bol de LSD liquide et laissez-le reposer pendant une dizaine d’heures en fredonnant doucement « Summer time here kitties / And it’s time to take a trip ». Retranchez quelques mesures de morbidité et de mégalomanie avare (le Lou n’est pas toujours tendre). Faites revenir le mélange obtenu dans une poêle mescalinante, avec quelques tranches de Burroughs et deux mesures de Bowie des grands jours. Saupoudrez de Phil Spector, des Sonics et d’un zeste de Père Ubu (littéraire et musical). Cuisez à feu d’enfer dans votre garage. Présentez le mélange obtenu sur fond sonore de guitares saturées et de ricanements. Servez bien frappadingue.
Plat de pacha, pas à dire. Ceci dit, la recette du Kim Fowley sauce psyché peut effrayer les novices en la matière : trop d’ingrédients, de mélanges étranges, d’épices carabinés... Un faux pas ou une surdose et c’est la chute : des invités qui tirent la gueule et restent planqués dans leur coin la tête entre les mains, en plein bad trip ; ou simplement dégoûtés par le mauvais goût de la mixture. Mais si le Kim Fowley est préparé à la perfection, son arôme grésillant et explosif envoutera les hôtes les plus exigeants, les plus prestigieux : ces gargouillants maraudeurs de Sonic Youth adoptèrent ainsi l’ingrédient « bubblegum » - ci-dessous - à leur sauce, bel hommage aux talents culinaires de leur aîné azimuté.
Si la postérité rock & roll était honnête et objective, et pas ce salmigondis malhonnête et indigeste capable d’encenser des nazes braillards et clinquants type Led Zeppelin1, Kim Fowley trônerait à la droite de Dieu le père (Jimi) et aux pieds du Saint Esprit (Bob) dans la grande trinité divine. Tout ça sous la bénédiction de l’antivierge Janis. Une place qu’il occuperait à la perfection, auréole créative en bandoulière, son visage primate, entre Dorian Gray et Frankenstein, adoubé et adoré par les foules de freaks en délire.
Mais non. Les rares à le connaître l’ont généralement découvert par l’intermédiaire d’une récente & gentillette bluette cinématographique intitulée The Runaways, biopic consacré au (classieux) groupe du même nom, pygmalionisé par ledit Kim Fowley et surtout connu pour avoir abrité en son sein miss Joan « I Love Rock & Roll » Jett. Bref, un certain Michael Shannon interprète son rôle de déjanté-sans scrupules-génie-du-marketing-rock et ne lui tricote pas forcément les habits les plus seyants. Non pas que Shannon joue mal. Mais incarner Fowley, franchement, cela relève de l’impossible : les mythes déjantés passent très mal à l’écran, brouillent les récepteurs.
S’il fallait faire entrer Fowley dans une case et l’y bloquer, histoire de l’étudier sans risque de flou, ce serait celle du garage ricain à la sauce sixties. Genre qui a accouché de merveilles type Sonics, Troggs, Seeds, Monks ou bien 13th Floor Elevator2. Un époque bénie où les groupes de boutonneux surmotivés se bousculaient au portillon pour bousculer les folkeux mous du bulbe à coups d’amphèt et de décharges électriques. Turn on, tun in, drop out, aussi simple que ça. Monsieur Fowley a d’ailleurs très bien résumé l’époque : « Beaucoup de mes projets ont été conçus pour draguer les filles, désorienter les gens et me marrer. C’était à la fois un hobby et une recherche expérimentale. Dans ces Silver Sixties, n’importe qui pouvait enregistrer des disques : et c’est ce qu’on a tous fait ! »
Bref, le jeune Fowley, né en 1939, a débarqué dans cet univers en mode chien fou, complètement azimuté par l’enthousiasme, produisant rapidos des titres aussi géniaux que « Nut Rocker » de B Bumble & the stingers, « papa oom mow mow » des Rivingtons ou « Alley Oop » des Hollywood Argyles, rugissant son enthousiasme pour ses camarades de travail Modern Lovers ou Motley Crue, et enregistrant lui-même des disques sévèrement déjantés, une bonne trentaine en tout. Des titres comme « The trip » (vidéo en début de billet), « Motorboat » ou « Face on the factory floor » (ci-dessous) devraient être enfoncés à coups de burin dans la tête de tous les apprentis song-writters qui nous les brisent avec leurs bluettes amoureuses et leurs laborieux ânonnages des Beatles. Une certitude : le cerveau de Kim Fowley est fait du jus de yahou dont on fait les grandes comètes musicales, quelque part entre Tom Waits et Captain Beefheart, là où le mojo foutraque tient la barre.
Surnommé le « Dorian Gray du Rock », Kim Fowley a eu un temps la réputation de ne pas vieillir, de toujours conserver ses frusques juvéniles de tête chercheuse du rock, parangon d’ubiquité et de curiosité démoniaque. Immanquablement là au bon moment, trépignant d’enthousiasme et de volonté d’en savoir plus, d’en voir plus, d’en ressentir plus, d’en découvrir plus. Derrière lui, l’herbe ne repoussait pas, toute fumée qu’elle était. Comme Dean Moriarty – le fou furieux justement auréolé par Kerouac dans Sur la route – ou le maestro du journalisme gonzo Hunter S. Thompson – avec qui il partagea un temps une occupation commune dans le business du sexe, this a small world –, Kim Fowley a choisi de tout brûler sur son passage, de ne jamais se retourner. Toujours à bloc. Qu’il s’agisse d’écrire des paroles pour Kiss ou Cat Stevens, d’apparaître sur l’album mythique de Frank Zappa, Freak’s out (sur lequel, paraît-il, il participa aux chÅ“urs), d’épauler épisodiquement John Lennon au sein du Plastic Ono Band ou de graver une chanson aussi magistralement zarbi que « Polaroïd people » (ci-dessous, fucking joyau pour cerveau divagant), il a toujours mis un point d’honneur à batifoler dans des pâturages où la redite et l’ennui n’existaient pas. Bref, un prototype personnel de Dieu, semeur de yahou et renifleur d’extase devant l’éternel. « Animal man », yes it is.
1 La base de tout billet musical qui se respecte, c’est de placer une attaque gratuite de ce genre, histoire de provoquer une avalanche de commentaires. Je les attends de pied ferme. Et j’ajoute : Jimmy Page sucks dans les grandes largeurs.
2 Je défie quiconque de trouver une pépite sixties aussi scintillante que « You gonna miss me ».