mardi 18 novembre 2008
Le Charançon Libéré
posté à 12h09, par
13 commentaires
Il est un coin de ciel bleu dans un océan d’échec, un rayon d’espoir dans une succession de défaites gouvernementales. Avec 28 000 expulsions alors même l’année n’est pas terminée, le ministre de l’Immigration et de l’identité nationale fait mieux que remplir les objectifs qui lui avaient été fixés par Nicolas Sarkozy : il les pulvérise ! Cela mérite bien quelques applaudissements…
Les succès de Nicolas Sarkozy ?
Maigres.
Les réussites du gouvernement ?
Faibles.
Augmentation du pouvoir d’achat, puissance retrouvée de la France, reprise économique, politique judiciaire… tout se délite et s’effrite salement, sans que le président et ses sbires ne semblent capables de modeler le réel à la chaleur de leurs ambitions.
Sauf…
En un domaine privilégié, où le gouvernement tient toutes ses promesses.
Et pulvérise même joyeusement ses objectifs.
Oui : les expulsions.
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Début janvier, François Fillon avait chiffré à 25 000 le nombre de clandestins qu’il convenait d’expulser au cours de l’année 2008.
Le Premier ministre ne cachant alors pas qu’il s’agissait de faire mieux qu’en 2007, année où les expulsions de sans-papiers avaient tristement plafonné à 24 000.
Un objectif ambitieux.
Que le très efficient Brice Hortefeux s’est fait un plaisir de remplir.
Prouvant par-là même combien il est cet homme de valeur sur lequel Nicolas Sarkozy peut, les soirs de lassitude et de désillusions, se reposer avec confiance, le regard perdu vers cet avenir radieux qu’il imagine pour la France.
« Au cabinet de Brice Hortefeux, le ministre en charge des questions d’immigration, on prend ça pour une bonne nouvelle. Au 1er novembre, les chiffres des expulsions d’immigrés en situation clandestine sur le territoire depuis le début de l’année se sont élevés à 28 000, c’est-à-dire déjà 2000 de plus que pour toute l’année dernière, hors DOM-TOM », souligne ainsi une brève de Bakchich.
Un bel effort, n’est-ce pas ?
Oui.
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Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que le ministère de l’Immigration et de l’identité nationale se fasse magnanime.
Et qu’il ait finalement annoncé hier, après quelques jours d’hésitation, qu’il ne participera pas à l’organisation de ce charter franco-britannique qui devait renvoyer, en une belle illustration de ce que la coopération transfrontalière peut produire de pire, une cinquantaine d’Afghans vers leur pays d’origine.
Un refus de dernière minute qui n’a pas dû trop coûter à Brice Hortefeux.
Tant ses statistiques sont si bonnes que le ministre peut se permettre de laisser courir quelques sans-papiers.
Migrants échoués à Calais sur lesquels il n’aura de toute façon guère de difficultés à remettre la main si d’aventure il changeait d’opinion.
Et s’il décidait de passer outre un évident obstacle juridique, la Cour européenne des droits de l’homme, saisie par 11 des sans-papiers concernés, ayant demandée à la France de ne pas procéder à l’expulsion.
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On ne sait, par contre, si la Cour a aussi dit un petit mot en faveur de Jean-Claude Lenoir, vice-président d’une association, Salam, qui vient en aide aux migrants et s’est mobilisée pour faire échec à l’expulsions des sans-papiers afghans.
Militant courageux qui comparaîtra le 25 février prochain pour « outrage à agent ».
Au motif qu’il aurait « insulté des CRS » en leur lançant « allez-vous faire voir bande de cons ».
Une accusation bidon, sur laquelle Jean-Claude Lenoir est revenue dans une interview donnée à Libé Lille voici quelques jours.
« Nous manifestons donc tous les jours devant le centre de rétention de Coquelles, où sont retenus 57 Afghans. Et nous suivons les opérations policières, en tant que témoins. Notre but, c’est de toujours montrer que nous sommes là. Le message, c’est, nous vous laissons faire car nous n’avons pas les moyens de nous y opposer, mais nous regardons ce qui se passe », raconte le vice-président de l’association Salam, avant de détailler précisément ce qui lui a valu l’accusation d’outrage : « Un CRS m’a bousculé, et les cinq ou six autres m’ont envoyé en l’air, chacun m’a attrapé une jambe ou un bras, et je ne touchais plus terre. Je me suis retrouvé torse nu, je suis traîné à terre. Je crie, arrêtez de me faire mal, mais à aucun moment je n’ai résisté. Ils m’ont menotté et d’autres policiers m’ont ensuite emmené au commissariat de Calais. A ma première déposition, l’OPJ écrivait une autre réponse que celle que j’avais faite. J’ai réfusé de continuer à déposer. A ma deuxième déposition, j’ai compris que le chef d’inculpation changeait sans arrêt. On m’a d’abord reproché d’avoir dit ’bande de cons’, puis ensuite ’allez vous faire voir’, et enfin ’allez vous faire foutre’. C’est un jeu de manipulation, je n’ai insulté personne. »
Un petit jeu de la (fausse) parole judiciaire et du mensonge policier de plus en plus courant.
Tant les délits d’outrage se multiplient, moyen idéal de faire taire ceux qui encore ont le courage de protester.
Le Monde notant que les procédures judiciaires en la matière « ont presque doublé en dix ans, passant de 17 700 en 1996 à 31 800 en 2006, selon l’Observatoire national de la délinquance ».
Une inflation en forme de criminalisation de la contestation qui inquiète jusqu’à la Commission de déontologie et de sécurité (CNDS) : « Dans son rapport 2007, elle constatait ’une inflation des procédures pour outrages engagées de manière trop systématique par les personnels des forces de l’ordre’.’ »
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Voilà.
Au fond, tout cela n’est qu’une bête affaire de statistiques.
Qu’il s’agisse des clandestins qu’on expulse à tour de bras.
Ou de leurs rares soutiens qu’on poursuit devant les tribunaux.
Une petite musique des chiffres qui conte finalement très bien, en filigrane, ce que ce pays est devenu.
Société qui n’en finit pas de renier ses idéaux et de se comporter bassement.
Puisque c’est ainsi que ce gouvernement tient réellement ses promesses.
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J’ai beau être allergique aux pétitions, je ne peux que vous encourager fortement à aller lire ce billet.
Et puis à signer. (Ou pas…)