mercredi 18 mars 2009
Le Cri du Gonze
posté à 09h01, par
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« Il faudrait, c’est certain, sortir la tête de ce marigot qui vous tient lieu de cadre de protestation. Abandonner vos grèves poudre aux yeux. Oublier un instant vos stupides réflexions partisanes pour envoyer bouler les soit-disant meneurs, ceux qui grondent trop gentiment, ronronnent presque. L’insurrection, la vraie, celle qui fait battre le cœur de l’histoire et raffermit l’utopie, est à ce prix. »
« Nous n’avons pas peur des ruines. Nous allons recevoir le monde en héritage. La bourgeoisie peut bien faire sauter et démolir son monde à elle avant de quitter la scène de l’Histoire. Nous portons un monde nouveau dans nos cœurs. »
Vous y voilà, de nouveau. Au pied du mur. Vous trépignez d’impatience, vous rêvez de changer les choses, vous aimeriez tant prouver que vous en êtes capables. Que vous n’êtes pas tout à fait mort.
Enlisés dans un mouvement qui depuis trop longtemps n’a de grève que le nom, vous le criez haut et fort : « Cette fois-ce, ce sera différent, ils vont voir. »
Je ne voudrais pas doucher vos espoirs mais, fort de mon expérience, il me semble que c’est bien mal parti. Comme celles qui ont précédé, cette grève-là n’en sera pas une, je le pressens. Elle ne fera trembler personne, la guimauve l’habitera. Je ne vois pas pourquoi cela se passerait autrement : vous n’avez pour l’instant jamais réellement cessé de suivre vos « maîtres » syndicaux ou politiques, ces alliés du temps présent. Certes, il semble que vous leur fassiez de moins en moins confiance, mais ça ne suffit pas. Ceux-là ne veulent rien de plus que prolonger ce confortable statut-quo auquel ils se sont habitués. Ce sont les morts de faim qui dirigent les grèves, pas les bedonnants installés.
Il suffit de lire leurs déclarations pour savoir que le seul salut révolutionnaire, la seule échappatoire non-stérile qui soit, réside hors de leurs rangs. Car avant même de partir, si vous les écoutez, vous êtes déjà vaincus. Comme toujours, ils biaisent en parlant déjà de la prochaine échéance, négocient une action sans vie, percluse d’immobilisme. Vos Thibault, vos Chérèque, vos Besancenot, tous les autres qui vous servent de porte-drapeaux, travaillent, à des degrés divers et qu’ils le veulent ou non, pour l’ennemi. Rester à leurs côtés, ou aux côtés de leurs semblables, c’est s’interdire toute possibilité de changement d’envergure. Accepter l’ordre des choses en le prolongeant implicitement.
Il faudrait, c’est certain, sortir la tête de ce marigot qui vous tient lieu de cadre de protestation. Oublier un instant vos stupides réflexions partisanes pour envoyer bouler les soit-disant meneurs, ceux qui grondent trop gentiment, ronronnent presque. L’insurrection, la vraie, celle qui fait battre le cœur de l’histoire et raffermit l’utopie, est à ce prix.
Pourquoi écouter encore ceux qui vous mènent à la baguette, vous inculquent la défaite en encadrant votre lutte ? Il ne saurait y avoir de guide suprême dans l’insurrection d’un peuple. Lui seul doit prendre son destin en main. Ce que déjà j’affirmais quand les sanglants communistes cherchaient à récupérer notre lutte espagnole :
« Nous vous montrerons, à vous les bolcheviques russes et espagnols, comment on fait la révolution et comment on la mène à son terme. Chez vous, il y a une dictature, dans votre Armée rouge, il y a des colonels et des généraux, alors que dans ma colonne, il n’y a ni supérieur ni inférieur, nous avons tous les mêmes droits, nous sommes tous des soldats, moi aussi je suis un soldat. »
Ma première manifestation d’importance, celle qui sûrement plus que tout autre événement a influé sur ma vie, c’était pendant l’été 1917, à l’appel de l’UGT et de la CNT. J’étais très jeune. Ce n’était pas ma première grève, mais ce fut mon baptême du feu. L’armée est intervenue, il y a eu plus de 20 morts, 500 blessés et 2 000 emprisonnés. Alors j’ai compris : la grève, l’action sociale, n’était pas une plaisanterie. J’ai rejoint la CNT.
A partir de là, et jusqu’à la guerre civile, je n’ai plus jamais cessé d’être la cible de toutes les calomnies, qu’elles viennent de droite ou de gauche. Avec d’autres camarades anarchistes, j’ai attendu mon heure, je savais qu’elle viendrait. Le traitement qu’on nous faisait subir nous fortifiait, nous préparait. Je le déclarais en 1932, déjà :
« Les républicains et les socialistes du gouvernement ont pensé que les hommes et les femmes qui militent et agissent dans les rangs de la CNT et de la FAI, sont un troupeau qu’ils dirigent et gouvernent depuis leurs partis.[…] Ils se sont trompés dans leurs calculs et ils ont ainsi une fois de plus démontré leur méconnaissance de la réalité sociale et de la raison d’être de l’anarchisme. »
Je sais qu’un mythe autour de moi s’est construit. Je n’apprécie pas, refuse ce statut d’icône, mais ne peux rien contre ça. Toute ma vie, j’ai cherché à me conformer mes idées, et à elle-seules. J’ai été en prison pour elles, après avoir été impliqué dans quelques actions plus ou moins légales, dont la moindre n’était pas une tentative d’assassinat de l’immonde Alphonse XIII. Puis, après le coup d’état, quand la bête plus que jamais a montré son vrai visage, je suis monté au front, j’ai combattu sans arrière pensées. Il le fallait, c’est tout. Ma colonne s’est distinguée militairement, c’est vrai, mais surtout « idéologiquement ». Il n’y avait pas de chefs, pas de hiérarchies, seule l’énergie collective nous gouvernait. J’étais un soldat parmi les autres. C’est un camarade de combat, Carl Einstein, qui a le mieux résumé la chose :
« Dans la colonne Durruti, on ne connaît que la syntaxe collective. Les camarades enseigneront aux écrivains à changer la grammaire pour la rendre collective. […] Le camarade Durruti vivait à des années-lumière de toute cette vanité des vedettes de gauche. Il vivait avec les camarades, il luttait en compagnon. Son rayonnement était le modèle qui nous animait. Nous n’avions pas de général ; mais la passion du combat, la profonde humilité face à la Cause, la Révolution, passaient de ses yeux bienveillants jusqu’à nos cœurs qui ne faisaient qu’un avec le sien, lequel continue à battre pour nous dans les montagnes. »
Se focaliser sur la « Syntaxe collective », s’éloigner de la « vanité des vedettes de gauche », voilà la seule chose qui pourrait vous réconcilier avec vous mêmes, donner un sens à votre action. Hors de cela, vous ne serez que dispersion, division ou vains palabres. Vous connaissez déjà trop la chose.
Bien sûr, je ne crois pas que vous traversez un moment historique comparable à celui que j’ai traversé. Paris 2009 ne sera jamais Barcelone 1936. Nous étions confrontés au vrai fascisme, dans toute son évidente monstruosité. Vous faites face (ou plutôt, vous devriez faire face) à un fascisme diffus, moins violent mais plus insidieux. On pourrait me rétorquer que mon avertissement est hors-de-propos, anachronique, mais je crois qu’il n’en est rien. Ces leçons-là sont intemporelles. Et tant que vous ne les accepterez pas, tant que vous fermerez les yeux, vos grèves seront poudre aux yeux.
Biographie détaillée de Durruti : ici.