jeudi 12 mars 2009
Entretiens
posté à 17h11, par
37 commentaires
C’est un livres qui sonne comme un rappel, celui du champ des possibles qu’il nous reste à conquérir. Avec « Argentine rebelle, un laboratoire de contre-pouvoirs », Cécile Raimbeau et Daniel Hérard décrivent comment, après s’être soulevé, un peuple s’attèle à la construction d’alternatives - récupérations ouvrières, assemblée de quartier ou autogestion. Un exemple argentin sur lequel ils ont accepté de revenir ici : entretien.
Un livre fascinant. Pas seulement parce que c’est un bel objet, maquette classieuse, format atypique et large place accordée à de très belles photographies en noir et blanc. Mais aussi - surtout ? - parce qu’il met les mains dans le cambouis, plonge dans la réalité des bouleversements que nous souhaitons, conte les espoirs, les réussites et les erreurs de ceux qui se sont attachés - en Argentine après que le pays se soit retrouvé à genoux - à construire des alternatives. Le livre s’appelle Argentine rebelle, un laboratoire de contre-pouvoirs, publié en 2006 aux Editions Alternatives, œuvre de la journaliste Cécile Raimbeau et du photographe Daniel Hérard. Son titre parle pour lui, retour sur les expériences sociales et auto-gestionnaires de citoyens décidant de prendre leur destin en main.
L’Argentine, donc. En 2001, le pays est sur les rotules. Étouffé par la dette - en 2002, il doit encore 130 milliards de dollars, après en avoir remboursé plus du double les 25 années précédentes, héritage du système corrompu et spéculatif de la junte militaire au pouvoir de 1976 à 1983 - et victime des rapaces gouvernementaux et des capitalistes de la Banque mondiale qui ont mis le pays en coupe réglée. En proie à un taux de chômage endémique (plus de 18 % de la population en 2001, pourcentage auquel s’ajoute celui des 16 % de la population en taux de sous-emploi), ruiné et soumis à une profonde crise politique. Surtout, victime des ultra-libéraux, qu’ils soient membres du FMI ou au gouvernement, lesquels prétendent imposer la plus idiote des méthodes pour sortir de la crise : « Les dépenses sociales, les traitements des fonctionnaires et des retraités sont réduits drastiquement. » Bref, l’Argentine n’en peut plus, chavire et prend la rue :
Elle éclate spontanément, le 19 décembre 2001, à l’extrémité sud de l’Amérique Latine, en Argentine (…), en proie à une crise économique sans précédent. Noël approche, mais les Argentins n’ont ni le coeur, ni le porte-monnaie en fête : depuis cinq jours, dans tout le pays, des familles de banlieues poussées par la faim assaillent des supérettes, écrit Cécile Raimbeau.
Ce soir-là, accusant ces affamés d’être des ennemis de la République, le président annonce en direct à la télévision l’instauration de l’état de siège. C’en est trop ! Des citoyens de la capitale, des gens de la classe moyenne appauvrie, se rallient à la colère des périphérie : ils se mettent à taper au balcon sur des casseroles. Lancé à l’attention de toute la classe politique discréditée, un mot d’ordre se répand aussi vite que les bruits métalliques : « Leur état de siège, qu’ils se le mettent au cul ! »
(…) En moins d’une heure, des milliers de citoyens descendent dans les rues, convergent vers la présidence. Ces révoltés balayent le pays d’un souffle de liberté si puissant qu’ils renversent le gouvernement.
L’émeute n’a qu’un temps, et ce n’est pas l’ambition d’Argentine Rebelle que de conter ces quelques jours d’insoumission populaire. C’est « l’après » qui intéresse les auteurs, cette « aspiration durable et profonde à refonder depuis sa base (une) société malade », ces initiatives qui naissent un peu partout dans le pays, conduites par des citoyens « qui produisent du contre-pouvoir dans leur quartier en inventant collectivement des moyens de survie là où l’Etat est absent ».
