ARTICLE11
 
 

lundi 2 avril 2012

Sur le terrain

posté à 19h50, par Lucien
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Embedded à l’UMP / N°2 : « La solitude de Jean-Paul »

À l’UMP, ils laissent vraiment entrer n’importe qui. Lucien – expert en matière d’entrisme – a adhéré à l’une des sections « jeunes » de la capitale. Raie sur le côté, mocassins et jolie chemise, le courageux envoyé spécial d’Article11 en a profité pour prendre des notes, entre séances de tractage et réunions d’information. Deuxième épisode d’une série de six chroniques.

Cette chronique a été publiée dans le deuxième numéro de la version papier d’Article11, en janvier 2011. L’ami Lucien ayant continué son travail d’infiltration un certain temps, il nous a livré d’autres épisodes1, qui seront mis en lignes dans les semaines à venir.

*

« Je milite depuis 1973, jeune homme... À mes débuts, j’ai même connu l’UDR !  » J’ai tout de suite été séduit par Jean-Paul, homme d’une hauteur d’esprit certaine et dont on devine qu’il s’est - sans nul doute - vaillamment opposé aux « fainéants  » de Mai 68. Son côté si sûr de lui me rassure : je sens qu’il saura me remettre dans le droit chemin si je m’égare idéologiquement...

Rigoriste, Jean-Paul ? Pas seulement : il cache un vrai sens de l’humour - parfois involontaire. Et fait aussi preuve d’une étonnante gourmandise pour les déclarations politiciennes. A croire qu’il s’en nourrit... Savoir comment Martine Aubry a réagi aux petites phrases de Ségolène Royal ou ce que Xavier Bertrand a pu laisser penser de Jean-François Copé le passionne. Littéralement.
C’est même son sujet de discussion préféré, lorsque nous nous retrouvons entre militants pour un café-débat ou un comité de circonscription. Enfin… son sujet de monologue, plutôt ; il en parle tout seul et les autres baillent. C’est d’ailleurs tout le drame de Jean-Paul : les siens ne l’aiment pas.

De prime abord, l’homme colle pourtant parfaitement à l’idée qu’on se fait du militant UMP de base. Un formateur nous présente la réforme de la fiscalité ? Jean-Paul est le premier à le soutenir en tapant toutes les cinq minutes sur ces « irresponsables  » de gauche. L’un de nous s’indigne du traitement réservé par les médias à Nicolas Sarkozy ? Jean-Paul se dit prêt à monter au créneau : « Moi aussi, je sais donner des coups bas », assure-t-il d’un ton feutré.
Que peuvent donc bien lui reprocher les autres militants ? De ne jamais participer aux tractages du dimanche matin ? Jean-Paul a une bonne excuse, il se rend à la messe de dix heures. De parfois déraper en prenant la défense d’ouvriers français acculés au chômage du fait des délocalisations - « Tu vires syndicaliste !  », l’a même averti une de nos têtes pensantes ? L’exemple vient d’en haut, Christian Estrosi et Laurent Wauquiez ont fait de même2. Non, non... le malaise semble plus profond.

Une scène m’éclaire sur les raisons du divorce. Lors d’une réunion, Laurent, commissaire-priseur dans le civil, suggère d’organiser un évènement avec les associations maliennes de la ville. Objectif ? Gagner les voix des « bobos  » en leur prouvant que – non – la gauche n’a pas le monopole de « l’interculturalisme », et que – oui – la droite peut s’intéresser aux populations migrantes autrement que sous l’angle « dangereux délinquant  » ou « profiteur de services publics ». Le projet est chaleureusement accueilli. Pour mettre fin à vingt années de municipalité socialiste, mes amis militants sont prêts à tout ! Les applaudissements fusent…
… quand soudain, un homme surgit hors du bruit et court vers la droite au galop ; son nom, il le signe à la pointe de sa langue acérée, d’un « J » qui veut dire Jean-Paul. Les deux bras en V, à la manière du Grand Charles, et rouge comme un poivron trop mûr, il martèle : « Je ne reconnais pas dans cette idée les valeurs de la droite. Être français, ce sont des droits certes, mais avant tout des devoirs ! Si c’est tout ce que vous avez à proposer, je ne vois plus ce que j’ai à faire à l’UMP. Je ne veux pas perdre mon âme, moi ! » Silence. « Et puis, ces gens n’ont même pas le droit de vote !  » Re-silence. « Mais Jean-Paul, tu n’as pas compris : c’est pour séduire les bobos », tente Christine. Mauvaise pioche : rien n’énerve plus Jean-Paul que les bobos. « Des jean-foutres ! Avec leurs faux airs ! » Dans la salle, ça grince des dents : tous se reconnaissent plus ou moins dans la figure du bobo…

C’est ça, Jean-Paul. Quelqu’un qui s’assume de droite. Lui ne proposera jamais « de mettre des stores à la permanence  », comme telle militante. Ni n’approuvera tel autre expliquant : «  Je n’aime pas trop parler politique à la terrasse d’un café. » Lui est carré, et le revendique. Ses partenaires de parti ont beau répéter à foison qu’ils n’ont pas «  honte d’être de droite  », ils le proclament tant qu’ils donnent l’impression d’en douter. Avec Jean-Paul, au moins, pas de politiquement correct : on n’est jamais déçu...

C’est ainsi : il n’est pas vraiment à sa place dans notre groupe. A la fin de sa diatribe, l’autre soir, un gars d’une vingtaine d’années m’a chuchoté à l’oreille : « Ils sont chiants, ces vieux... » Old school Jean-Paul. Trop old school.

*

Les chroniques embedded déjà publiées en ligne :
N°1 : « Éléments de langage ».



1 Et il se murmure qu’un autre se prépare pour le numéro 9.

2 Christian Estrosi, alors ministre de l’Economie, a ainsi déclaré le 24 juillet 2009 : « Je ne suis pas que le ministre de l’Industrie. Je veux que les ouvriers sachent que je suis leur ministre. Je suis le ministre des ouvriers. » Quant à Laurent Wauquiez, alors secrétaire d’Etat à l’Emploi, il a vertement réagi en janvier dernier à une éventuelle délocalisation de Renault : « Il faut que Renault sache et connaisse ce qui est pour nous la ligne rouge absolue. Elle est simple : aucune fermeture de site, aucun licenciement.  »


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