ARTICLE11
 
 

mercredi 16 mai 2012

Sur le terrain

posté à 11h10, par Lucien
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Embedded à l’UMP / N°5 : « L’adieu aux armes ? »

À l’UMP, ils laissent vraiment entrer n’importe qui. Lucien – expert en matière d’entrisme – a adhéré à l’une des sections « jeunes » de la capitale. Raie sur le côté, mocassins et jolie chemise, le courageux envoyé spécial d’Article11 en a profité pour prendre des notes, entre séances de tractage et réunions d’information. Cinquième épisode d’une série de six.

Cette chronique, cinquième d’une série de 6, a été publiée dans le sixième numéro de la version papier d’Article11, en octobre 2011. L’ami Lucien ayant continué son travail d’infiltration un certain temps, une dernière chronique sera mise en ligne d’ici quelques jours.

*

Driiiiiiiing, driiiiiiiiiiiiing.
« - Allô, ici l’UMP.
- Ah. Bonjour l’UMP.
- Bonjour. Je vous appelle pour vous proposer d’assister à une conférence sur l’emploi, mardi prochain… Et, euh, aussi, je m’aperçois que vous n’avez pas encore réglé votre cotisation pour l’année 2011…
 »

Dilemme. Cotiser ? Ne plus cotiser ? Pas si anodin. Après tout, il en va un peu de l’avenir de l’UMP : un adhérent en moins, à quelques mois du grand barnum présidentiel, ça compte. Il en va surtout de l’avenir de cette chronique : si je quitte l’UMP, elle se termine illico. Fin des haricots, retour à la vie civile. Que faire, alors, de mon équipement spécial « militant » ? La raie sur le côté, passe encore, mais les chemises rose saumon ? Je me tâte, j’hésite, je tergiverse ; tout le contraire d’un Nicolas Sarkozy.

Le président dresse en ce moment le bilan de son quinquennat. Qu’à cela ne tienne : moi aussi. Douze mois de militantisme. Douze mois de souvenirs qui se bousculent, remontant à la surface comme autant de droitières madeleines. Presque un parfum de nostalgie. En mon for intérieur, je dresse un bref inventaire, énumérant ces petits riens qui risquent de me manquer...

*

... les mails à répétition de René. Un courriel pour souligner les dépenses engendrées par l’exercice de la grève en France, un autre pour rappeler que «  quand même, l’assistanat, y en a assez !  », et encore des centaines sur le même modèle. C’est vrai : c’est une véritable inondation. Mais au vu de la qualité de l’information, entre sa boîte de réception et la mienne, c’est désormais « à la vie à la mort ».

… les actions de rue (tracts et affiches), où on compte les absents, avec toujours la même troupe d’une demi-douzaine de bons petits soldats et quelques « m’as-tu-vu ». Les abandonner ? Jamais, au grand jamais ! Je ne serais qu’un traître, un lâche, un renégat... Mon cœur tressaille ; on n’a pas tous la carrure d’un Besson.

... les débats improvisés du vendredi soir : C’est bien de faire des pistes cyclables, mais comment empêcher que cela ne gêne la circulation des poussettes ? C’est bien d’expulser les Roms mais comment empêcher qu’ils reviennent ? La politique, la vraie : joyeux élans et saine stimulation intellectuelle.

… les mots doux du Secrétaire général de l’UMP. En novembre dernier, au moment de la passation de pouvoir entre Xavier Bertrand et Jean-François Copé, le premier m’écrivait tendrement, comme aux autres militants : « Nous avons bâti ensemble, depuis toutes ces années, un lien très fort. Ce lien, rien ni personne ne pourra jamais le rompre (…) Chères amies, chers amis, je ne vous dis pas au revoir, je vous dis à bientôt. »

... le « parler vrai ». Ah, le « parler vrai  »… C’est sans doute l’expression que j’aurai la plus entendue, mémoire de militant. Murmurez « parler vrai » à l’oreille d’un UMPiste, et vous obtiendrez de lui tout ce que vous voudrez...

*

Je songe, aussi, à tous ces gens que nous avons secourus. Comme cette femme venue, un beau jour, à l’un de nos café-débats. Une sympathisante qui voulait savoir si nous pouvions l’aider. « Il y a un SDF dans mon hall d’immeuble, a-t-elle expliqué. Cela fait des semaines qu’il ’squatte’, je n’en peux plus. Quand je ramène ma fille de l’école, elle a peur de passer devant lui. Quand je reçois mes amis américains, ils sont choqués. » Et d’enchaîner : « Il m’arrive d’en parler autour de moi, mais les gens me regardent comme si j’étais une nazie. C’est dingue, quand même... Comme si on inversait les rôles entre victimes et délinquants ! »

Mes collègues ont su lui prodiguer un salutaire réconfort - « Il ne faut pas culpabiliser, Madame. Vous êtes dans votre droit, ce genre de situation n’est jamais agréable. Vous savez, quand j’étais gamin, on voyait depuis notre appartement un terrain vague sur lequel des gens du quartier faisaient leurs besoins... » - et les conseils pratiques de fins connaisseurs : « Vous pouvez trouver sur Internet des sites spécialisés dans les clôtures d’immeuble. » Arrivée colérique, notre victime s’était apaisée peu à peu, pour finir enthousiaste ; emballé, c’est pesé ! Du beau travail, comme une campagne électorale en minuscule. J’en souris encore.

*

Tout bien réfléchi, je vais la payer, cette cotisation. Et de gaieté de cœur.

C’est plutôt de cette feuille de chou gauchiste que je vais tourner la page. Je démissionne ! Au fond, il n’y a que vous – lecteurs – que je regretterai. Vous à qui j’ai envie de dire : «  Nous avons bâti ensemble, depuis toutes ces chroniques, un lien très fort. Ce lien, rien ni personne ne pourra jamais le rompre (…) Chères amies, chers amis, je ne vous dis pas au revoir, je vous dis à bientôt.  »

*

Les Précédentes chroniques « embedded à l’UMP »

N°1 :Éléments de langage
N°2  : La Solitude de Jean-Paul
N°3 : La Reconquête !
N°4 : Causerie


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