Ces expériences, Cécile Raimbeau et Daniel Hérard les décrivent minutieusement, en belle prose et superbes photos. Disent la vivante démocratie directe, des assemblées de quartier qui éclosent en tous lieux, autant pour s’atteler aux problèmes de la vie quotidienne que pour se pencher sur la meilleure façon de remplacer le capitalisme. Reviennent sur la passionnante expérience des creditos, petit réseau de troc qui sous l’effet de la crise se généralise à des millions d’utilisateurs, « expérience monumentale d’économie alternative de masse » qui finira par sombrer, victimes de son gigantisme, de la fraude et des coups bas du pouvoir. Evoquent longuement cette société de bus montée par les habitants du quartier pauvre de Primavera, lesquels retroussent leur manche pour pallier l’incurie des pouvoirs publics et organiser leur propre service de transport en commun, la mutuelle de Printemps. Racontent l’autogestion des ouvriers de Zanon, lesquels s’organisent face à des patrons indignes, prennent le contrôle de leur entreprise de céramique et la font vivre collectivement, réussissant même à en doubler le nombre de salariés. Parlent de l’hôtel Bauen, grand établissement à l’abandon récupéré par ses anciens employés et remis illégalement en route sur le mode de l’autogestion. Décrivent d’autres expériences encore, avant cette jouissive conclusion : « L’Argentine rebelle nous montre que d’autres mondes sont possibles, qu’ils existent déjà. »
C’est cela. Pour ça que le livre est si fascinant. Parce qu’il revient de fort belle manière sur la mise en pratique de ce dont nous avons seulement les mots à la bouche, sans en connaître le goût. Et aussi parce que, nous aussi, nous sentons le vent de la chute, l’ère de la crise, cet ordre libéral qui s’effondre et un avenir en pointillé. Si les initiatives ont tourné court là-bas, elles pourraient renaître ici à la faveur de la crise. Pour peu que nous soyons à la hauteur.
Très gentiment, Cécile Raimbeau et Daniel Hérard ont accepté de répondre à quelques questions. Prenant le temps, depuis le petit voilier - leur vivante utopie - avec lequel ces journalistes atypiques arpentent la Méditerranée, de revenir longuement sur les conditions de naissance de ces alternatives argentines, sur leurs espoirs et leurs échecs. Une passionnante leçon de chose politique. Hop, bonne lecture !
Dans la présentation de l’ouvrage, vous écrivez : « Voici donc l’histoire de citoyens qui nous ressemblent en réaction à des crises qui nous menacent. » Vous avez touché juste, la menace est devenue réalité…
Cécile : Bien que la crise de 2001 soit apparue dans un contexte particulier à l’Argentine - un pays qui a subi une dictature féroce et s’est fortement endetté, puis est passé sous la tutelle du FMI ; et également, cette culture politique très particulière qu’est le peronisme avec ses visages clientélistes et sa corruption très développée etc… - , il m’a semblé effectivement que ce qui s’y passait n’était pas autre chose que du libéralisme mondialisé. Avec les mêmes recettes que partout ailleurs, mais plus subitement et profondément : libéralisation et privatisations à outrance, destruction des services publics et des droits des travailleurs, qui ont pour conséquences le creusement entre les riches et les pauvres, augmentation du chômage et de la précarité, baisse du pouvoir d’achat, déconnexion de plus en plus évidente entre les citoyens et les élus… Face à la crise monétaire et le gel des comptes en banque, je me souviens m’être dit que les Européens avaient une confiance aveugle dans leurs banques et qu’un jour ils seraient sûrement étonnés de découvrir leurs pratiques et les conséquences… Effectivement, c’est arrivé ! C’est dingue d’avoir une telle confiance dans les banques…
L’un des traits frappants des expériences que vous décrivez est cet investissement dans les sphères publique et dans les entreprises de gens peu politisés et jusqu’à alors peu concernés : faut-il souhaiter qu’une véritable crise advienne pour que les gens changent, que les individus se transformer en citoyens ?
Cécile : Je n’ai jamais été pour la politique du pire. Personne ne peut souhaiter une crise. Et je crois qu’on peut trouver dans l’histoire du monde et dans le monde contemporain plus d’un exemple de crise qui n’a pas débouché sur une meilleure société… Sinon on n’en serait pas là !
Si parfois des individus se transforment en citoyens en temps de crise (notamment une minorité en Argentine), c’est probablement qu’un ensemble de facteurs favorables sont réunis. Lesquels ? D’abord, un sentiment d’injustice suffisamment fort pour déclencher une certaine rage - être pauvre ne suffit pas à se rebeller, il faut un sentiment d’injustice ; ce n’était, par exemple, pas le cas des intouchables en Inde qui acceptaient les injustices subie par leur caste de naissance avant que le mouvement des Dalits s’organisent peu à peu .
Ensuite, un apport, un soutien de « leaders » avec une culture politique. J’ai eu le grand regret de le constater, moi qui rêvait d’horizontalité plate comme la mer : il faut une certaine culture politique pour se rebeller. Or tous les mouvements dont je parle dans Argentine rebelle sont inspirés ou insufflés soit par la Théologie de la libération, soit par la gauche avec toutes ses composantes, y compris anarchiste (l’anarchisme argentin a été très dynamique au début du 20e siècle, avant d’être fortement réprimé). Ces « leaders » ont parfois l’intelligence ou la maturité politique de se mettre en retrait et de ne pas jouer à « l’avant-garde éclairée » trop longtemps…
Résumons : il faut donc des leaders intelligents et mûrs, qui savent se faire oublier après avoir impulsé le mouvement (c’est rare, malheureusement). Il faut aussi le soutien et l’aide désintéressée de gens qui détiennent des savoirs pour les partager : étudiants, universitaires, etc… Beaucoup d’entreprises récupérées n’auraient pu fonctionner sans de tels apports. Et je dois oublier des éléments…
J’ai cependant l’impression que l’expression « transformer les individus en citoyens » ressemble à une recherche absolue de « l’Homme nouveau » à laquelle je ne crois pas personnellement. Je renvoie à une citation du livre (p. 140) :
Souvent, en assemblée, certains veulent discuter un texte, mais la discussion finit sur qui emporte plus de riz que l’autre.« Avant on se disait : comment est-ce possible ? Puis on a découvert que cela aussi est éducatif : découvrir comment répartir les choses entre nous peut être beaucoup plus éducatif que de lire un texte ».
Ces individus « transformés en citoyens » sont très triviaux, comme chacun dans cette société hyper-individualiste où l’on naît. Ils ne sont pas tous ou pas tout le temps des bons citoyens. Cette transformation reste une utopie. Tout comme l’horizontalité de l’assemblée - même celle qui prend ses décisions au consensus : elle exclue irrémédiablement à un moment où un autre.
Daniel : Face à des évènements qui transforment la vie quotidienne, certaines personnes changent, et pas toujours dans le sens que l’on espère. Des dirigeants locaux populistes réactionnaires ont été élus quelques années après la révolte de 2001. Ce qui a changé de manière globale, c’est plutôt le niveau d’échanges, de communication entre les Argentins sur la politique, l’économie… Tout le monde s’est senti concerné et a perçu qu’il avait été possible de changer un peu le cours de cette histoire que les dirigeants veulent écrire pour les peuples.
Chômage et dette publique en très forte hausse, désengagement de l’Etat et paupérisation générale : l’état de la France en ce tout début d’année 2009 semble se rapprocher de celui de l’Argentine fin 2001. C’est comparable ?
Cécile : Tout cela, caractéristique à l’Argentine de 2001, me semblait alors assez symptomatique de ce qui ce passait aussi en Europe, et en France (même avant Sarko ; alors… après Sarko !) En fait, je n’avais pas imaginé ce pire ! Mais j’avais effectivement le pressentiment que le système financier nous amenait droit dans le mur… Il l’a fait plus rapidement que ce que j’aurais pu imaginer !
Daniel : Il faut comparer le temps de la chute du pouvoir d’achat des Argentins et de celui des Français. La paupérisation générale en Argentine a été extrêmement violente et rapide. Les gouvernements argentins d’avant 2001 donnaient le sentiment au citoyen qu’il était riche car même ceux qui perdaient leur emploi avant 2001 pensaient pouvoir retrouver du travail. Il y avait au milieu des années 1990 une euphorie « générale ». Ici, c’est plus subtil. On nous dit d’abord « qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses », puis que c’est « la crise », pour mieux nous faire accepter notre sort.
Plus généralement : l’Amérique Latine est à la pointe d’un certain combat social, que ce soit en Argentine, en Bolivie, au Vénézuela, au Mexique ou en Equateur. L’Europe peut-elle rêver de semblables bouleversements ici ?
Cécile : Je crois que les combats sociaux que mènent brillamment une partie « rebelle » de l’Amérique latine sont en effet spécifiques à ces pays, avec leurs particularismes et leur histoire (présence de cultures autochtones bafouées, latifundistes, clientélisme politique à outrance, paramilitarisme, etc…)
Mais plus je voyage, plus je me dis que notre propre pays n’a pas grand chose à envier au reste du monde au niveau de son dynamisme rebelle : il y a peu d’endroit avec une telle myriades d’initiatives citoyennes, de formes de contestation plus ou moins nouvelles, de mouvements, de débats d’idées… même si c’est parfois stérile.
A la lecture de votre livre, c’est frappant : les médias occidentaux (sauf quelques rares exceptions) n’ont pas parlé de ces expériences argentines, pas plus qu’ils ne rendent compte de ce qui se passe en Bolivie ou au Venezuela, sauf à faire de la propagande. Comment l’expliquez-vous ?
Cécile : Pas la peine de parler du formatage dans les écoles de journalisme, n’est-ce pas ? On connaît aussi la pénétration de plus en plus claire de groupes puissants dans le capital des médias et leur implication. Plus nouvelles sont les demandes de plus en plus directes du pouvoir pour diffuser sa version de l’information dans des médias de moins en moins indépendants. Mais tout cela est bien connu.
Ce que l’on perçoit moins, c’est l’apathie des journalistes eux-même. La plupart du temps nous venons des mêmes milieux sociaux (la classe moyenne, pour certains un peu plus). Nous nous fréquentons. Nous dînons ensemble. Nous allons au mêmes cocktails pour « entretenir nos réseaux »… Nous véhiculons les mêmes idées (préconçues entre nous). Nous avons du mal à nous placer d’un autre point de vue, de l’ailleurs.
Qui plus est, les médias sont très influencés par les points de vues des correspondants, des expatriés qui se fondent à la société des expatriés et des privilégiés de leur « caste » dans les pays qu’ils habitent. Ces correspondants lisent et s’abreuvent de la presse locale, généralement - plus que chez nous, encore - aux mains de groupes capitalistes proches de l’opposition au pouvoir en Amérique de gauche…
Daniel : La plupart des médias occidentaux appartiennent à des groupes financiers qui n’ont vraiment pas envie que l’on sache qu’il est possible changer certaines choses.
Parmi les expériences décrites dans votre livre, l’une des plus fascinantes est celle des creditos. On se rend compte qu’on a tellement intégré les normes du monde néo-libéral que la mise en place d’une monnaie parallèle semble inimaginable. Les principaux freins au changement sont-ils d’abord ceux de notre imagination ?
Cécile : L’imagination était bien au rendez-vous… Dans l’affaire des creditos, il y a avant tout un problème d’échelle à mon avis. L’histoire s’est emballée. L’expérience, qui aurait pu fonctionner à petite échelle et évoluer tranquillement, s’est retrouvée propulsée dans tout un pays en crise, à destination de millions de gens, pas du tout « formés » à ce type d’échanges : ils étaient en situation d’urgence.
Daniel : Absolument ! Mais pour reprendre ta première phrase, « on a tellement intégré les normes du monde néo-libéral » que le système des créditos s’est effondré à cause des mêmes maux que ceux qui touchent n’importe quel système monétaire dans un monde capitaliste.
Pendant un temps, les creditos ont créé une véritable économie de troc, permettant à des centaines de milliers - voire des millions - de personnes de subsister. Est-ce que ça n’a pas été aussi rendu possible parce que l’Argentine est davantage rurale, moins dépendante de l’hyper-consommation ? Dit autrement : pourrait-on imaginer un tel système dans nos grands centres urbains, là où les gens n’ont guère de chose à troquer ?
Cécile : Il n’y a qu’à regarder les SEL et autres réseaux d’échanges y compris de savoirs. Un troc (le réseau Venus) a existé en Argentine qui concernait des artistes. Ils échangeaient parfois des concepts. Ou des idées farfelues. C’était très créatif.
Oui, je crois que c’est possible. C’est juste une affaire d’envie de changement, de rejet de l’hyper-consommation. Je crois que cela va venir, ou du moins se développer peu à peu, localement. Quand on voit la qualité de ce que l’on consomme se dégrader, les problèmes de pollution, les implications de plus en plus importantes des mafias dans les échanges mondiaux etc… il y a un besoin de davantage d’éthique dans nos échanges et de plus en plus de gens le perçoivent.
Vous contez comment ces immenses réseaux de troc sont lentement morts, victimes de leur taille, de la spéculation et de la recherche du profit. N’est-ce pas le signe que le marché finit toujours par reprendre le dessus, que l’égoïsme et le profit l’emporteront toujours ?
Cécile : Bien sur que non. « Sans l’utopie, l’homme serait un monstrueux animal fait d’instinct et de raisonnement… une sorte de sanglier licencié en mathématiques pures. » J’aime cette citation de Fabrizio de André.
Daniel : L’égoïsme et le profit ne sont pas forcément inscrit dans les gênes humains. Simplement, les ennemis du troc ont été les plus forts.
En un entretien accordé à ce site, Raoul Vaneigem expliquait comment, à Oaxaca, « le mouvement des barricadiers, des libertaires et des communautés indiennes s’est débarrassé des ordures gauchistes - lénino-trotskysto-maoïste - qui prétendaient récupérer le mouvement ». Dans Argentine rebelle, vous décrivez aussi des assemblées de quartier peu à peu noyautées par les partis d’extrême-gauche, paralysées par leur dogmatisme. Faut-il toujours se méfier des partis, même quand ils prétendent agir pour le bien du peuple ?
Cécile : Il faut le calmer, Raoul ! Je n’aime pas ce vocabulaire ordurier, ni cette haine des « lénino-trotskysto-maoïste » en général. Il faut arrêter avec ces conflits de chapelles. En France, on ne peut pas dire que cela nous aide à avancer…
En Argentine, comme à Oaxaca je pense, il ne faut pas dénigrer l’apport intellectuel et politique de ces partis, comme je le soulignait plus haut. Je reconnais que des personnalités de ces mouvements ont souvent du mal à mettre de côté leurs dogmes et leurs sectarismes, tout comme certains anars, dont pourrait faire partie Raoul. La tolérance est un mot que j’aime et qui aide à grandir.
Daniel : Il faut surtout se méfier de ceux qui disent agir pour le bien des autres, et mieux agir soi-même.
Autogestion et responsabilisation des citoyens : là-bas comme ici, l’autonomie est la seule voie ?
Cécile : Je n’aime pas trop les slogans lancés comme cela. Ceci dit, la « responsabilisation des citoyens » qui mène éventuellement à l’autogestion est une formule qui me semble aller vers une forme d’ « émancipation » salutaire. La seule voie ? Non bien sur. J’espère qu’il y a plusieurs voies, que chacun peut rêver à trouver la sienne. Dire « l’autonomie est la seule voie », me parait presque un ton stalinien !
Daniel : C’est en tout cas l’un des rares, si ce n’est le seul, chemin supportable.
Un autre monde est possible… aujourd’hui plus que jamais ?
Cécile : Nécessaire, en tout cas. Puisque tu me donnes la possibilité de rêver, j’y vais : un monde multifaces, plus égalitaire bien sûr, mais aussi plus divers, ouvert, qui s’affranchit des dogmes. Il faut que je relise John Holloway, récemment traduit en français : j’aime l’idée de « construire depuis la base le pouvoir ».
Daniel : Plus que jamais, depuis qu’un type a dit à un autre de faire ce qu’il lui disait !
Pour finir, votre livre date de 2006 et les choses ont depuis évolué en Argentine. Où en sont les expériences que vous décriviez ? L’Argentine rebelle existe t-elle encore ?
Cécile : J’aimerais bien le savoir. Je n’y suis pas retournée malheureusement. J’ai pour ainsi dire tourné une page dans ma vie de journaliste. Nous expérimentons désormais, Daniel et moi, une forme de journalisme itinérant en Mer Méditerranée à bord de notre voilier. Un bateau de 11 mètres que nous avons aménagé comme une rédaction nomade. C’est pour nous une façon de pratiquer un journalisme qui prend le temps d’enquêter aux escales, de fouiller les sujets, et de mener des enquête transnationales en accumulant les infos d’un pays à l’autre.
Mais j’espère bien trouver les moyens de retourner en Argentine, au moins en 2011 ! Nous écrivons un blog tout à fait informel qui consiste très modestement à donner quelques nouvelles de notre périple à nos amis. En voici le lien : Chroniques Pélagiques.
Daniel : Nous réalisons moins d’articles que des journalistes employés en rédaction et gagnons beaucoup moins d’argent, mais nous choisissons les thèmes qui nous intéressent (économie sociale et mouvements sociaux principalement). Ce mode de vie et de travail nous donne une grande autonomie, beaucoup de temps et nécessite peu d’argent. Pas de loyer, pas d’avion à payer, peu de facture. Peu de consommation.